Jeune Afrique
Aqmi s'emploie à fragiliser la cohésion sociale touarègue pour mieux s'implanter. © Zohra Bensemra/Reuters
Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) gagne progressivement la confiance et la complicité des populations nomades du nord du Mali. Au grand dam des chefs traditionnels, dont l'influence décline. Mais ceux-ci commencent à réagir. Enquête exclusive.
Ils distribuent des habits, des vivres, et même de l’argent dans les villages nomades du grand Nord malien. Et ils sont en général bien reçus par la population. « Les éléments d’AQMI ne font pas de mal aux gens d’ici », explique Khérie Ould Saleck, chauffeur d’une localité de la forêt de Wagadou où des affrontements violents ont récemment opposé les djihadistes aux armées mauritanienne et malienne. « S’ils trouvent quelqu’un en panne en plein désert, ils lui viennent en aide. Si la personne manque d’essence par exemple, AQMI lui en donne quelques litres pour qu’elle puisse arriver à destination. Idem pour l’eau, le sucre, le thé… »
L’opération de séduction déployée par Aqmi envers les populations locales est bien connue. Ce qui l’est moins, c’est qu’elle empiète de plus en plus sur l’autorité des chefs traditionnels de la communauté arabo-berbère du nord du Mali, composée de plus de 75 fractions. Des chefs qui « ne maîtrisent plus rien des membres de leur clan », affirme l’agent d’une ONG qui travaille depuis longtemps dans le domaine de la santé des nomades.
Liens du sang
Dans la société traditionnelle, les liens du sang ont une importance capitale. Après le combats de la forêt du Wagadou, dans laquelle Aqmi s'est aussitôt réimplantée après en avoir été momentanément chassée, plusieurs hommes de la nébuleuse ont pris pour QG la forêt du Lac Faguibine, dans la localité de Goundam (à plus de 200 km au Nord-Ouest de Tombouctou). Pour gagner la sympathie de la population, le chef des djihadistes en question s’est dit de l’ethnie kel Tamasheq (touareg) et plus précisément de la fraction de Kel Antsar de Tombouctou. Quant à l’émir d’Aqmi Mokhtar Belmokhtar, il est connu - entre autres - pour être marié à une femme issue des tribus arabes du nord Mali, qui serait originaire de Tombouctou.
Les membres d’AQMI tissent ainsi leur toile, en créant des liens sociaux, et en faisant au passage de l’humanitaire et des prêches à tendance salafistes. Ayant assisté à plusieurs d'entre eux, le superviseur des fontaines de la forêt de Wagadou, Amadou Maiga, raconte : « Ils nous disent de ne pas utiliser de gri-gri, que les gens doivent s’adresser directement à Dieu sans passer par les marabouts ».
Or ces derniers sont en quelque sorte les « gardiens du temple » de la communauté nomade. Reconnus et respectés pour leur savoir mystique, ils occupent une place importante dans la hiérarchie sociale. Ils sont consultés notamment par les chefs traditionnels qui recherchent leur appui dans le processus de décision concernant l'ensemble de la communauté. S'en prendre à eux, c'est donc aussi s'en prendre aux autorités traditionnelles au sens large...
Commerce lucratif
Mais Aqmi mine aussi l'influence des élites locales d'une manière plus prosaïque, en développant un commerce très lucratif pour les populations. « À chaque fois que les éléments d’Aqmi viennent prendre de l’eau, ils demandent aux gens de leur vendre des animaux, témoigne Amadou Maiga. Une fois, un homme a voulu leur offrir un mouton, mais ils ont refusé. Ils ont dit que l’animal était le fruit de son travail, et qu’il devait gagner sa vie avec. Ils ont fini par le payer. »
Aqmi achète de tout aux commerçants locaux : du carburant, des pneus, des pièces de rechange, des céréales, de la farine, du sucre, du thé, voire même des armes… Les djihadistes ne représentent aucune menace directe pour la population locale. Conséquence : celle-ci ne s’investit pas pour la sécurisation du territoire avec l’armée et le pouvoir central. Et l’influence des chefs traditionnels décline inexorablement.
Aujourd’hui, certains élus locaux et chefs traditionnels commencent à prendre conscience du danger lié à la présence d’AQMI. « Nous voulons récupérer notre population mais les djihadistes s’y opposent. C 'est pourquoi ils ont affiché des tracts de menaces envers certaines personnalités à Tombouctou (en avril 2011, NDLR) », explique Mohamed Lamine Ould Sidatt, le maire de la commune de Ber. Qui ajoute : « Je ne peux pas tout vous dire sur AQMI, je suis dans ma commune au milieu du désert. Je suis vulnérable, il n’y pas de sécurité. Les gens d’AQMI peuvent faire éruption à tout moment devant ma tente et m’éliminer. »
Courage payant
Certains chefs traditionnels n'hésitent cependant pas à prendre de gros risques. Au début du mois de mai 2011, des éléments d’AQMI lourdement armés sont arrivés en Pick-up sur un site de la commune de Salam, situé à 70 km au Nord de Tombouctou. Le maire, Mohamed Tahar, leur a demandé de partir. La discussion s’est envenimée et la dispute a failli tourner au vinaigre. Finalement, les visiteurs indésirables ont quitté les lieux en laissant la population effrayée par leur armement impressionnant. Cette fois, le courage du maire a été payant. Mais son geste risque de rester isolé tant que l'État n’aura pas pris des mesures garantissant la sécurité des communautés.
Les choses changent, cependant. Longtemps tenus à l’écart de l’action gouvernementale, les chefs de fractions sont désormais sollicités. « La première fois qu’un officiel malien nous a invités à nous impliquer dans la lutte contre AQMI, c'était au mois de mai 2011 lorsque le ministre des Affaires étrangères Soumeylou Boubeye Maïga a effectué une visite de terrain avec une délégation de l’Union européenne dans la commune de Ber (60 km au nord-est de Tombouctou) », confie un membre de la fraction de Oulad Ganam. Et le 9 août, le président malien Amadou Toumani Touré a lancé son plan de développement et de sécurisation du nord. Quelque 32 milliards de F CFA ont été mis sur la table. Cela suffira-t-il ?
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