Dida Badi Ag Khamadine met de l’ordre dans les concepts
de la structure sociopolitique des Touareg
le 23.03.13 | 10h00 Réagissez
| © D. R.
Les Touareg ont depuis toujours évolué avec le concept de...
On a tendance à beaucoup parler des Touareg sans même prendre le temps et faire l’effort de comprendre qui ils sont vraiment.
Des clichés et stéréotypes sont légion sur cette population que certains ont voulu condamner au cadrage d’une carte postale, oubliant que derrière les magnifiques hommes bleus, il y a une histoire, des coutumes et une structure sociopolitique bien assise depuis des millénaires. Dida Badi Ag Khamadine, chercheur au CNRPH, a été invité, mercredi soir, par le centre diocésain des Glycines à animer une conférence pour expliquer cette structure sociopolitique touareg. Une manière de combattre les idées reçues et de remettre de l’ordre dans la désinformation servie par des médias en mal de sensationnel ou d’exotisme à la dose forcée.
L’universitaire algérien a brisé une première fausse idée sur les Touareg. «On présente toujours les Touareg comme une population nomade, pourtant il existe bel et bien, parmi ces populations, une partie sédentaire, et ce, depuis toujours, incluant le concept de propriété et de pouvoir», indique le chercheur en anthropologie et histoire, qui a évoqué sur les travaux effectués par des anthropologues occidentaux, notamment le Danois Johannes Nicolaisen. Ce dernier a introduit, en 1963, le concept de système politique touareg, mais il cantonna ces populations à la seule structure binaire (nobles- vassaux). «J’introduis pour ma part la structure sédentaire chez les Touareg comme fondement de la structure sociopolitique», affirme Dida Badi, en expliquant que chez ces populations sédentaires qui ont toujours existé, notamment à Djanet et au sein d’une partie des Touareg de Libye, la délégation de pouvoir suit le principe de matrilinéarité.
La femme, chez les Touareg, est propriétaire du sol, de la terre, alors que la gestion de cette terre revient à l’homme. La femme lui en offre la concession, à condition qu’il soit son neveu ou le fils aîné de l’héritière aînée de la famille. «Un homme qui n’a pas de sœur devient l’héritier de sa mère, mais s’il a une tante, c’est cette dernière qui hérite», explique Dida Badi. Et de préciser que si la femme hérite de la terre, l’homme profite de son usufruit. «L’homme se nourrit mais ne possède pas», dit-il.
Et de noter par conséquent que le droit à la propriété donne le droit au pouvoir politique. «La femme hérite du pouvoir politique qu’elle gagne économiquement et, de là, elle occupe une place privilégiée dans la société touareg ou des Imouchagh. La descendance féminine continue ainsi à garder le pouvoir. Dans cette situation, l’homme conserve le statut de serviteur de la femme ou son chargé d’affaires, d’où l’origine de l’amenokal. Ce dernier détient son pouvoir par une délégation de la femme. La légitimité du pouvoir se transmet par la femme.»
Dans sa dissection de la société touareg du Tassili N’ajjer, Dida Badi Ag Khamadine distingue trois composantes, éloignées cette fois du schéma binaire nobles-vassaux. La première composante est la population autochtone qui, à l’origine, est une population agropastorale néolithique sédentaire. La deuxième composante est une population berbère arrivée plus tard et qui a fait table rase de la patrilinéarité ou ce qui est communément appelé le système patriarcal, pour avoir accès à la généalogie matrilinéaire.
Une troisième population patrilinéaire originaire des côtes méditerranéennes a suivi et qui, pour sa part, apporta l’utilisation du dromadaire. Cette population fit une rupture avec son origine patrilinéaire. La facilité d’intégration de ces populations étrangères repose sur le principe d’appartenance culturel à l’identité touareg. «L’identité des Imouchagh se transmet par la langue. Lorsqu’une personne apprend la langue des Imouchagh, elle est admise dans cette communauté», note Dida Badi, montrant ainsi l’ouverture et la tolérance dont jouissent ces populations que certains, aujourd’hui, présentent comme une société fermée. «C’est sous l’effet de la globalisation, dont les premières manifestations apparurent avec les religions monothéistes, qu’il y a eu un effet sur le système matrilinéaire. Il n’y a pas eu éclatement de ce système. Mais nous vivons aujourd’hui un des aspects de l’influence grandissante de la globalisation», indique le conférencier, dont l’exposé a vraiment suscité l’intérêt de l’assistance.
«Un principe touareg dit ’El 3ada Teghleb Echaria’ ou la coutume prime sur la charia car elle est antérieure et l’autochtonie donne la légitimité», note Dida Badi. Un principe qui a permis, au fil des siècles, de conserver le système matrilinéaire malgré les influences venues d’ailleurs. Une matrilinéarité qu’on renvoie à Tin Hinane qui, pourtant, est une référence pour les populations nomades et non sédentaires.
«Tin Hinane en tamachagh veut dire ‘la voyageuse’, c’est-à-dire qu’elle se déplaçait beaucoup, autrement dit nomade, à laquelle se réfèrent les Kel Ahhagar. Ce qui est établi c’est que l’idéologie du pouvoir repose à chaque fois sur un récit faisant remonter la généalogie à un ancêtre féminin qui justifie l’accès au pouvoir politique ou au bien. Le récit aide à trouver une place sociale», explique le conférencier, en notant que même les populations nomades touareg connaissent la notion de frontières. «Beaucoup de gens pensent que les nomades n’ont pas de limites géographiques et donc sont susceptibles de perturber l’ordre étatique. C’est faux, ils savent et respectent très bien où s’arrêtent les territoires où ils vivent.»
Nadjia Bouaricha
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