mercredi 17 août 2011

Libye : « Nous ne prendrons pas Tripoli du jour au lendemain »



Alors que les forces rebelles se préparent pour leurs dernières batailles et pour prendre la capitale Tripoli, le site d’information libyen Akhbar Al-Aane annonce la fuite de membres de la famille de Mouammar Kadhafi dont sa femme Safia, sa fille Aïcha et son fils Saïd. D’après le même média, les affrontements avec les forces loyalistes continuent à Zaouiyah, bombardée par les forces de l’OTAN dans la nuit du 16 au 17 août. De Tunisie où il se trouve pour quelques jours, Mazigh Buzakhar, membre du Mouvement Culturel Amazigh (AMC) et activiste au sein de la rébellion de la région du Nefoussa, nous donne sa lecture de la progression des rebelles et de la situation politique. 
Fillette libyenne avec une pancarte où on peut lire "Libye libérée".
29.07.2011Propos recueillis et traduits du tamazight par Ali ChibaniOù en est la rébellion ? 
Mazigh Buzakhar : La rébellion continue à progresser. Nous avons libéré la partie occidentale de Zaouiyah à 45 Km de Tripoli. Il reste encore des poches de résistances à Ghiryane (environ 80 Km de la capitale) et à Sebratah. Malgré cela, nous avançons vers Tripoli. 

Dans quel état d’esprit sont les rebelles alors qu’ils se préparent pour ce qui semble être leur ultime bataille ? 
Le moral des rebelles est bon. Nous savons que nous entrons dans la dernière étape de notre combat, mais nous savons aussi qu’elle sera difficile. Le terrain va changer… Désormais, nous entrons dans une phase de guérilla urbaine, et cela complique les choses pour nous. L’armée pro-Kadhafi est partout présente. Elle est plus forte et plus nombreuse. Nous nous attendons à enregistrer de fortes pertes en vies humaines. Il est aussi évident que nous ne prendrons pas Tripoli du jour au lendemain. Nous devrons être patients. Cela risque d’être long. 

"L'OTAN OUBLIE QUE POUR PORTER SES ARMES NOUS AVONS BESOIN DE BOIRE ET DE MANGER" 

D’après l’émissaire russe Mikhaïl Marguelov, le colonel Mouammar Kadhafi ferait « sauter »Tripoli si les rebelles devaient la prendre. Cela ne vous inquiète-t-il pas, d’autant plus qu’un rebelle présent en Libye nous a confirmé ce matin qu’un missile Scud avait été lancé sur Brega située à 5 Km de la capitale ? 
Nous n’avons pas connaissance de ces menaces. Il est vrai que Kadhafi est capable de tout, même de brûler Tripoli. Mais ces menaces, si elles sont vraies, ne devraient pas nous inquiéter outre mesure. Je vous rappelle que le régime a aussi menacé de destruction complète Nefoussa avant que celle-ci n’entre en rébellion. Aujourd’hui, nous avons libéré cette région et Kadhafi n’a rien pu faire. 

Quelle est la situation de la population dans les régions prises par la rébellion ? 
Elle est difficile… Nous manquons de tout, de nourriture, d’eau, de fuel, d’électricité… Nous voudrions qu’on nous aide sur ce plan là... 
Une du premier journal indépendant en deux langues (arabe et tamazight) créé dans la région du Nefoussa
Voulez-vous dire que les Libyens ont besoin d’une aide alimentaire ? 
En ce moment, la nourriture est ce qui nous manque cruellement. L’Otan donne des armes, mais elle oublie que, pour les porter, nous avons besoin de boire et de manger . Nous voudrions aussi que des psychologues viennent en Libye pour aider toutes les familles et tous les enfants qui ont subi cette guerre à surmonter leurs traumatismes. Il y a aujourd’hui une réelle montée de la violence en Libye. Il ne faut pas que la population finisse par penser que tout se règle par les armes et par la violence. Nous demandons également que des Organisations Non-Gouvernementales (ONG) spécialisées dans l’aide aux femmes se rendent dans nos villages pour participer à l’instruction des Libyennes. C’est tout cela qui nous intéresse pour construire la Libye de demain. Aujourd’hui, la population survit grâce à la solidarité et à l’entraide. 

Vous avez évoqué l’OTAN. Savez-vous qu’en Occident, il y a des voix qui s’élèvent et qui accusent les Etats de l’Organisation d’intervenir uniquement parce qu’ils sont intéressés par le pétrole libyen ? Les rebelles partagent-ils cette opinion ? 
Pour nous, il est évident que les pays de l’OTAN n’interviennent pas par amour de la population. Néanmoins, nous avons demandé cette intervention, et nous la pensons légitime et conforme au droit international qui prévoit la protection des populations civiles. Par ailleurs, vous devez savoir que, du temps de Kadhafi déjà, notre pétrole bénéficiait aux pays occidentaux. Les Libyens n’en ont jamais profité. Alors, si aujourd’hui nous devons payer avec notre pétrole pour qu’on obtienne enfin notre indépendance, nous sommes prêts à le faire. L’OTAN a ses intérêts en Libye, et nous, nous avons notre intérêt dans son intervention. 

"MALGRÉ SON MANQUE D'EXPERTISE, LE CNT PEUT FAIRE BEAUCOUP" 

Des médias s’interrogent en ce moment sur des négociations secrètes entre le Conseil National de Transition (CNT) et des représentants de Kadhafi à Djerba en Tunisie. Que savez-vous sur ce point [cette information a été démentie par le CNT après la réalisation de l’entretien] ? 
Ce ne sont là que des rumeurs sans fondement. C’est en tout cas ce que nous croyons. 
Et l’information qui concerne le départ vers l’étranger de certains hauts responsables du régime, c’est une rumeur aussi ? 
Je ne peux vous confirmer que le départ du Docteur Saleh Ibrahim Al-Werfali, un haut dignitaire du régime de Kadhafi. Il y a même une vidéo qui le montre à l’aéroport de Djerba d’où il aurait pris l’avion pour la Bulgarie. 

Quelles sont vos rapports avec le CNT ? 
Au sein de la rébellion, nous pensons que le CNT peut faire beaucoup de choses, même si ses membres ne disposent pas tous d’une grande expertise en politique. Ce que nous lui reprochons, c’est d’agir sans consulter la population. En fait, il n’avise que la population de Benghazi, le berceau de la révolution en cours. Dans mon village, à Ifren dans les montagnes du Nefoussa, nous avons écrit une lettre au Conseil de Transition (intitulée "la Libye, un nouvel Etat", elle est rédigée en tamazight et en arabe, ndlr). 
Un rebelle libyen.
Nous lui avons proposé un projet de société qui envisage une Libye où l’arabe et le tamazight seraient les deux langues officielles. Nous avons prôné un régime parlementaire, l’égalité entre hommes et femmes, et la liberté d’expression et de création pour tous les Libyens. Il ne nous a jamais répondu. C’est pour cette raison que nous avons décidé de nous rendre à Benghazi pour le rencontrer dès que nous aurons vaincu le régime actuel. Pour nous, la nouvelle Libye ne se construira pas sans son peuple. 

Avez-vous une estimation du coût de la révolte et de sa répression en vies humaines ? 
Nous n’avons aucun chiffre à avancer. On peut s’attendre à un nombre très élevé de victimes. Je peux seulement vous dire que, dans mon village, il y a eu 8 morts.

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