Interview de M. Rhissa Boula, Conseiller spécial du président de la République : «Il faut éviter que ce conflit malien ne se propage dans tout l’espace saharien»
JEUDI, 14 JUIN 2012 10:42 VUES: 5464
Partager16
M. RHISSA AG BOULA
Figure emblématique de l’ex-rébellion armée qui a sévi au Niger, M. Rhissa Ag Boula, qui assume actuellement les fonctions de conseiller spécial à la Présidence de la République, pense que l’option de la guerre, qui est de plus en plus envisagée dans la résolution du conflit armé au Nord Mali, n’est pas une bonne chose. Pour lui, il faut plutôt privilégier le dialogue, qui peut permettre de ramener durablement la paix au Mali et même dans toute la bande sahélo-saharienne.
Dans cet entretien à bâtons rompus qu’il nous accordé, il explique pourquoi l’option de la guerre est dangereuse et pourquoi chaque Nigérien doit s’investir dans la construction d’une paix durable et comment chacun doit s’y prendre. Il revient aussi sur les clauses des accords signés entre le gouvernement et l’ex-dissidence armée dont certaines sont toujours en souffrance depuis plus d’une décennie.
Le Niger est exposé à des menaces sécuritaires multiformes liées notamment au conflit armé maliens, la nébuleuse Boko Haram qui sévit sans discernement au Nigéria et l’instabilité qui règne encore en Libye après la chute du régime Khadafi. Quelle est votre lecture de cette situation ?
Ma perception de cette situation, c’est beaucoup dire. Vous n’êtes pas sans savoir que nous n’avons pas cessé d’attirer l’attention des Nigériens, notamment les plus hautes autorités sur toutes ces menaces, en leur faisant comprendre que cette crise libyenne ne compte pas s’arrêter sur le territoire libyen et qu’elle risque de toucher les pays limitrophes et même de la sous-région. Donc l’histoire nous a donné raison, aujourd’hui nous faisons face à la crise malienne et celle de la Libye n’est même pas terminée, car le pays est dans une instabilité. Dans la crise malienne, nous l’avons dit, il y a trop d’acteurs insaisissables. C’est vraiment une menace dans la mesure où ce pays voisin est complètement déstabilisé, et l’autorité centrale contestée.
Les groupes qui évoluent là-bas sont très mobiles, donc ils peuvent à tout moment s’infiltrer dans les Etats limitrophes. Voilà la menace en tant que telle, mais le Niger fait le maximum pour éviter une contagion ou une déstabilisation. Ces efforts, à mon sens, doivent s’accompagner de la collaboration de la population. J’ai l’habitude de dire que la paix n’est pas l’affaire des forces armées ou des pouvoirs centraux, c’est une dynamique qui concerne tous les Nigériens. Sans paix, on ne peut rien faire, c’est elle qu’il faut mettre au devant de toute chose. Au niveau du Nord, nous insistons beaucoup sur la consolidation de la paix parce que les yeux sont toujours tournés là-bas. Certains pensent que s’il y a menace ou déstabilisation elle ne peut provenir que du Nord. Non ! C’est une erreur de penser comme cela, que la déstabilisation peut simplement venir du Nord. Néanmoins, nous surveillons de près ce qui se passe au Nord. Nous avons fait un certain nombre d’activités et d’actions à l’endroit de la population du nord pour la sensibiliser, la former, afin qu’elle s’éloigne des conflits qui se passent dans les pays voisins et à éviter que ces crises n’arrivent chez nous. Donc, ces mêmes actions doivent être menées dans le Sud et au Centre du pays, pour que les populations de ces zones ne restent pas les bras croisés, attendant que la paix leur vienne du Nord seulement. Il faut que toutes populations et la jeunesse nigérienne participent à la consolidation de celle-ci. Il faut que la paix, l’unité et la fraternité soient dans nos comportements en évitant les frustrations.
Habituellement, quand de conflits pareils surgissent, ceux qui prennent les armes avancent comme argument le délaissement, l’abandon de leurs zones par l’Etat central. Au nord Mali, c’est entre autres arguments qui ont été brandis par les rebelles du MNLA pour justifier leur dissension. Partagez-vous cette idée ?
La question malienne ou celle des revendications posées au Nord du Mali ne se limite pas seulement à un problème d’investissements. C’est une question profonde qui remonte à plus d’une cinquantaine d’années. Il y a certes des revendications légitimes, mais il y a aussi une exagération de certaines de ces revendications. L’exagération, c’est le fait de vouloir se détacher du territoire malien aujourd’hui qui nous inquiète. C’est ce que j’appelle exagération, et c’est le rêve fondamental de mes frères du Mali. Mais il y a bien des revendications légitimes.
Même au Niger, il y a des revendications. Nous avons fait un certain nombre de rébellions, non pas parce que nous sommes des va-t-en guerre ou que nous aimons la guerre. Non, nous n’aimons pas la guerre, mais il y a des revendications légitimes, celles-ci existent mais je dis qu’on doit les poser dans un cadre républicain et dans l’intérêt du Niger. Donc les causes de cette situation sont connues.
