Jean-Pierre Tuquoi-Le Monde-15-02-10
La crise politique perdure entre la France et l’Algérie
lundi 15 février 2010
Bernard Kouchner veut se rendre en Algérie sans tarder et apaiser la crise politique entre Paris et Alger. Dans un message transmis début février à Mourad Medelci, son homologue algérien, le ministre français des affaires étrangères a proposé d’effectuer en mars le déplacement à Alger. Une précédente visite, prévue à la mi-janvier, avait été reportée d’un commun accord tant elle risquait de n’être qu’un long catalogue des sujets de friction entre les deux pays. Les autorités algériennes n’ont pas encore communiqué leur réponse. "Une visite ne vaut que par ses résultats", dit prudemment M. Medelci, interrogé par Le Monde. L’Algérie inscrite par Paris sur une liste de pays à risque
Le Quai d’Orsay était-il informé que l’Algérie (comme l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Syrie, l’Iran et le Mali) avait été placée, en février 2009, sur une liste de pays dont les ressortissants étaient signalés à la police dès lors qu’ils réservaient un billet d’avion pour la France ? Sous couvert d’anonymat, des diplomates assurent que non.
"Nous l’avons appris en même temps que les Algériens et que l’Elysée, en décembre, assurent-ils. Comment aurions-nous pu en informer les autorités algériennes ?" Contacté par Le Monde, le ministère de l’intérieur français n’a pas donné suite à nos questions.
Alger ne veut pas s’immiscer dans cette querelle franco-française. "A nos yeux, le ministère des affaires étrangères est le canal privilégié pour traiter ce type de question", fait valoir Mourad Medelci, le ministre algérien des affaires étrangères.
Que les relations politiques - à l’inverse des échanges économiques - soient exécrables entre Alger et Paris, il suffit pour s’en convaincre d’observer de part et d’autre les visites de ministres ou de personnalités. Elles sont réduites à peu de chose.
Le chef de l’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, devait effectuer une visite officielle en France en 2009. Elle n’a pas eu lieu et "elle n’est pas inscrite au calendrier", reconnaît le ministre algérien, alors que M. Bouteflika s’est (brièvement) rendu en décembre en Espagne. Certes, le président algérien, en route pour le sommet de Copenhague, s’est arrêté à Paris, en décembre, mais il s’agissait d’un séjour privé. Et il n’a duré que quelques heures.
Depuis la visite à Alger du premier ministre François Fillon, en juin 2008, aucun ministre français n’a rencontré M. Bouteflika - pas même un membre du gouvernement porteur d’un message de Nicolas Sarkozy. Au mieux, ils ont été reçus par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia.
Certains, qui souhaitaient se rendre en Algérie, ont même été priés de rester en France. Ils étaient indésirables à Alger. Ce fut le cas de Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur, et d’Eric Besson, en charge de l’identité nationale.
Un "ami" historique de l’Algérie, Pierre Joxe, membre du Conseil constitutionnel, n’a pas été mieux traité. Reçu à Alger à la fin janvier, il n’a pu, malgré des demandes réitérées, rencontrer le président algérien, alors que ce dernier lui avait adressé ses voeux à l’occasion du Nouvel An. Il a été reçu par le ministre de l’intérieur.
Quelques mois auparavant, Edith Cresson, l’ancien chef du gouvernement venu inaugurer le pavillon français de la foire d’Alger, n’avait eu droit à aucune rencontre officielle. "Elle est restée deux jours à Alger à tourner en rond", raconte un diplomate en poste à Alger, sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : "Il y a une volonté de boycotter les responsables français, spécialement de la part du président Bouteflika."
Pour expliquer le "long tunnel" dans lequel se trouvent les relations franco-algériennes, des diplomates français invoquent "l’immobilisme d’un pouvoir algérien qui rappelle l’époque Brejnev en Union soviétique" et "les luttes de pouvoir" attisées au sommet de l’Etat algérien par les rumeurs récurrentes sur la santé du chef de l’Etat.
Il n’empêche que des raisons plus substantielles nourrissent, côté algérien, "le froid" entre les deux capitales dont parle le chef de la diplomatie algérienne. "Il y a des dossiers qui font mal", lance M. Medelci.
Celui de l’assassinat des moines de Tibéhirine en 1996 n’est pas le moindre. Les religieux ont-ils été victimes d’islamistes, d’une bavure de l’armée ou d’une manipulation des services de renseignements algériens ? A défaut de répondre à la question, la déclassification récente de documents par l’administration française a ranimé les passions. "Pourquoi à nouveau vouloir jeter un rideau de doute ?", s’interroge le chef du FLN, l’ancien parti unique, Abdelaziz Belkhadem.
Autre sujet de crispation, "l’affaire Hasseni", du nom de ce diplomate algérien interpellé en France en 2008 et placé sous contrôle judiciaire dans l’enquête sur l’assassinat d’un opposant algérien, l’avocat Ali Mecili, en avril 1987 à Paris. Alger plaide depuis le début l’innocence du haut fonctionnaire. "Ce dossier a été géré de façon inacceptable (par Paris)", ajoute le ministre des affaires étrangères.
Attendue par Alger, l’annonce, il y a quelques jours, que le parquet de Paris avait requis un non-lieu en faveur du diplomate algérien aurait dû logiquement apaiser les tensions entre les deux capitales. Sauf qu’entre-temps, une nouvelle pomme de discorde est apparue. Elle a surgi avec la révélation, fin décembre 2009, par M. Hortefeux, que l’Algérie, avec six autres pays, faisait l’objet depuis des mois de mesures restrictives s’agissant de l’entrée de ses ressortissants en France.
"L’Algérie n’a pas à être sur cette liste. C’est inacceptable et nous ne l’accepterons pas", prévient le chef de la diplomatie algérienne. Même son de cloche au siège du FLN. "La France, explique M. Belkadem (qui a aussi rang de ministre d’Etat), parle de partenariat d’exception mais nous traite de façon discriminatoire. Si Paris persiste, il y aura des mesures de réciprocité."
M. Medelci ne va pas aussi loin : "On n’exercera pas de chantage, assure-t-il, mais il est hors de question d’accepter l’inacceptable, même si je me place sur le seul terrain politique." Et d’ajouter, sibyllin : "Pour l’instant".
Jean-Pierre Tuquoi
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