samedi 2 mai 2009

Une interview avec Moussa Kaka, Journaliste, Niger


http://www.visamedias.info/index.php-02-05-09
"Si l’intimidation marchait, le journalisme n’existerait pas" : Moussa Kaka, journaliste, Niger

Né et élevé au Niger, Moussa Kaka a commencé sa carrière journalistique au Républicain, et acquis sa notoriété internationale comme correspondant de RFI et directeur de la station de radio Saraounia. En 2007 après avoir couvert en première ligne un groupe rebelle, le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ), Moussa Kaka a été arrêté et emprisonné durant plus d’un an pour une accusation de "complot contre l’autorité de l’Etat" pour avoir interviewer une chef rebel. Grâce à la mobilisation internationale et au soutien des organisations de défense de la liberté de la presse, son cas est resté sous le feu des projecteurs. Il s’entretien aujourd’hui avec l’Association Mondiale des Journaux.

En raison de vos activités, vous êtes constamment menacé directement ou indirectement par ceux dont vous dénoncez les exactions. En quoi ce travail contribue-t-il à promouvoir la liberté de la presse au Niger ?

La liberté de la presse représente beaucoup, en tant que concept. Malheureusement, elle n’a pas beaucoup d’impact concret dans des pays comme le Niger. Nous n’avons toujours pas le degré de liberté nécessaire pour faire correctement ce métier, et nous nous battons encore pour nos droits fondamentaux. Quelque chose ne tourne pas rond quand l’Etat peut intenter une action au pénal contre un journaliste. Les gens parlent toujours de moderniser l’Afrique, mais ça ne sera pas possible tant que des journalistes iront en prison pour ce qu’ils disent ou écrivent. Vous voulez la démocratie, alors laissez la presse faire son travail.

Au Niger, quels sont les sujets importants qui sont absents des nouvelles et pour quelles raisons ne sont-ils pas couverts ?

La rébellion au nord du pays est l’évènement le plus important au Niger, et pourtant personne ne peut en parler car le gouvernement censureamj-kaka_1.jpg toutes les informations. Les gens ignorent tout simplement ce qui se passe dans la région. Ces événements ont lieu à plus de 1.000 kilomètres de Niamey, et nous n’avons aucun contact avec ceux qui s’y trouvent. La situation est totalement irréelle : il y a une guerre civile et les gens en sont à peine conscients. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour empêcher la moindre information de parvenir à l’ensemble de la population, affirmant qu’il maîtrise la situation avec le soutien de la communauté internationale. Entre temps, deux journalistes canadiens ont disparu récemment alors qu’ils enquêtaient au Niger.

Les journalistes dans ce pays sont des amateurs. Il y a peu de formation car les écoles sont chères, et pas de formation veut dire pas de professionnalisme : pourtant la dernière fois que j’ai vérifié c’était bien une profession pas un passe-temps. Le pire dans tout ça, c’est que le gouvernement prend prétexte de notre amateurisme pour justifier les restrictions de à la liberté de la presse : nous sommes pris dans un cercle vicieux, nous marchons à reculons, les yeux bandés. Si nous ne sommes pas une source fiable, alors le gouvernement commencera à être considéré comme tel, et les gens ne feront plus confiance aux journalistes. A l’heure actuelle, on trouve plus de 20 quotidiens au Niger et c’est le chaos total : le développement professionnel en est au niveau zéro.

On ne peut pas attendre que chaque journaliste reçoive une formation : on doit s’attaquer au problème dès à présent. Les réseaux sont déjà en place. Si un journal en Allemagne par exemple pouvait en aider un autre au Niger, je serai le dernier à les en empêcher. A l’heure d’Internet, des téléphones portables et même des voyages low-cost, des partenariats professionnels sont possibles. Parler du développement, c’est bien, mais cela apparaît toujours comme un idéal, une pensée lointaine : travaillons ensemble, faisons-le dès maintenant.

Je pense qu’il est important que les journalistes soient sur le terrain, qu’ils soient en contact avec les gens. La vie ici est dure et les Nigériens ont besoin de sentir un lien avec les journalistes qui parlent d’eux. Nous ne pouvons pas nous isoler dans notre bulle. La crédibilité est essentielle dans ce travail : il faut s’appuyer sur des faits et des sources, car la seule façon de survivre est de protéger son intégrité. On va en prison ici quand on est accusé de diffamation. J’essaie de travailler en restant fidèle à mes convictions et de capter l’intérêt des gens, de leur faire savoir qu’il y a quelqu’un qui va au fond des choses, quels que soient les risques. D’ailleurs, si l’intimidation marchait, ce travail n’existerait pas, ou du moins je ne le pratiquerais pas. Je suis prêt à retourner en prison, sans hésitation.

Le gouvernement vous a emprisonné pendant plus d’un an, vous accusant "de complicité de complot contre l’autorité de l’Etat" pour avoir interviewé un chef rebelle touareg du Mouvement des Nigériens pour la Justice. Qu’avez-vous à dire à propos de ces accusations ?

Ces accusations n’avaient aucun fondement, et le premier juge lui-même a rejeté le réquisitoire du procureur sans même m’avoir entendu ! Même si la Justice est aveugle, elle a bien vu que j’étais innocent. Ensuite, une bataille juridique a été engagée à propos de la validité des écoutes téléphoniques de l’Etat : une bataille qui a duré 9 mois durant lesquels j’étais en prison. L’Etat était si anxieux de me faire condamner qu’il a formulé une nouvelle accusation criminelle quand il a senti qu’il perdait son procès. Mes trois derniers mois ont été purges car l’Etat est allé jusqu’à faire appel de ma libération. On en arrive à se demander quand est-ce que le 21ème siècle va enfin commencer.

Publié avec l’aimable autorisation de l’AMJ

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