Que pensez-vous de l’option militaire qui est de plus en plus envisagée au niveau de la CEDEAO, dans le cadre de règlement de ce conflit malien ?
Moi je prône la paix, c’est pourquoi je souhaite que tous les intervenants dans la résolution de la crise malienne puissent donner la chance au dialogue avant tout recours à la force. En tout cas, c’est ce que je souhaite de tout mon cœur, qu’on ouvre le dialogue sur ce qui peut être négocié. En donnant la chance au dialogue, peut-être qu’on pourra aboutir à des solutions beaucoup plus sereines que la guerre.
Pensez-vous vraiment qu’une solution durable peut être trouvée à partir du dialogue et qu’une paix définitive dans cette sous région sahélienne est possible, avec les menaces sécuritaires multiformes accentuées par le pillage des dépôts d’armes libyens ?
On peut tout trouver à travers les négociations. Dans tous les cas, quelle que soit l’issue de la guerre, on finira toujours par négocier, donc autant donner la chance au dialogue. Qu’on ouvre le dialogue, on verra ce que ça peut donner. Les différents acteurs peuvent s’entendre et discuter. Pour moi, la guerre doit être le dernier recours dans le règlement de ce conflit malien, lorsqu’on aura épuisé toutes les voies pacifiques. Même à ce niveau là, il faut prendre beaucoup de précautions. On ne veut pas que ce conflit, qui est aujourd’hui confiné à l’Azawad du Mali, soit propagé dans tout l’espace saharien. C’est cela qu’il faut éviter, en privilégiant toutes les voies de dialogue. Je pense que vraiment c’est la meilleure solution. Dans tous les cas, il faut dialoguer pour savoir ce que revendiquent ces différents groupes armés. Mais il faut aussi qu’il y ait au niveau de Bamako des institutions stables et légitimes, qu’il y ait une autorité à même d’écouter et d’être écoutée. Les Maliens doivent fournir en premier lieu cet effort.
Quel est le degré d’implication de l’Etat du Niger dans la résolution de ce conflit malien ?
Je crois que le Président de la République du Niger a parlé sur cette question il y a quelques jours. A mon avis, c’est la voie la plus autorisée pour parler au nom du Niger. Il a dit à tous les Nigériens ce que l’Etat du Niger fait sur cette question. Je ne reviens donc pas là-dessus. Mais en ma qualité d’observateur, je vois bien que le Niger s’implique à tous les niveaux, dans le cadre de la CEDEAO notamment, dans la recherche d’une solution à ces crises.
Dans le cadre justement de la recherche d’une solution à cette crise, les autorités vous ont désigné pour prendre part à une amorce de dialogue et cela à travers un comité qui a été déjà mis en place. Qu’en est-il exactement de cette mission confiée à vous ?
Je répète que le président de la République qui est la voie la plus autorisée a dit qu’il y a des négociations. Donc laissons ces négociations se dérouler, donnons la chance à cette facilitation. Il y a des efforts qui sont faits depuis longtemps, on n’est pas là les bras croisés. Nous, notre rôle, c’est d’aider les autorités à créer les conditions d’un dialogue, c’est tout. Des efforts sont faits, des discussions sont en cours, un médiateur de la CEDEAO est à pied d’œuvre. Qu’on ne se précipite pas pour trouver les résultats tout de suite, il faut laisser les discussions évoluer.
Sur le plan national, sous les auspices des plus hautes autorités, vous avez mené un certain nombre d’actions pour faire en sorte que les ex-combattants issus des différents fronts nigériens s’éloignent de ce conflit malien. Avez-vous le sentiment d’être bien compris ?
D’abord, j’ai décidé de mon propre chef d’entreprendre ces actions et je continuerai à les entreprendre, car telle est ma propre conviction. Mais il se trouve que les autorités nationales, le Président de la République en personne, soutient favorablement cette démarche qui met l’accent sur la sensibilisation de la jeunesse nigérienne sur ces crises libyenne et malienne. Donc le Chef de l’Etat s’y est impliqué, nous l’accompagnons, nous sommes avec lui pour que ce travail soit fait, et j’estime qu’il a été bien fait. En plus du président de la République, toutes les institutions à savoir : la Primature, la Haute autorité à la restauration de la paix, les gouverneurs et les élus locaux se sont tous investis dans cette démarche. Je peux dire que toutes les localités du Nord ont été touchées par ces actions. Mais j’ajoute que c’est ma propre conviction, car je sais de quoi je parle. Je rappelle que lors de notre rébellion des années quatre vingt dix, nous n’avons pas demandé l’indépendance d’un territoire ou revendiqué la séparation avec le Niger. Donc, ce n’est pas aujourd’hui qu’on doit le faire. Mais quand même la menace est réelle, en raison de la revendication posée chez notre voisin. Donc on peut dire qu’il y a péril en la demeure. C’est pourquoi nous nous sommes mobilisés pour que cela n’arrive pas chez nous.
