samedi 30 août 2008

La rébellion touarègue, entre opportunisme et idéal politique



Virginie Gilles- Africa international -N° 422 – Aout 2008

samedi 30 août 2008

Boubous noirs et chèches bleus, les Touaregs du Niger et du Mali, contraints à la sédentarisation, se sentent aujourd’hui exclu de la vie socio-économique et politique. A coup d’actions d’éclats, ils tentent de se faire entendre et de préserver, coûte que coûte, leur culture et identité.

Au Niger, les rebelles touaregs du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) ont libéré leurs otages, le 25 juin 2008. Les 4 salariés du groupe nucléaires français Areva avaient été enlevés trois jours plus tôt sur le site d’une mine d’uranium, à Arlit, dans le nord du pays. L’opération était destinée à faire pression sur les autorités de Niamey. Agali Alambo, chef de la rébellion, explique qu’il voulait faire passer un message au gouvernement : la communauté touarègue refuse toute prospection et exploitation des richesses du sous sol avant que soient résolus les problèmes dans le nord du pays, ou cette communauté est installée. Les litiges portent sur « la décentralisation, le développement social, le respect de l’identité touarègue, l’intégration économique et sociale » énumère Ahmed Akoli secrétaire général du MNJ en Europe.

Le mouvement, apparu en début 2007, se bat pour les populations locales afin d’obtenir une plus grande part de revenus générés par l’uranium extrait dans la région. Le MNJ réclame également davantage d’emplois pour les Touaregs. « Nous représentons seulement 10% des effectifs sur les sites d’exploitation. Nous sommes affectés aux basses taches : conducteurs, agents de sécurité, veille technique » ajoute Ahmed Akoli « Ils veulent nous assujettir » lance – t– il agacé.

Les gouvernements nigérien et malien se sont accordés, en 1992, pour apaiser la rébellion des Touaregs qui durait depuis deux ans et menaçait de tourner à la guerre civile. Deux questions principales ont été réglées : la décentralisation des régions et la démilitarisation par l’intégration de quelque 2500 Touaregs dans les armées régulières, la police et la fonction publique. Les pouvoirs publics ont aussi promis de réfléchir à amélioration des conditions de vie des populations locales et une plus grande implication dans la vie économique et politique des deux pays.

En 2008, les Touaregs estiment que les engagements n’ont pas été tenus. « Premier point, avance le secrétaire générale du MNJ, la décentralisation n’as jamais été faite. Le pouvoir central influence toujours les élections régionales et c’est lui qui nomme les gouverneurs » Initialement, l’autonomie octroyée aux régions devait être communale, départementale et régionale. Mais seules les communes ont été touchées par cette mesure et les préfets, nommées par décret, font tout leur possible pour maintenir leur contrôle. Dans un but de sédentarisation, les Etats malien et nigérien gardent un œil sur les régions touaregs, sous prétexte de sauvegarder l’unité nationale. A contrario , les Touaregs aspirent à retrouver leur nomadisme d’antan avec, à leur tête, un chef de tribu local. « Pour ce qui est du développement économique, ajoute Ahmed Akoli , on n’en a jamais profité. Toutes les richesses sont au sud. Les banques sont au sud. Rien n’est renvoyé vers le nord » Evoquant les efforts de développement exigés par les rebelles, le président malien , Amadou Toumani Touré avait indiqué en 2007, lors du Forum de Kidal destiné à la réflexion sur les moyens de promouvoir les régions nord du Mali, que plus de 500 milliards de F CFA (762 millions d’euros) avait été débloqués, 140 milliards (213 millions d’euros) sont aujourd’hui prêts à être investis, qu’il faut ajouter aux 12 milliard de FCFA (18 millions d’euros) prévus pour le projet de développement de la région de Kidal ( huitième régions administrative, au nord-est du Mali). Les revendications exprimées pour Kidal , capitale des Ifogas- une tribu touareg exerçant depuis plusieurs générations un rôle politique majeur dans la région_ portent sur le développement de cet immense espace désertique, toujours traversé par les Touaregs et leurs troupeaux.

Représentant 6% de la population malienne, soit 4000 000 personnes selon les chiffres officiels , les Touaregs sont dispersés entre le Mali, la Libye, l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso et, dans une moindre mesure le nord du Nigeria et le Tchad. A titre d’exemple, Kidal ne dispose que de quatre centres de santé, soit un pour 60 km2. Ex-chef du Mouvement nationale pour la libération de l’Azawad, groupe rebelle armé au nord mali , le lieutenant colonel Hassan Fagaga s’est félicité de la réaction du chef de l’Etat malien. « Notre région est pauvre et nous voulons travailler à son développement » insiste- il. Les secteurs social, marchand, culturel et surtout, la santé et l’enseignement, pâtissent du manque de moyens. « Les autorités nigériennes comme malienne ne comprennent pas nos besoins , ne respectent pas nos spécificités culturelles. Ils veulent nous assimiler autres communautés » s’enflamme Ahmed Akoli du MNJ.

L’identité est un des éléments fort de la revendication touarègue. « Nous avons une culture, des coutumes, une civilisation et des mœurs que nous entendons faire respecter » troisième communauté du Niger après les Haoussas et les Djermas-Songhaïs, les Touaregs sont considérés comme une minorité alors qu’ils peuplent les trois quarts du territoire nationale. Leur population est évaluée à 3 millions d’individus sur prés de 13 millions de Nigériens. « Les combattants touaregs ont bien été incorporés dans l’armée mais, pour contrebalancer cette intégration , Niamey et Bamako ont recruté prés de 10 000 hommes dans les autres communautés » affirme le secrétaire générale du MNJ. « Parler d’intégration est incorrect. Nous sommes citoyens de ces pays. C’est un comble : nous luttons au sein même de nos propres Etats pour être reconnus » s’agace Ahmed Akoli. L’indemnisation accordée par le Niger et le Mali aux 6000 combattants touaregs démobilisés en 1995 s’est élevée à un peu plus de 78 000 F FCA par personne, après douze années de réclamation. « Ils se moquent de nous , lance dépité Ahmed Akoli. « Mais la relève est là. Les jeunes se sentent très concernés par les revendications de notre communauté. Nous avons su rester soudés » s’exclame-t- il avec fierté. D’ou la prise d’otage, un moyen de pression très utilisé de nos jours tant au Nigeria qu’en Irak ou en Colombie.

Page 24 Africa international -N° 422 – Aout 2008

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