jeudi 14 octobre 2010

Quand l'injustice est spatiale. Le nomadisme pastoral face à l'impératif territorial dans le Sahara nigérien.

Quand l'injustice est spatiale. Le nomadisme pastoral face à l'impératif territorial dans le Sahara nigérien.



Laurent Gagnol, Université de Pau et des pays de l'Adour, SET UMR 5603 CNRS.


Abdoulkader Afane, PACTE-Territoires - UMR 519, Université de Grenoble, et Université A. Moumouni de Niamey (Niger).
Photo : Aïr nord Niger/Issikta

Résumé : Cet article vise à montrer l'incompatibilité entre d'un côté la gestion nomade des ressources naturelles (notamment pastorales et hydrauliques), au sein d'un espace fondamentalement ouvert, et de l'autre, les politiques environnementales spatialisées, marquées par l'injonction internationale faite aux populations de s'adapter à la désertification ; injonction qui passe notamment par la « sécurisation » de l'exploitation des ressources naturelles. Cette étude, qui traite du Niger, est replacée dans le contexte géopolitique actuel marqué par la pression des sociétés minières, les revendications des rébellions touarègues et la mise en place de politiques foncières dans le cadre de la récente décentralisation et des actions des ONG. Tout le contexte précédemment évoqué tend aujourd'hui à réduire la mobilité et la fluidité locales et régionales qui étaient au fondement de la gestion collective des ressources naturelles. L'exemple de la mise en place d'espaces extraterritoriaux pour l'exploitation des richesses minières (Imouraren notamment) nous permet de comprendre que nous assistons non seulement au refoulement et à la fixation des nomades, mais aussi à une véritable révolution territorialisatrice conduisant inévitablement à la disparition des conditions d'existence même du nomadisme pastoral. Du point de vue du nomadisme, tout processus de territorialisation ne peut qu'être considéré comme relevant d'une injustice spatiale.
Le Sahara est redevenu central sur la scène géopolitique internationale en raison notamment de l'instabilité due aux révoltes armées, aux prises d'otages de réseaux islamistes considérés comme terroristes (AQMI)[1], au banditisme, à la contrebande et, ajoute-t-on souvent, aux migrations internationales transsahariennes devenues clandestines. Le contrôle des flux et le renforcement de l'encadrement territorial apparaissent aujourd'hui comme une priorité pour les Etats saharo-sahéliens, mais aussi pour la communauté internationale, notamment les Etats-Unis, la Chine, l'Union européenne, etc. Les questions de sécurité internationale se doublent d'intérêts géostratégiques majeurs liés à la prospection et à l'exploitation des richesses minières sahariennes (uranium, pétrole, gaz, charbon, or, étain, phosphate, etc.). Ainsi, d'aucuns évoquent aujourd'hui une ruée (scramble[2]) sur les ressources naturelles sahariennes. En outre, les sécheresses et le processus de désertification, les crises alimentaires et les tensions politiques ont renforcé la compétition entre acteurs individuels et collectifs pour l'appropriation foncière. La pression pour la clôture des espaces sahariens s'opère donc à toutes les échelles.
Cette étude a pour objectif principal de mettre en lumière les enjeux et les conflits, aussi bien à l'échelle globale que locale, qui se jouent autour de l'accès ou de l'appropriation des ressources naturelles. Il s'agit aussi d'en appréhender les effets sur les conditions d'existence et les transformations actuelles du nomadisme pastoral. Le terrain retenu est celui du Sahara nigérien et plus particulièrement l'Aïr, vaste région désertique peuplée majoritairement par des Touaregs pasteurs, agro-pasteurs ou citadins, au Nord-Niger[3]. En outre, il comporte une dimension stratégique emblématique. Il s'agit d'une région riche en minerai d'uranium. S'ajoutant aux sites d'Arlit et Akokan (exploités depuis 1968 et 1974), Imouraren deviendra à partir de 2013-2014 la deuxième plus grande mine d'uranium au monde, exploitée par une filiale d'Areva ; une société chinoise débute non loin de là l'exploitation du site uranifère d'Azélik.
Après avoir examiné la spatialité propre au pastoralisme nomade touareg et ses transformations actuelles, nous traiterons des tensions locales, liées à la concurrence pour l'accès aux pâturages ou à l'eau, qui conduisent bien souvent à des formes de privatisation des ressources et de sédentarisation partielle ou totale. Nous examinerons ensuite cette dynamique actuelle à la lumière des enjeux nationaux (les politiques de sécurisation du pastoralisme et le processus de décentralisation en cours). Nous replacerons enfin l'ensemble dans le cadre des pressions internationales autour de la question de l'exploitation des richesses naturelles souterraines (hydrocarbures, minerais et aquifères).
Ce sont en définitive les effets de l'inscription de logiques territorialisatrices dans l'espace nomade que questionne cet article. Car, au regard des conditions d'existence du pastoralisme nomade, tout processus de territorialisation relève d'enjeux de pouvoir produisant de l'injustice spatiale ; qui plus est lorsque ces enjeux de pouvoir ne sont pas considérés comme tels mais agissent de façon souterraine dans des conflits dont l'enjeu semble autre. Sous couvert d'adaptation à la désertification, de stabilisation et de sécurisation foncières, les conditions d'une ouverture de l'espace sont rendues impossibles.

