11-09-2010, 19h38
Terrorisme (en France) : "La menace n’a jamais été aussi grande" (JDD)
Journal du Dimanche : 12 septembre 2010
Interview de Bernard Squarcini, patron de l’antiterrorisme français
photo :Site /Aqmi et des otages au Sahara.
Bernard Squarcini, patron de l’antiterrorisme français, ne cache pas son inquiétude pour les "semaines ou les mois" qui viennent.. Sa plus grande crainte? Un attentat kamikaze en France.
Le plan Vigipirate rouge est en vigueur depuis 2005 et les attentats de Londres. Cette situation est-elle appelée à perdurer?
Il faut être clair. Notre pays, à cause de son histoire, de son engagement en Afghanistan, de prises de positions fermes en matière de politique étrangère et de débats de société comme la loi sur le voile intégral, fait l’objet d’un intérêt très particulier de certains mouvements islamistes radicaux. Pour le moment, ils ne s’en sont pris qu’à nos intérêts à l’étranger...
Concrètement, à quel niveau de menace la France est-elle confrontée?
Nous sommes aujourd’hui au même niveau de menace qu’en 1995. S’il y a des militaires dans les aéroports, des barrières devant les écoles et des sacs poubelles en plastiques, ce n’est pas pour rien. Tous les clignotants sont dans le rouge. Notre dispositif nous permet de pouvoir anticiper et de neutraliser préventivement des projets terroristes. Vous dire que nous sommes infaillibles, non. Que nous faisons énormément d’efforts, oui. Aujourd’hui, compte tenu des signalements qui nous sont transmis par nos partenaires étrangers et de nos propres observations, il y a des raisons objectives d’être inquiets. La menace n’a jamais été aussi grande.
Quel genre d’attentats craignez-vous?
Tous les scénarios sont envisagés. On sait depuis longtemps qu’Al-Qaida cherche à fabriquer des bombes virales mais ne parvient pas à isoler les virus ni à les faire durer. Selon nos analyses, la menace en France est triple: le français converti qui se radicalise et monte son opération seul ; Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui dépêche un commando pour commettre un ou des attentats en France ; et les djihadites, ces Français qui partent en Afghanistan ou au Yémen, demain en Somalie et qui reviennent clandestinement, aguerris, pour poursuivre leur combat sur le sol français.
Il y a donc de jeunes Français qui se battent contre des soldats français en Afghanistan?
Je ne sais pas ce qu’ils font exactement là-bas – il nous revient que le Français ne serait pas très apprécié, contrairement au Kurde, notamment, sur les théâtres d’opérations – mais une dizaine se trouvent actuellement sur zone.
Craignez-vous une réaction d’Aqmi à l’opération de juillet pour libérer l’otage Michel Germaneau?
A cause de la date butoir de l’ultimatum et parce qu’il n’avait plus de médicaments, il fallait tenter cette opération de la dernière chance pour le sauver. C’était d’ailleurs une opération qui a fait d’énormes dégâts chez l’adversaire. Mais nous n’avons pas besoin des communiqués du chef d’Aqmi, Abdelmalek Droukdal, pour savoir que nous sommes visés. Dans la bande sahélienne, de plus en plus élargie, le Français est une cible. Pourquoi croyez-vous que nous avons dissuadé le Paris- Dakar de s’y rendre ? Pour l’instant, les islamistes ont fait ce qui était le plus facile pour eux : attaque de notre ambassade et assassinats de touristes en Mauritanie, enlèvement de ressortissants au Mali et au Niger… Mais on s’attend à avoir des attentats sur notre territoire. N’oubliez pas qu’Aqmi est une franchise d’Al-Qaida: ils essaient de suivre les mêmes objectifs que la maison mère.
Avez-vous plus de craintes à cause de la date symbolique du 11 septembre?
