MALI. Kidal a peur
Créé le 01-02-2013 à 16h15 - Mis à jour à 17h17
Au coeur de noeuds politiques, de rivalités de familles et de conflits d’hommes, l'ancien fief de islamistes est loin d'avoir retrouvé la sérénité. De notre envoyé spécial.
Mots-clés : ISLAMISTES, Touareg, Ansar Dine, Kidal
À Kidal, chaque jour, des familles quittent la ville pour se réfugier dans le désert, où passer la frontière et rejoindre la population des camps algériens de réfugiés de Bordj Moktar. Les Touaregs de Kidal, à tort ou à raison, ont peur. Et ils croient que l’intervention française a été comprise par l’arméemalienne comme un blanc-seing pour éliminer les populations du Nord.
Cette peur s’exprime aussi par des SMS, qui ressemblent à des appels de détresse, envoyés à des amis à l’étranger :
- "SOS depuis Kidal. Ici, l’inquiétude est grandissante dans le milieu de la population de la peau claire depuis la reconquête par l’armée malienne des régions du nord. Aidez-nous à trouver une issue avant qu’il ne soit trop tard !!! Merci."
Et encore :
- "Maintenant, il va falloir partir, mais pas de moyens, on va se faire massacrer."
Et aussi :
- "Plus le temps passe, plus l’inquiétude gagne la population. Chaque jour, des familles quittent par dizaines. De votre côté quoi penser ? (sic). Quand on écoute RFI, c’est non rassurant. Faites quelque chose SVP."
Cette psychose est alimentée par le manque de communication. Les deux réseaux téléphoniques ne fonctionnent plus - Malitel - ou très mal - Orange.
Les 500 hommes de Gamou
En réalité, les Français qui ont pris sans résistance l’aéroport de Kidal sont venus, dans un premier temps, sans les forces militaires maliennes. Depuis, les soldats qui sont intervenus appartiennent bien à l’armée du Mali mais sont d’origine touareg. Le corps a été formé par les hommes du Colonel Gamou, un officier qui s’était réfugié au Niger avec ses 500 hommes lors de la révolte du nord, contrôlé alors à Kidal par le Mouvement Ansar Dine, dirigé par Iyad Ag-Ghali, et Aqmi, et le Mujao pour Tombouctou et Gao. Le colonel Gamou et ses hommes avaient été désarmés par le Niger. Et depuis, ils rongeaient leur frein en attendant des jours meilleurs… Les voici ! Les Touaregs de Gamou ont été réarmés, remobilisés et ont foncé vers Kidal.
Cela ne rassure pas vraiment les gens de Kidal. Entre Ansar Dine et le colonel Gamou, il y a une longue histoire conflictuelle. D’abord parce que Gamou appartient à la tribu des Imrad alors que le chef militaire Iyad Ag-Ghali domine celle des Ifoghas, très puissante à Kidal. Ensuite parce que Gamou est un "souverainiste"; entendez opposé à toute velléité d’indépendance du Nord-Mali. C’est aussi un ennemi intime de la famille In Tallah dont le vieux patriarche, un sage, est reconnu comme l’autorité spirituelle de tous les Touaregs. Et dont le fils, Alghabass Ag-Intallah, a rejoint un temps le mouvement d’Ansar Dine avant de s’en séparer, en désaccord avec "l’aventure meurtrière" d’Iyad Ag-Ghali.
Querelles de familles
Un désaccord si profond qu’Alghabass Ag-Intallah, représentant de la noblesse de robe, a fondé son propre mouvement, le MIA (Mouvement islamique de l’Azawad), qui demande des négociations et la recherche d’une solution pacifique, en suppliant que l’armée du Mali ou de la Cédéao n’entre pas à Kidal. Quant au colonel Gamou, il est accusé d’avoir fait assassiner plusieurs membres de la famille des In Tallah et a combattu à mort la rébellion touarègue en 2006.
C’est tout ? Non. Le colonel Gamou a un autre ennemi personnel : Iyad Ag-Ghali, chef Ifohgas, et surtout, l’homme qui lui a ravi sa propre femme. L’épouse vit maintenant avec Iyad Ag-Ghali, et son fils, l’enfant de Gamou. L’affront est mortel. Certes, le colonel Gamou ne fera jamais assassiner Iyad Ag-Ghali, l’homme qui élève son propre fils. Cela ne se fait pas chez les Touaregs.
Mais le retour des cinq cents touaregs venus du Niger, des Imrad, commandés par Gamou dont le contentieux avec Kidal est lourd et ancien... Voilà de quoi inquiéter la population qui parle du retour de son "ennemi". Et tout le monde s’accorde à penser que ce serait une humiliation terrible pour Kidal, de devoir accepter la domination-protection de ces troupes dans le fief des In Tallah.
Le précieux soutien de Kidal
Noeuds politiques, problèmes de tribus, rivalités de familles, conflits d’hommes... Il faudra pas mal d’autorité et de subtilité aux politiques et aux militaires français, pour éviter une réoccupation brutale des militaires maliens du sud, juguler le fléau de la vengeance "Noirs contre peau claires" et "Touaregs souverainistes contre Touaregs rebelles", rassurer les populations nomades du nord, leur imposer une coexistence pacifique, à défaut d’une réconciliation, but ultime d’une véritable solution politique.
Et ce ne sera pas un luxe. Pour lutter contre la guérilla des intégristes d’Aqmi et du Mujao, pour obtenir des renseignements et l’adhésion de ceux qui connaissent et maîtrisent ce désert immense, Bamako et Paris auront besoin du soutien de Kidal.
Jean-Paul Mari - Le Nouvel Observateur
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