1- Les effets sur le nomadisme des nouvelles formes de gouvernance territorialisée
L'exploitation pastorale des ressources naturelles par les Touaregs nomades et semi-nomades.

Les pasteurs nomades ou transhumants constituent toujours une part importante de la population touarègue nigérienne. Le mode d'élevage basé sur la mobilité du troupeau permet de valoriser les maigres ressources fourragères. Il consiste en un ensemble de déplacements pastoraux flexibles, répondant au caractère aléatoire des ressources en eau et en pâturages. Dans ces régions désertiques, l'activité pastorale nécessite une grande mobilité du cheptel sur de vastes espaces, qui seule permet de s'adapter, par des mouvements réguliers et saisonniers, à la variabilité dans l'espace et dans le temps des ressources fourragères. Pour les années « normales », ces migrations se font de manière ordonnée, selon un calendrier et des itinéraires stables. Les migrations pastorales obéissent ainsi à un cycle annuel. Il est généralement distingué deux types de mouvements, au cours de la courte saison des pluies et au cours de la longue saison sèche. Si lors de la saison des pluies, la gestion pastorale obéit aux principes d'une utilisation/occupation éphémère des lieux, la saison sèche contraint progressivement les campements à observer une relative stabilité autour des rares points d'eau qui subsistent. Chaque unité domestique de nomadisation[4] s'approprie par l'usage un certain nombre de vallées (ou de portion(s) de vallée(s)) au sein desquelles elle se stabilise pour passer la période la plus difficile de l'année, la saison sèche chaude (awélan). Ce n'est qu'en cas de conflits ou de sécheresse que les nomades quittent leurs itinéraires ou changent de pâturages et de points d'eau.
Le point d'eau constitue l'élément fondamental pour l'exercice des activités pastorales. Il est d'usage public, mais il existe des droits d'accès prioritaires favorisant celui qui a fourni la main d'œuvre pour le forage et qui l'exploite régulièrement, notamment en saison sèche. Pour les groupes de passage, l'abreuvement est autorisé, mais il est de plus en plus soumis à une redevance en nature ou en espèces. En outre apparaissent aussi des puits que l'on appelle généralement dans l'Eghazer « puits-boutique ». L'objectif est d'accaparer ou de construire un puits dans un espace pastoral que l'on s'approprie par ce geste. Le propriétaire fait construire une petite « maison » en banco (adobe) à côté du puits, qui est transformée en boutique (kanti) vendant des produits alimentaires (mil, riz, semoule de blé, sucre, thé, etc.) ou manufacturés (tissus, piles, sandales, etc.). On parle alors du puits d'un tel (anu n mandam). D'autres pasteurs s'installeront sur les lieux : ce processus aboutit à la fixation du campement autour du puits et à sa transformation en « village », qui cherchera à se faire reconnaître comme tel par l'administration grâce à l'appui d'une personnalité politique. En retour, les villageois seront considérés comme clients et protégés de cette dernière, et les votes lui seront acquis.

Cette privatisation des points d'eau, allant ainsi de pair avec une fixation partielle des pasteurs, comporte un autre aspect nouveau, inversant les rapports de primauté entre l'accès à l'eau et aux pâturages. B. Thébaud (1990) a énoncé trois principes de base nécessaires à l'équilibre de l'économie pastorale : l'existence d'un lien indissociable entre l'eau et les pâturages, la relation directe entre la capacité d'abreuvement d'un point d'eau et le rythme de consommation du pâturage environnant et le troisième principe fait intervenir l'homme et son travail. Aujourd'hui, ces trois principes ont pu être contournés par les grands éleveurs. L'emploi de citernes pour abreuver les bêtes permet ainsi d'exploiter les pâturages sans points d'eau toute l'année. Mais les grands éleveurs, commerçants et citadins investissant dans le bétail, sont aussi très souvent à l'origine du fonçage de nouveaux puits. Cela leur permet d'obtenir de facto des droits d'usage prioritaire sur les pâturages alentour, qu'ils n'auraient pu obtenir autrement. Tout fonçage implique un droit officieux sur les pâturages alentour puisque l'administration interdit la création de tout autre puits dans un rayon de 10-15 km d'un puits existant et exige de 20 à 30 km entre les forages. Or ce maillage est de moins en moins respecté. Les pasteurs voient d'un mauvais œil la fondation d'un nouveau point d'eau qui déstabilise la gestion sociale des pâturages. Mais le nombre de puits et de forages s'est accru grâce à l'appui financier et technique des projets de développement et aux autorisations accordées complaisamment par l'administration. Bref, la relation entre l'eau disponible et la capacité de charge des pâturages est mise à mal. Avec la multiplication des forages et des puits, l'accès à l'eau ne pose plus les mêmes difficultés. Ce qui prévaut, ce n'est donc plus directement le point d'eau qui permettait l'exploitation de pâturages alentour, mais l'appropriation voire la privatisation des pâturages. Creuser un puits empêche le fonçage d'un autre par un individu ou un groupe concurrent et permet de réserver l'accès prioritaire ou exclusif aux pâturages. Le contrôle des puits et la sédentarisation sont donc devenus essentiellement un outil d'appropriation des pâturages, inversant les rapports de primauté entre l'eau et les pâturages.

