samedi 20 février 2010

Interview : Tamikrest (Ousmane)


Interview : Tamikrest (Ousmane)
Par Sedryk le Friday 19 February 2010

A l'occasion de la sortie du premier album de Tamikrest "Adagh", Ousmane, le jeune leader du groupe, nous raconte son parcours musical et nous expose ses craintes et ses espoirs pour l'avenir des kel Tamashek.
Quand as-tu entendu pour la première fois un Touareg jouer de la guitare ? Qui était-ce ?
La première fois, c'était sur cassette, dans les années 94-95. Puis j'ai vu la guitare de mes propres yeux, une guitare sèche, jouée par les ex-rebelles de 90.

Qu'as-tu ressenti cette première fois ?
J'ai tout de suite eu l'ambition de devenir artiste. Avec les autres jeunes, on avait l'habitude de chanter les chansons traditionnelles, ou celles de Tinariwen, et j'attendais le jour où j'aurais enfin une guitare !

Qui t'a appris à jouer de la guitare et à quel âge ?C'était vers 98-99 (il avait donc 14-15 ans). J'étais élève dans une école de Tin Zaouaten, l'école des enfants nomades de l'Adagh des Ifoghas. C'est une école privée financée par les villes de Lyon et des Ulis. C'est grâce à ces 2 villes que j'ai eu la chance de m'instruire et de parler français.
Chaque fin d'année, nous faisions un spectacle où nous chantions des chansons sur la scolarisation, l'ignorance, la vie nomade... Le directeur de l'école nous avait acheté une guitare, sur laquelle j'ai commencé à jouer. Ce n'est qu'en 2002 que j'ai eu ma propre guitare. Je jouais avec mes amis, en écoutant les vieilles cassettes d'Ibrahim (Tinariwen) ou de musiciens internationaux comme Bob Marley ou Mark Knopfler.
Après mon premier cycle, je suis venu à l'école à Kidal, c'est là que j'ai commencé à voir des concerts de groupes comme Tinariwen et à rentrer dans ce milieu des artistes.

Ibrahim semble être ton modèle ?
Oui, je peux le dire, c'est mon idole ! J'ai commencé la guitare en chantant ses chansons, qui me plaisent et me touchent profondément. Parfois, quand j'écoute ses textes, j'ai l'impression de les avoir écrits moi même. J'ai une cassette qu'il a faite en Algérie en 98, c'est toujours cette cassette que je mettais pour jouer en même temps que lui. Alors que j'apprenais avec la musique de Tinariwen, j'essayais déjà de faire mes propres chansons pour le spectacle de l'école de Tin Zaouaten.

Raconte-nous la rencontre avec les musiciens de Dirt Music...

Ça a été notre plus grande chance jusqu'à présent ! C'était en 2008 au festival d'Essakane. Par chance, notre tente était juste face à la leur. Au matin, nous prenions le thé devant la tente, ils sont venus nous voir, nous avons commencé à discuter et à jouer ensemble... Pour nous, c'était naturel car nous avons appris à jouer en écoutant aussi des groupes internationaux, du rock'n'roll, du jazz, du blues ou du reggae. C'est un plaisir pour nous de jouer avec d'autres musiciens et nous avons trouvé que nos musiques allaient bien ensemble. Si bien que, pour notre deuxième passage dans le festival, nous avons décidé de jouer ensemble sur scène et c'est ainsi qu'est née notre amitié.

De là, ils vous ont proposé d'aller en studio à Bamako ?
Oui, ils ont d'abord eu l'idée qu'on collabore sur leur propre disque, on était très heureux. 5 mois plus tard, Chris et Peter nous ont proposé de produire notre album.

A Bamako, c'était votre première fois dans un studio professionnel... est-ce que ça a été dur ?
On avait l'habitude des petits studios, mais c'était la première fois dans un studio professionnel. Ce n'était pas dur car les conditions étaient bien meilleures que ce que nous connaissions, on s'entendait parfaitement jouer. On a enregistré tout le monde en même temps, en conditions live.