Récemment un autre ex combattant qui occupe aujourd’hui des fonctions officielles avait mis en garde la CEDEAO contre tout usage de la force au Nord Mali. Cette apostrophe a été interprétée par certains compatriotes comme une marque de solidarité de sa part vis-à-vis des mouvements armés qui occupent l’Azawad. Partagez-vous cet avis ?
Non, non ! Moi je ne partage pas l’avis de la guerre. Je dis et je le répète, je milite pour la paix pour mon pays, pour le peuple du Mali et pour tout l’espace sahélien. Il faut donner la chance à la paix d’abord. L’appel à la guerre, c’est vraiment pour moi le dernier souci. Je dis bien qu’il faut que tout le monde se concentre sur la paix. Ce n’est pas la peine de faire des déclarations incendiaires ou va-t-en guerre alors qu’on sait très bien qu’on ne veut pas de ce conflit. La guerre va nous causer des dégâts en vies humaines, en destruction de biens et surtout en creusant un fossé énorme en termes de développement. Donc, ce n’est pas la peine qu’on cherche la guerre. Maintenant, s’il y en a certains qui disent que si la CEDEAO ou l’Union Africaine intervient au Mali, les Touaregs du Niger vont aller soutenir leurs frères du Mali, ça je ne crois beaucoup. Je ne veux pas que ce conflit s’étende dans tout l’espace sahélien, il faut tout faire pour l’éviter
L’Etat a pris un certain nombre d’engagements relativement aux accords de paix qu’il a signés avec la Coordination de la résistance armée de l’époque. A ce jour, est-ce qu’il y a des points de ces accords qui n’ont pas eu de satisfaction ? Si non, qu’est-ce que vous faites pour faire avancer les choses ?
Ne remontons pas aux accords de 1995. Rien que le dernier conflit de 2009 a été sanctionné par une ordonnance portant amnistie au profit des ex-combattants, laquelle ordonnance devait passer à l’Assemblée nationale pour adoption. Mais à ce jour encore, cette ordonnance n’est pas passée au parlement. Ceci illustre le retard qu’il y a toujours eu dans l’application des différents accords. Nous montrons quand même toute notre détermination pour sauver ces accords. L’Etat doit aussi appuyer ces démarches par des actes concrets. En 1995, il y a eu un accord de paix, mais il a fallu attendre 11 ans pour que certaines clauses de cet accord soient appliquées. Il a fallu 11 ans pour que le régime de l’époque se mette à bricoler les clauses de la réinsertion. On sait très bien que dans ce pays un programme communément appelé Programme spécial du président de République a été monté et financé à coup de plusieurs milliards de francs CFA. Mais dans ce financement, on a été incapable de prélever un seul milliard pour le consacrer à la réinsertion des ex combattants, qui est pourtant une clause des accords de paix signés par l’Etat du Niger.
On n’a rien fait, il a fallu 11 ans pour que cette clause soit bricolée, en s’appuyant notamment sur le PNUD (le Programme des Nations Unies pour le Développement), la Libye et la France. Ce sont ces genres de situations qui poussent parfois les jeunes à recourir à des solutions extrêmes. Parce que lorsqu’on prend une arme contre son pays, c’est que vraiment on est arrivé à une solution extrême. Je sais de quoi je parle. Sinon, ces accords sont plus ou moins appliqués, mais avec beaucoup d’insuffisances. Dans une des clauses de ces accords, il est dit que le recrutement dans les forces armées devait se faire chaque année par un appel du contingent annuel au niveau de toutes les régions du pays. Mais ce n’est pas le cas, à ce que je sache pour le recrutement militaire, mais ce n’est pas toujours évident dans la région nord. Et lorsque vous dénoncez cela, on vous considère comme un «ethniciste» ou un régionaliste. C’est une réalité. Pourtant, c’est dit dans les accords et c’est même un droit pour les Nigériens d’être recrutés sous les drapeaux. Ça c’est une des faiblesses de ces accords qu’il faut corriger.
Je parlais aussi tantôt de certains comportements de certains de nos frères nigériens qui frustrent, qui mécontentent, qui attentent à l’unité nationale. Des gens ont lancé à un moment donné sur des médias des appels pour aller lyncher des communautés ethniques. Mais l’Etat a réagi timidement. Voilà des choses qu’il faut éviter, on veut la paix. Nous, personne ne peut nous séparer du reste des Nigériens, personne ne nous peut nous séparer de nos cousins Songhays, de nos frères peulhs, de nos frères Kanuris, de nos cousins Djermas. On a pris femme, on a eu des enfants, on a appris les différents langues. Vraiment, il faut qu’on arrête certains comportements pour se consacrer à la construction d’une nation. C’est malheureux que certains Nigériens prennent ce qui arrive au Mali comme un exemple, c’est un malheur ! Il faut que les Nigériens se ressaisissent, en mettant en avant la fraternité et en évitant les mauvais comportements qui ne sont pas de nature à favoriser la construction d’une nation.
NIGERDEPECHES
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire