vendredi 8 janvier 2010

Interview : Jérémie Reichenbach realisateur du documentaire TESHUMARA


Interview : Jérémie Reichenbach
Par Sedryk le Tuesday 05 January 2010

A l'occasion de la sortie en DVD du film "Teshumara, les guitares de la rébellion touareg", son réalisateur, Jérémie Reichenbach, répond à nos questions et revient sur sa rencontre avec les musiciens de Tinariwen.

Comment s'est passée ta rencontre avec la musique touarègue ? Ça remonte à mon premier voyage au Niger, en 1997. Je m'y suis fait un ami qui avait fait partie de Takrist N'Akal, la première formation Nigérienne. C'est lui qui m'a fait découvrir la guitare touarègue et qui m'a traduit les chansons. 1997, c'était peu de temps après les accords de paix, c'était l'époque des intégrations des anciens combattants dans l'armée. Après ce voyage, je me suis renseigné sur le sujet, j'ai lu des livres, comme ceux de Claudot-Hawad, puis j'ai rencontré Nadia Belalimat qui m'a fait lire son travail.
Suite à ce premier voyage, j'ai donc eu envie de faire un film qui raconterait l'histoire des mouvements de rébellion au Mali et au Niger, au travers des chansons. En creusant, je me suis rendu compte du rôle central de Tinariwen dans la naissance de cette musique et je me suis rapproché d'eux. Pendant longtemps, j'ai eu dans l'idée de faire un film beaucoup plus général autour de la guitare touarègue et son lien avec la politique.

Au final, le film n'évoque que le Mali...Avec quelques digressions quand même sur des musiciens du Niger, comme Ajjo, la joueuse d'imzad, ou les groupes de tindé. Puis lors du tournage je me suis rendu compte à quel point les histoires des deux pays étaient particulières, mais j'ai mis longtemps à accepter de ne parler que du Mali.

Quand et comment as-tu rencontré les Tinariwen ?
J'ai d'abord rencontré Abdallah à Paris par l'intermédiaire de Nadia Belalimat. En 2000, je suis allé à Bamako où j'ai revu Abdallah, ainsi qu'Hassan. A ce moment là, j'ai entendu parler de ce projet de premier festival au désert, à Tin-Essako en janvier 2001. Je ne pensais pas revenir si tôt mais j'ai réussi àe convaincre mon producteur qu'il fallait absolument être présent à cet événement où tous les musiciens allaient être réunis. Une grosse partie du tournage a eu lieu à ce moment là et j'ai pu rencontrer les autres membres du groupe. A ce moment là, il y avait dans Tinariwen des gens comme Japonais ou Kobiwan, qui ne font plus partie du groupe qu'on connait maintenant.

Sur combien de temps s'est étalé le tournage ?
Plusieurs années. Il y a donc eu tout ce tournage début 2001, mais j'avais l'impression qu'il me manquait des choses alors j'y suis retourné en 2002. Suite à différents problèmes de production, le film n'a été terminé qu'en 2005 et est sorti en salle en 2006.

Quelles difficultés particulières as-tu rencontrées lors du tournage ?Ça a été un peu compliqué au début avec les membres du groupe. Il faut dire que j'ai moi-même beaucoup appris en faisant le film et je ne m’y prendrais pas de la manière aujourd’hui. A cette époque le groupe avait du mal à vivre de sa musique. Quand je suis arrivé avec mon projet, ils pensaient qu’il s’agissait d’un film à gros budget. Ils estimaient que cela devait être à la hauteur de leur histoire. Mais petit à petit, ils m'ont accordé leur confiance et ont cru dans le projet, même s’il était fait avec de petits moyens.

L'un des mérites du film est de montrer le groupe dans son fonctionnement original, avec ses membres historiques, avant qu'il devienne le groupe qu'on connait aujourd'hui...

Oui, et d'ailleurs, je pense qu'ils ne tiendraient plus complètement le même discours qu'à l'époque, maintenant qu'ils ont répondu à des centaines d'interviews et que leur situation a beaucoup changé. nCe film représente beaucoup pour moi et même si j’y vois beaucoup d’imperfections et de maladresses et que je le vois un peu comme un film de jeunesse, la réalisation de Teshumara m’a énormément appris tant humainement que dans mon travail de documentariste.
J’ai pourtant un regret, que l'on n'ait pas pu mettre en place un réel partenariat avec les producteurs musicaux, j'aurais aimé qu’ils se réapproprient le film, et puis aussi pouvoir continuer à filmer le groupe encore aujourd'hui... Mais le film à tout de même eu une belle carrière et à été projeté de nombreuses fois en France mais aussi à Rome, à Londres à Lisbonne, en Roumanie et au Maroc… Il a remporté deux prix lors de festivals…
Mais ce qui me fait le plus plaisir, au-delà de la vie que le documentaire a eu ici et dans les festivals, c'est son accueil là-bas. Tous les jeunes ishumar connaissent le film, et je sais qu'il a été copié, piraté, en Algérie au Mali et au Niger. On m’a même raconté qu’il était vendu sous le manteau en Lybie. Le film est devenu une référence, et c’est très gratifiant.

Ton souvenir le plus fort sur ce tournage ?
Il y en a beaucoup ! Les conditions de tournage ont été difficiles. Une fois, par exemple, on s'est retrouvé bloqué 10 jours à Kidal car il n'y avait plus d'approvisionnement en essence. Il a fallu négocier avec l'armée malienne, qui nous l'a vendu 2 fois plus cher !
Je me souviens aussi d’une séquence que j’ai tournée et que je n’ai finalement pas pu utiliser dans le montage final du film. J’avais visité un village construit pour les réfugiés touaregs, proche de Gao, qui avait durant la rébellion été attaqué par les milices gandacoï où de nombreux civils avaient été massacrés. Le village avait été depuis complètement déserté et cette petite ville fantôme m’avait fait une impression très étrange. Comme les toits des maisons avaient été volés, cela rappelait les images des villes d’Europe d’après guerre...