Dans tes textes, tu souhaites plutôt faire passer des messages aux kel tamashek ou au reste du monde ?
J'aime la musique depuis que je suis enfant et déjà avant de jouer de la guitare, j'écrivais mes propres compositions. Quand il y a des choses qui te font mal, ça te fait du bien de le chanter, c'est comme d'en parler à un ami.
Quand j'étais élève et que je voyais la situation de notre pays, je rêvais d'être avocat ! Comme il m'était difficile de poursuivre des études, j'ai pensé que la musique pouvait jouer ce même rôle et me permettre de dire les mêmes choses. Donc, en général, ce qui me pousse à chanter, c'est ce qui fait mal à mon peuple et ce qui me fait mal en tant que personne.

Après le 23 mai 2006, vous avez choisi de ne pas rejoindre la rébellion... Pour toi, la solution n'est plus dans les armes ?Je n'ai jamais manié les armes et je n'ai jamais eu la volonté d'être dans l'armée. Je n'aime pas les actions violentes, de manière générale. Je comprend la volonté des jeunes qui ont rejoint les montagnes, mais ce n'était pas mon choix, je suis un artiste-musicien.
L'instabilité de 2006, c'était à cause de la non-application des accords de paix de 92. Nous sommes allé jouer au forum de la paix, en 2007, tout a été signé, mais rien n'a été fait. Tout le monde est revenu en ville, le gouvernement a promis du travail aux chômeurs, mais je ne vois aucun changement par rapport à avant. Aucun de nos droits n'est appliqué. Par exemple, si tu arrives à t'engager comme militaire, tu ne vas jamais monter en grade. On se considère comme un peuple sans droits.

Si la solution n'est pas les armes, où pourrait-elle être ?Il faut qu'on puisse se défendre politiquement, avoir des diplomates pour nous représenter à l'ONU, comme Mano Dayak. Nous aurons toujours les mêmes problèmes si nous n'arrivons pas à nous exprimer.

Dans le morceau "Alhoriya", tu dis rêver de voir ton peuple trouver son indépendance. Rêves-tu d'un pays Touareg autonome ?
Sans parler d'une fédération, cela me suffirait de voir mon peuple être indépendant dans ses actes.

Plusieurs de tes chansons parlent de la désunion des Touaregs. Crois-tu que cette union soit possible un jour alors qu'elle n'a jamais existé ?
Rien ne peut se faire sans l'union et je crois que c'est possible. La politique divise mon peuple alors que le peuple touareg ne devrait avoir qu'un seul but, une seule parole. Ceux qui pensent à leur intérêt personnel devraient d'abord penser à l'intérêt de leur communauté.
Je suis Malien, je vis en Algérie, et ici, je peux avoir la belle vie, une maison et une voiture. Mais tout cela ne m'intéresse pas quand je pense aux conditions de vie difficiles de mes parents qui sont en brousse. Nous sommes l'un des plus petits peuples au monde et ces guerres incessantes vont nous faire disparaître.

Dans le morceau "Outamachek", tu dis aussi que le monde avance alors que les Touaregs restent immobiles...
Si tu vas à Kidal, si tu vas voir le désert, tu auras l'impression d'être au temps de l'antiquité, ou même de la préhistoire ! Nous sommes tellement en retard par rapport au 21ème siècle. La cause de tout cela, c'est un niveau d'éducation très bas, nous n'avons pas d'écoles en brousse, pas de moyen d'éduquer nos enfants. Je ne parle pas des sédentaires comme moi qui vivent en ville et qui ont accès à internet.

Mais est-ce que ça veut dire que les Touaregs doivent renoncer à leur mode de vie traditionnel, le nomadisme ?
Non, pas du tout, ils doivent garder leurs coutumes et leur culture, mais cela ne les empêche pas d'être instruits. Sans un niveau d'instruction supérieur, nous ne pourrons pas suivre le monde de maintenant.




Propos recueillis par Sedryk

© tamasheq.net – février 2010

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