C’est vrai que les Américains sont inquiets à l’approche de cette date. De plus, ils doivent gérer cette polémique sur la construction d’une mosquée à New York, près de Ground Zero. Sans parler du pasteur fou qui veut faire des autodafés du Coran… Mais il faut aussi prendre en compte le contexte international : la remontée de la tension entre Israël et l’Iran, le retour du Hezbollah sur la scène internationale, l’approche du procès du Tribunal spécial pour le Liban, où nous avons des soldats au sein de la Force des Nations unies au Liban (Finul). La menace du terrorisme fondé sur le fanatisme religieux est assez lourde, nous n’avons vraiment pas besoin du retour d’un terrorisme à support étatique…
Les leçons du 11-Septembre ont-elles été retenues?
Oui. Les Etats-Unis ont compris qu’ils étaient vulnérables non seulement à l’extérieur de leurs frontières mais aussi sur leur sol. Et la tentative d’attentat de décembre 2009 sur le vol Amsterdam-Detroit – avec ce jeune Nigérian qui a pu prendre l’avion et même choisir un siège juste audessus du réservoir central de l’appareil – démontre que, quel que soit le niveau de riposte, la menace est toujours d’actualité.
Et en France?
Le Président a voulu une réforme du renseignement intérieur. Elle a été opérée il y a deux ans avec la fusion DST-Renseignements généraux. Quelques mois plus tard, nous avons opéré une seconde réforme, plus discrète, qui consiste en un rapprochement opérationel avec la DGSE. La communauté française du renseignement parle aujourd’hui d’une seule voix. Les notions de menaces extérieures et intérieures sont dépassées. Aujourd’hui, les renseignements, il faut aller les chercher très loin et ils ont une incidence directe sur notre territoire. Dès qu’un clignotant s’allume au sein du service extérieur, il pense au retour en sécurité intérieure.
Pour quels résultats?
Nous déjouons en moyenne deux attentats par an. Je peux vous citer celui qui visait le 27e bataillon des chasseurs alpins, engagé en opérations extérieures en Afghanistan, Adlene Hicheur, cet ingénieur du Centre européen de recherche nucléaire (Cern) qui avait proposé ses services via Internet à Al-Qaida au Maghreb islamique. Ou celui d’un kamikaze qui prévoyait de faire sauter une salle de spectacle parisienne à l’occasion d’une collecte de fonds pour l’armée israëlienne… Il avait été interpellé en Egypte et nous venons de le récupérer.
Constatez-vous une radicalisation chez les musulmans de France?
Ecoutez, sur 6 millions de musulmans en France, il y a peut-être 300 individus qui posent problème. Quant aux lieux de culte, sur 1.800 environ, moins d’une trentaine peuvent poser problème. Le système de veille du ministère de l’Intérieur, qui a la tutelle sur les cultes, est bon. Chaque fois qu’un imam dérape, il est rappelé à l’ordre ou expulsé.
La coopération avec nos partenaires européens est-elle satisfaisante?
Travailler à 27, ce n’est pas simple. On l’a vu quand on a voulu instaurer un plan européen du Passenger Name Record, qui nous aurait permis de disposer de toutes les données du dossier du voyageur aérien dès la réservation du billet. Il n’y a pas eu d’unanimité. En fait, il existe un partenariat historique avec tous ceux qui ont déjà été frappés par des attentats terroristes: les Espagnols, les Italiens, les Allemands, les Anglais… La conséquence de ce blocage à Bruxelles, c’est qu’aujourd’hui, près de dix ans après le 11-Septembre, les compagnies aériennes ne nous transmettent la liste des passagers que deux heures après le décollage. Alors que ce serait peut-être intéressant de travailler préventivement…
A votre connaissance, Ben Laden est-il toujours vivant?
Ben Laden vivant ou mort, ça ne change rien au problème. La question aujourd’hui est de savoir si Al-Qaida reste contenue sur la zone afghano-pakistanaise ou si elle parvient à s’implanter durablement au Yémen et en Somalie et, depuis la Corne de l’Afrique, réussir à faire la jonction avec Aqmi, qui opère déjà du Tchad au Sénégal… Rappelez- vous il y a quinze ans, quand nous avons subi la série d’attentats de 1995, la menace nous arrivait uniquement de l’est d’Alger. Elle s’est considérablement étendue.
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