jeudi 16 avril 2009

Niger, 1974 : ce qui n’a pas été dit "Moussa est blessé !" L’assassinat de la Présidente : deuxième partie




Ecrit par Témoignage de Hado Ramatou DIORI HAMANI.,

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President Aissa DioriJe vis Moussa porté par deux militaires, il était pâle, très pâle, très affaibli. J’étais atterrée, consternée, mais j’ai demandé aux deux militaires où ils l’emmenaient ; ils daignèrent me répondre en précisant qu’ils le transportaient à l’hôpital. J’ai voulu les suivre, j’ai, bien entendu, reçu une réponse négative.

Dans le petit salon gisaient les corps de nos deux cousins morts. Les militaires nous firent descendre et le cauchemar continua. Au bas de l’escalier se trouvait le corps d’un des gardes de corps de papa, le sergent Badje. Plus loin le corps d’un oncle maternel, Moussa Kao, celui d’une tante de maman et d’autres… C’était vraiment une vision cauchemardesque et nous avions tous l’impression d’un cauchemar et que nous allions nous réveiller, mais hélas…

Nous avons été conduits dans la cour du Palais puis nous avons été escortés par des militaires devant le grand portail du Palais, là nous avons été alignés comme du bétail, et le lieutenant Ousseïni donna l’ordre de nous liquider, oui, ce fut son expression : « liquidez les enfants ». J’étais occupée à essayer de calmer ma sœur cadette qui venait d’apprendre, comme tous ceux qui ne le savaient pas encore, que maman n’était plus de ce monde. Et c’était la désolation, la consternation, la stupeur. Hadiza n’arrêtait pas de réclamer Maman, Moumouni ne disait pas un mot, il resta ainsi pendant plusieurs jours, et jusqu’à ce jour il a encore des séquelles de ces terribles moments.

Il y eut un contre-ordre donné par Cyril Gabriel : « Qui vous a dit de tuer les enfants ? Conduisez-les chez leur grand-mère. » Il s’agissait de notre grand-mère maternelle qui était avec nous au Palais. Nous sommes arrivées auprès de notre grand-mère maternelle qui ne savait pas que sa fille était morte, et ne l’a su que beaucoup plus tard. Les militaires s’attelaient à entasser les corps les uns sur les autres. Les militaires demandèrent à notre grand-mère et à son époux de les suivre. Ils les firent monter à bord d’une land-Rover pick-up.

Certains parmi nous avaient aperçu un corps couvert par un drap blanc qui fut mis à l’arrière d’une land-rover. Plus tard nous sûmes qu’il s’agissait de maman. La voiture transportant les grands-parents les conduisit à l’aéroport militaire de Niamey. Ma grand-mère nous relata ce qui suit : « Il y avait une forte odeur d’alcool et une certaine agitation. Sous le hangar elle aperçut un corps recouvert par un drap blanc ; on leur demanda d’embarquer à bord d’un avion. Le corps fut également embarqué et déposé dans l’allée centrale. » C’est au cours du vol que ma grand-mère sut que sa fille était morte et que c’était son corps qui gisait dans l’allée centrale de l’avion car au cours d’une secousse, le drap bougea et elle aperçut les cheveux puis le visage, les pieds de sa fille…Imaginez sa douleur à un moment précis, Allahou Akbar. Elle aurait pu, elle aussi, mourir d’une attaque cardiaque.

Une fois l’avion arrivé à Doutchi, les militaires refusèrent de laisser leur brancard et le corps de maman fut posé à même le sol, puis fut déposé sur le plancher d’une voiture venue les chercher pour les amener à Togone où maman fut préparée selon les rites de l’islam par ma grand-mère pour son dernier voyage, vers son seigneur tout–puissant. Ma grand-mère me remit les habits que maman portait. Ils sont toujours en ma possession avec leurs preuves, les impacts de balles (cinq), l’impact de l’arme blanche, le sang…

Pendant longtemps, je ne pouvais pas les regarder sans avoir les larmes aux yeux. Mon père apprit la nouvelle du décès de ma mère par la radio, ce fut un choc affreux et terrible pour lui, seul dans sa cellule ; il perdit quinze kilogrammes, pour preuve la couverture du magazine Jeune Afrique avec l’interview réalisée par Siradou Diallo.

Nous revenons au Palais ce lundi quinze avril 1974. Nous, les enfants, avons été escortés du Palais chez Abdoulaye, notre frère aîné, nous étions pour les filles en chemise de nuit et pieds nus, il n’était pas question de nous laisser prendre des chaussures et encore moins nous laisser nous habiller ; nous lui apprîmes la triste réalité, il était effondré. Moussa était à l’hôpital de Niamey ; le pauvre était dans une salle avec des brûlés ; quand je le vis je ne pus contenir ma douleur, mon indignation. Le chirurgien, un français, me fit savoir qu’il allait procéder à une laparotomie car Moussa se plaignait de l’abdomen. Je discutais avec lui de l’inutilité de cette intervention. Je compris que pour la junte militaire, Moussa était un témoin gênant, alors qu’il ignorait et la mort les circonstances de l’assassinat de maman. Les témoins étaient Moumouni et Maoudé. Nous avons vécu des moments horribles, à la limite du supportable. En ce qui me concerne, j’ai essayé d’être forte pour réconforter Adiza qui n’arrêtait pas de pleurer et de réclamer sa mère. Pour Moumouni qui était en état de choc. Pour Moussa qui luttait seul sur son lit d’hôpital. Pour Mounkaïla qui se trouvait seul en France où il poursuivait des études militaires. Pour Abdoulaye qui se trouvait confronté à un rôle de chef de famille, car tout le monde, les parents, les amis, la famille affluaient chez lui dès l’annonce de la nouvelle. Pour papa tout seul dans une cellule.

Quand je sentais que je faiblissais, alors je m’enfermais dans la salle de bains et je laissais libre cours à mes larmes, puis après avoir repris courage je m’en remettais à Dieu notre créateur et la foi en lui m’a énormément aidée. Des journées que nous avons vécues jusqu’à ce que je puisse repartir sur Abidjan avec Moussa, Moumouni et Adiza, de l’assignation à résidence d’Abdoulaye à son licenciement, de l’affectation de mon oncle Boubacar (douanier) à Agadez, de la restriction des visites des parents, des amis ; des humiliations jusqu’aux vexations ne sont pas l’objet de ce manuscrit. Je voulais comme je l’ai précisé au début, lever le voile sur l’assassinat de ma chère et regrettée mère Hadja Aïssa Diori (que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde).

S’il n’y avait pas intention d’assassiner, pourquoi une fois toutes les barrières franchies et être arrivés aux appartements privés :
- utiliser des grenades,
- pourquoi tirer sur ma mère jusqu’à ce qu’elle s’affaisse,
- pourquoi utiliser la baïonnette,
- pourquoi l’avoir laissée se vider de son sang pendant quarante-cinq minutes ?

Je ne réclame pas justice mais j’accuse et mes doigts sont pointés en direction de ceux qui ont commandité, prémédité ce lâche assassinat. Qui pourrait être le cerveau malfaisant, auteur principal de ce crime des plus odieux ?

Pourrait-il s’agir d’un homme, d’un groupe d’hommes ou d’une personne étrangère ? J’espère que, maintenant, au Niger comme ailleurs, la vérité - puisque c’est de cela qu’il s’agit - puisse éclater au grand jour.

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