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14/09/2009 à 15h:12 Par Cherif Ouazani
source : jeune Afrique
Huit ans après le 11 Septembre, la lutte contre Al-Qaïda passe aussi par l’Afrique. Ennemi numéro 1 : l’Algérien Abdelmalek Droukdel, le chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, qui rêve de fédérer les djihadistes de la Mauritanie à la Somalie.
Trois semaines après la réunion, les 13 et 14 août, à Tamanrasset, de quatre chefs d’état-major, les généraux Gaïd Salah (Algérie), Mohamed Ould Ghazouani (Mauritanie), Gabriel Poudiougou (Mali) et Boureïma Moumouni (Niger), des experts militaires de ces mêmes pays ont, le 6 septembre à Alger, mis une dernière main à une offensive contre l’ennemi commun : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
AQMI, nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) depuis son allégeance, en septembre 2006, à Oussama Ben Laden, est née en février 2007. Deux mois plus tard, l’Algérie est frappée par les premiers attentats-suicides de son histoire. Les maquis de l’ex-GSPC s’ouvrent aux candidats djihadistes des pays de la région qui veulent en découdre avec « les croisés américains en Irak et en Afghanistan ». D’une organisation nationale luttant contre le régime en place, le GSPC se transforme ainsi en un mouvement transnational reprenant à son compte l’objectif d’Oussama Ben Laden : instaurer un califat planétaire.
Ce changement de stratégie est l’œuvre d’un homme, Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud. Son rêve : devenir un Ben Laden maghrébin et fédérer les djihadistes africains, de la Mauritanie à la Somalie. Voici l’histoire de celui qui vouait une admiration sans bornes à feu Abou Moussab al-Zarqaoui, le sanguinaire chef d’Al-Qaïda en Irak.
De la chimie au maquis
Droukdel voit le jour le 20 avril 1970 à Meftah, dans la banlieue sud d’Alger, à la lisière de la Mitidja. Son père, Rabah, est membre d’une modeste coopérative agricole comme il en existe des centaines dans cette région depuis la nationalisation des terres et la révolution agraire menée par le président Houari Boumédiène en 1971. Sa mère, Zghida Z’Hour, est femme au foyer. La famille vit à Zayan, une dechra (« hameau ») située à quelques encablures de Meftah, au piémont de l’Atlas blidéen. Enfance et adolescence sans histoire : scolarité à Meftah, études secondaires à El-Harrach. Il a 13 ans quand apparaissent les premiers maquis islamistes, comme le Mouvement islamique armé (MIA) de Mohamed Bouyali. Son champ d’action : la Mitidja. Outre Bouyali, le MIA possède trois « étoiles montantes » : Abdelkader Chebouti, Mansouri Miliani et Abdelkader Hattab. Trois personnalités qui auront une influence considérable sur le jeune Droukdel.
Meftah a une double vocation. Industrielle, avec sa cimenterie, et agricole, avec ses plantations d’agrumes sur des centaines d’hectares. Au fil des ans, le prolétariat local délaisse les idées de gauche. La mosquée devient un centre de rayonnement culturel et idéologique. Droukdel se met à la fréquenter assidûment et entend les fidèles évoquer les fatwas de Chebouti et les « exploits » d’Abdelkader Hattab. Le collégien pleure à chaudes larmes quand il apprend la mort de Bouyali, tombé dans une embuscade de la gendarmerie en 1986. Deux mois plus tard, Chebouti, Miliani et Hattab sont arrêtés, jugés et condamnés à mort par une cour spéciale en 1987, à Médéa, puis graciés par le président Chadli Bendjedid.
La fin des années 1980 est particulièrement noire pour l’Algérie : montée de l’islamisme, choc pétrolier, économie en panne, parti unique de plus en plus décrié. L’introduction du multipartisme, en 1989, permet l’émergence du Front islamique du salut (FIS), auquel Droukdel adhère aussitôt. Convaincus de l’inanité du combat politique et interdits de toute façon d’activités dans ce domaine, les trois héros du jeune homme préparent l’action armée et donnent des conférences dans des mosquées de la région.
Désormais bachelier, inscrit en technologie à l’université de Soumaa, à Blida, Droukdel devient un habitué des réunions préparatoires du djihad. Il rencontre enfin Chebouti et Hattab. Il a moins de chance avec Mansouri Miliani : le fondateur des Groupes islamiques armés (GIA) est très vite retourné à la clandestinité. C’est Hattab qui convainc Droukdel de rejoindre la lutte armée : « La République islamique ne peut être le produit de l’action politique. Seul le djihad… » L’argument lui sera également asséné par Chebouti. Lors d’une halqa (« réunion clandestine »), ce dernier lui demande ce qu’il fait dans la vie : « Étudiant en technologie, répond fièrement Droukdel. Mais je compte changer de filière pour étudier la religion à Constantine. » Chebouti le fusille du regard : « N’en fais rien, malheureux ! Le djihad a besoin de techniciens et de chimistes pour fabriquer les bombes qui exploseront sous les pieds des taghout [tyrans, terme désignant les membres des forces de l’ordre, NDLR]. » Droukdel suivra ce conseil en optant pour une licence de chimie. Il attend l’obtention de son diplôme pour rejoindre les maquis, en 1994.
Les militaires pour cible
Au sein des GIA, Droukdel opte pour le nom de guerre d’Abou Moussab Abdelwadoud. Et met en place les premiers ateliers de fabrication de bombes artisanales dans le centre du pays. Son ascension est fulgurante : chef de cellule, puis émir de phalange. Si Abdelkader Hattab a été éliminé, son jeune frère, Hassan, est une autre grande figure du djihad.
