mercredi 13 février 2013

Bannalec: Ibatan, Touareg breton


Bannalec: Ibatan, Touareg breton

Ronan Larvor-Le telegramme
Mohamed Elmoctar habite Bannalec (29) où ses enfants sont scolarisés en classe bilingue. Il est aussi partisan du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Le Touareg chemine entre ses identités en revendiquant loyauté et regard critique, ouverture au monde et retour aux sources du désert.
Mano, Solane et Idwel sont en classe bilingue français-breton, à Bannalec. « Leurs prénoms font breton », sourit Ibatan. Ils sont tamasheq, la langue de leur père,touaregMohamed Elmoctar, lui aussi, préfère son nom touareg : Ibatan. Avec Morgane, son épouse bretonne, ils furent parmi les initiateurs de la section bilingue en 2009 dans leur commune. Morgane est enseignante monolingue à l’école. Ibatantravaille, lui, à Concarneau (29) comme fonctionnaire territorial. Ce mercredi quand nous le retrouvons devant la Ville Close, le chèche bleu, long foulard des hommes du désert, ne laisse aucun doute sur ses racines. Ibatan se présente comme Touareg « goudron », d’une famille sédentarisée, urbaine. Sédentaire mais mobile. Ses parents sont de la région de Gao au Mali. Ils ont vécu au Burkina Faso et lui a fait ses armes au Niger. Dans ces pays tracés au cordeau après la décolonisation, les pointillés sur la carte ne sont pas des murs. « Mon père avait été méhariste pour l’administration coloniale dans les années 1950. Il est devenu ensuite gendarme. Je suis un urbain. J’ai appris le français à l’école. J’allais au Sahara pendant les vacances », dit Ibatan, qui se dit Nigéro-Malien.
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À 16 ans dans la rébellion
« Il y a eu une rébellion des Touaregs dans les deux pays au début des années 1990. En 1994, j’ai fugué avec des copains pour rejoindre le mouvement. J’avais 16 ans. Je suis resté six mois. L’ambiance était trop militaire pour un ado en crise d’identité et j’ai déserté ». Ibatan se retrouve chez un oncle à Niamey, au Niger, où la répression est moins dure qu’au Mali. Le jeune homme reprend ses études. « J’ai rencontré des Bretons qui travaillaient dans la coopération. Ils cherchaient un Touareg parlant tamasheq pour ouvrir une école ». Grâce à ses relations, Ibatan obtient un stage en Bretagne, à Hennebont (56), en 2001. Il fait plusieurs allers-retours. Tout s’enchaîne : « une rencontre amoureuse », le choix d’un travail dans le monde socio-éducatif.Ibatan veut rester en France. « J’étais séduit par l’autonomie des jeunes ici. Ils peuvent choisir leur vie ». La famille s’est installée en Cornouaille mais Ibatan ne revendique pas une double culture. « Si j’avais eu une éducation troublée, je ne me serais pas bien intégré. Avoir de l’estime pour soi permet d’aller vers l’autre. Je veux que mes enfants se sentent entièrement Français et Bretons ». « Je suis resté un militanttouareg, qui soutient le Mouvement national de libération de l’Azawad, ajoute-t-il. Quand les Touaregs parlent d’indépendance, ce n’est pas au sens territorial. Cela remettrait en cause leur esprit nomade. L’indépendance, c’est la liberté au niveau social ». Ibatan se rend tous les ans au Mali. Il a créé plusieurs associations humanitaires en France : Aman Iman autour de l’eau, Sahara Santé pour l’assistance sanitaire des nomades…Touareg breton, il n’est pas dupe de son statut. « Il y a une rupture entre les Touaregs européens et ceux qui sont restés. Mais nous avons un droit de regard. Nous ne rejetons pas les bases traditionnelles mais certaines images renvoyées par les occidentaux » ; les images passéistes d’un peuple farouche, libre et mythifié.
Mali : un rôle à jouer
Le jeune homme se bat pour une culture moderne, laïque, démocratique. Le statut de la femme chez les Touaregs est valorisé. « Chez nous, les hommes sont voilés, pas les femmes », rit Ibatan. Il s’énerve après les appels au meurtre véhiculés par certains médias de Bamako à l’encontre des responsables du MNLA. « Il y a 35 % d’illettrés auMali. Depuis 50 ans, à Bamako, ils ont fait passer l’idée que nous étions des assistés ».Ibatan constate que les Touaregs ont du mal à se fédérer. La solution passe donc par une gestion locale du territoire. Il ajoute que seul un État malien fort peut garantir la justice. Ce début de semaine, le Touareg est inquiet. « La France a légitimité pour préparer un apaisement, ne serait-ce que par considération pour ce que nous avons subi depuis le découpage du pays il y a 50 ans. Mais l’armée malienne veut profiter de son avancée pour faire le ménage ». Ibatan dit que l’éviction du MNLA fera le jeu des islamistes. Les Touaregs laïcs sont sans doute les plus aguerris pour faire la différence dans la drôle de guerre du désert qui s’annonce.
Ronan Larvor,http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/bretagne/bannalec-ibatan-touareg-breton-12-02-2013-2002129.php

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