"Teshumara" a été achevé il y a plusieurs années et sort maintenant en DVD... Avec le recul, comment juges-tu ton film ?Pour dire la vérité, quand je le revois aujourd'hui, j'aurais envie de le remonter, certaines choses ne me plaisent plus... Mais je suis toujours aussi emmené par les témoignages d'Ibrahim, notamment quand il raconte l'histoire de son père qui a été arrêté à Kidal puis exécuté. Je trouve aussi la fin très émouvante quand il fait le bilan de la rébellion et des accords de paix. Il y a de l'amertume, mais également plein d'espoir et je trouve qu'il a été très visionnaire. Il a cette prémonition que cette paix toute neuve n'est que relative et que l'histoire de la rébellion n'est pas finie.
Sinon, pour ce qui est de la musique, j'aime particulièrement les morceaux de Japonais, notamment "Awa didjen", filmé sous la tente. J'en profite pour signaler que l'édition DVD contient aussi en bonus un morceau de Tidawt filmé à Agadez pendant les repérages, en 2000.

Depuis que tu les as filmés, les Tinariwen sont devenus très connus dans le monde entier... En as-tu été surpris ou t'y attendais-tu ?Quand j'ai vu comme cette musique me touchait, je me disais que je ne devais pas être le seul, mais je ne m'attendais pas non plus à un tel succès dans le monde entier et à cette "mode" touarègue actuelle.

Qu'as-tu ressenti la première fois que tu as entendu de la guitare touarègue ?
Déjà, la première fois, c'était des gens qui la jouaient, ce n'était pas des enregistrements. Il y avait ce côté très rock qui me plaisait, mais aussi ce côté très lancinant et répétitif. Au premier abord, beaucoup de morceaux semblent se ressembler car ils sont dans la même tonalité. D'où la grande qualité du travail fait sur les disques de Tinariwen qui ne donnent pas du tout cette impression là.

De très nombreux groupes se sont engouffrés derrière Tinariwen, t'intéresses-tu à ces jeunes groupes ? Lesquels te paraissent les plus intéressants ?
Je garde un oeil sur ce qu'il se fait mais je m'en suis un peu éloigné aussi. Je ne peux pas faire que des films sur la musique touarègue ! Je ne suis pas fan de tout, mais j'aime bien Tamikrest, les jeunes de Kidal, et aussi Bambino au Niger, évidemment.

Tu viens de réaliser un nouveau film sur les Touaregs, "La mort de la gazelle"... Quel est le propos de ce film ?

Je connais maintenant mieux le Niger que le Mali et j'ai donc suivi de très près tous les événements au moment de la naissance du MNJ. J'avais souvent des nouvelles car beaucoup de gens que je connaissais rejoignait le front et je ne me retrouvais pas dans la façon dont les événements étaient traités par les médias. C'était toujours traité de façon très succincte et superficielle, notamment au moment de l'arrestation de ces 2 journalistes français. Tout d'un coup, la vie de ces 2 journalistes avait plus de poids que tout un peuple. Je ne pouvais plus supporter ça et j'ai pensé que j'avais autre chose à apporter. À l’origine, je voulais aussi parler de ce que subissait les populations civiles, mais, pour des raisons de sécurité, j'ai dû resté avec les combattants du MNJ. Au final, c'est surtout un film sur ces jeunes recrues.

Quand tu es parti, avais-tu conscience que c'était un tournage à haut risque ?Oui, tout à fait. Je n'avais pas tellement peur de me faire arrêter par le gouvernement mais plutôt de me faire canarder ou de sauter sur une mine. Je suis resté un mois sur le terrain, en me retrouvant un peu bloqué car le MNJ attendait une grosse attaque de l'armée. On ne pouvait donc pas trop bouger et on a passé beaucoup de temps à attendre. Il y avait bien sûr beaucoup de secret autour de toutes ces opérations, on ne savait jamais quand on allait bouger, où on allait dormir. J'étais au même niveau d'informations que les combattants de base.

J'imagine que cela n'a pas dû être facile de se faire accepter par les combattants, à cause de ce côté secret, justement...Cela n'a pas été difficile pour les combattants, mais plutôt de la part des chefs. Au final, ils sont très peu présents dans le film. C'est d'ailleurs ce qui m'a été reproché ensuite par les membres du MNJ car le film n'est pas porteur du message politique officiel du mouvement. Mais la réalité des jeunes combattants que j’ai trouvé sur le terrain m’a paru très éloignée du discours officiel. J’ai plutôt connu des jeunes mal formés et mal équipés, qui risquaient leur vie sans vraiment savoir pourquoi. D'ailleurs, le mouvement s'est fini de manière assez triste... Autant au milieu des années 90, on pouvait espérer quelque chose des accords de paix, mais là, la situation ne peut pas se régler uniquement avec les milliers ou millions de dollars de la Libye, s'il n'y a pas une vraie volonté politique d'arranger les choses.

Tu t'attends donc à ce que ça recommence ?Oui, d'une manière ou d'une autre. Toutes ces vies perdues, tous ces jeunes qui ont sacrifié 2 ans de leur vie au front, et tout ça pour ça ? Une fois que les combattants auront dépensé l'argent qui doit leur être reversé, que vont-ils faire ?



Propos recueillis par Sedryk.

© janvier 2010 - tamasheq.net

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