En 1998, lassé des dérives meurtrières des GIA et de son émir, Antar Zouabri (multiplication des massacres collectifs contre de paisibles villageois, fatwa rendant licites les attaques contre femmes et enfants…), Hassan Hattab décide de quitter les GIA pour créer une nouvelle organisation dont les cibles seront exclusivement militaires. C’est ainsi que naît, en janvier 1998, le GSPC. Bien qu’ayant fait de nombreuses victimes civiles (il était le chef d’une phalange particulièrement sanguinaire dans la région de Larbaa, au cœur de ce qu’on appelait alors « le triangle de la mort »), Droukdel saute le pas. Il est l’un des premiers à soutenir la démarche de Hattab. Membre fondateur du GSPC, il siège à ce titre au Majlis al-Choura (le conseil consultatif) de la nouvelle entité.
Ben Laden, produit d’appel
D’un point de vue politique, la situation évolue, en Algérie et ailleurs. Un nouveau président est élu en 1999. Abdelaziz Bouteflika propose la concorde nationale, une sorte de paix des braves assortie d’une grâce amnistiante. Près de 6 000 combattants déposent les armes, les maquis commencent à se dépeupler. Au sein de l’insurrection, le moral est en berne. Aux redditions s’ajoutent les pertes dues aux coups de boutoir de l’armée. Les attaques du 11 Septembre constituent une véritable aubaine pour le GSPC. Ben Laden devient un formidable « produit d’appel » pour relancer le recrutement. C’est alors que l’idée de faire allégeance à Al-Qaïda commence à trotter dans la tête de Droukdel, qui sonde ses compagnons, à commencer par son émir Hassan Hattab. « Pas question !, rétorque ce dernier. D’ailleurs, nous devrions réfléchir à la réconciliation nationale proposée par Bouteflika. »
Si ce n’était son patronyme et ses états de service, Hattab aurait été exécuté sur-le-champ pour hérésie. Il sera destitué et remplacé en novembre 2003 par Nabil Sahraoui, émir de la zone 5 (les Aurès), au grand dam de Droukdel qui rêve de prendre la tête de l’organisation pour lui donner une dimension internationale. Huit mois plus tard, les forces de sécurité localisent puis bombardent le QG du GSPC dans l’Akfadou, les monts qui surplombent la Petite Kabylie. Sahraoui et trois de ses fidèles lieutenants sont éliminés. Le Majlis al-Choura se réunit de nouveau et désigne enfin Abou Moussab Abdelwadoud émir du GSPC.
Nous sommes en juillet 2004. Un autre Abou Moussab fait parler de lui. Il est jordanien et donne du fil à retordre à l’armée américaine en Irak. Zarqaoui multiplie les actions spectaculaires et meurtrières contre les forces d’occupation et les civils irakiens, notamment les chiites. Il n’y avait aucune relation entre les deux Abou Moussab, jusqu’au rapt, en juillet 2005, de deux diplomates algériens en poste à Bagdad. Auteur du kidnapping, Zarqaoui demande conseil, par lettre, à Droukdel : quel sort réserver aux otages ? L’émir du GSPC s’engouffre dans la brèche : « Ce sont des taghout, il faut les exécuter. » Les deux diplomates sont égorgés séance tenante. Droukdel rend hommage à Zarqaoui et lui fait part de son intention de faire allégeance à Ben Laden et de placer le GSPC sous le label Al-Qaïda. Ayman al-Zawahiri, le bras droit de Ben Laden, lui propose de créer Al-Qaïda fi Bilad al-Barbar (« au pays des Berbères »), à l’instar d’Al-Qaïda fi Bilad al-Soudane (« au pays des Noirs »), phalange sahélienne du GSPC dirigée par Mokhtar Ben Mokhtar, interlocuteur historique de Ben Laden (c’est lui qui a organisé les déplacements de tous les émissaires de Ben Laden en Afrique de l’Ouest et au Maghreb). Droukdel refuse tout net : « Il y aura une organisation unique dans la région, et elle sera placée sous mon autorité. » Pour convaincre ses interlocuteurs de sa stature régionale, Droukdel ment avec aplomb : « C’est moi qui ai commandité et dirigé l’attaque [en juin 2005] de la caserne de Lemgheity, en Mauritanie. » Plus tard, on apprendra que c’est Mokhtar Ben Mokhtar, son rival, qui avait mené l’attaque, sans même l’en aviser.
À la une du New York Times
En quête de gloire et de notoriété, Droukdel ne se contente pas de rebaptiser le GSPC ; il adopte les modes opératoires d’Al-Qaïda : attentats kamikazes, attaques à l’explosif contre les convois de l’armée, opérations contre des ressortissants étrangers, diplomates ou opérateurs économiques. Investi d’une mission régionale, il étend le recrutement et installe des camps d’entraînement en Kabylie pour former des candidats djihadistes venus du Maroc, de Libye, de Tunisie, de Mauritanie et d’ailleurs. Suprême consécration : en juillet 2008, il fait la une du New York Times, à l’occasion d’une interview accordée (par écrit) au prestigieux quotidien américain. Le natif de Meftah est ainsi devenu une sorte de Ben Laden du Maghreb, dont le Grand Satan ne serait pas tant l’Amérique des néoconservateurs que la France de Chirac, puis celle de Sarkozy, coupable de soutenir activement les taghout algériens et de harceler les musulmanes voilées. Il est désormais traqué par les armées de plusieurs pays africains.
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