Certains grands éleveurs sont allés jusqu'à clôturer leurs pâturages dans l'Azawagh et dans l'Eghazer, faisant apparaître les barbelés dans le paysage saharien. Le droit d'accès dans cet espace clôturé reste exclusivement réservé au propriétaire. Les grands éleveurs ouvrent leurs ranchs à leurs troupeaux une fois seulement que les pâturages naturels accessibles à tous sont dégradés. Les opérateurs en question, au motif de créer des ranchs, ont occupé des superficies importantes qu'ils tentent aujourd'hui de légitimer en faisant établir des concessions rurales individuelles ou communautaires à travers les structures associatives pastorales et les commissions foncières. Cette dynamique locale et interne est largement redevable de pressions externes, liées aux effets de nouvelles formes de gouvernance territorialisée.

Quand sécuriser le pastoralisme, c'est faire disparaître le nomadisme

L'espace saharien est progressivement clôturé, morcelé, privatisé et/ou sanctuarisé. On assiste ainsi à la remontée vers le nord des cultures sous pluies dans l'Azawagh et le Damergou[5] ; au développement du jardinage irrigué prés des kori (oueds) de l'Aïr ; à la constitution de périmètres irrigués pour l'exploitation des aquifères fossiles de l'Eghazer[6] ; à la multiplication des ranchs, des réserves de chasse privées mais aussi des aires protégées[7] ; enfin à la distribution à tout-va de permis de prospection et à l'octroi de zones d'extraction minière (pétrole, charbon, phosphate, métaux précieux, sel et surtout uranium), au cours des mandats présidentiels du président déchu, Mamadou Tandja, renversé par un coup d'Etat le 18 février 2010 (E. Grégoire, 2010). Face aux pressions sur les ressources naturelles, l'Etat, les institutions internationales et les ONG ont mis en place une politique visant à sécuriser le pastoralisme.
On n'en est plus aujourd'hui à la législation héritée de l'époque coloniale qui considérait l'espace pastoral comme constitué de « terres vacantes et sans maîtres », appartenant à l'Etat, et donc déclarées d'accès libre (R. Hammel, 2001). La reconnaissance de la gestion spécifique des pasteurs sur leurs terrains de parcours (et des droits qui vont avec) semble de plus en plus envisageable au Niger. Mais l'inscription de la logique des droits d'usage nomade est autant un casse-tête juridique qu'un enjeu politique et économique. Un code rural a été adopté en 1993 pour faire face à la pression croissante sur les ressources naturelles et à la compétition (entre pasteurs d'une part et entre agriculteurs et pasteurs d'autre part) qui ont favorisé la multiplication de conflits fonciers, parfois violents, notamment au Sud-Niger. Le code rural a permis aux agriculteurs d'obtenir un titre foncier, tout en garantissant aux éleveurs l'accès aux ressources en eau (les puits et les mares) et à des aires de pâturage (les enclaves pastorales comme les forêts classées, les champs après récolte). Les parcours entre les zones pastorales ont été facilités par des couloirs de transhumance, parfois balisés par les projets, avec des aires de transit et de repos.
Mais, de fait, les pasteurs ont été défavorisés. N'ayant eux-mêmes aucun droit exclusif sur leurs terrains de parcours, ils n'ont donc aucun recours face à l'accaparement de terrains autrefois ouverts mais réservés de fait au pastoralisme. La reconnaissance de « terroirs d'attache » aux pasteurs, par décret en 1997, a permis de remédier en partie à ces iniquités même si l'adoption d'un code pastoral a été plusieurs fois reportée. Le terroir d'attache est défini comme une « unité territoriale » propre aux pasteurs sur laquelle ils ont « un pouvoir d'occupation, de jouissance et de gestion ». Même si cette notion est une avancée dans la reconnaissance de droits des nomades, ce pouvoir ainsi défini reste virtuel et n'empêche nullement d'autres usages que l'élevage. Les droits d'usage prioritaire des pasteurs n'ont ainsi pas été déterminés précisément et l'activité pastorale n'a pas été reconnue comme une « mise en valeur ». En pratique, les nomades sont toujours démunis face à l'appropriation privative de leurs terrains de parcours.
Permettant l'accaparement des ressources pastorales par d'autres activités, les textes ne garantissent aucunement l'appropriation collective des ressources pastorales contre elles. Mais alors le problème semble insoluble : comment en effet sécuriser les pratiques pastorales face aux pressions foncières externes tout en évitant des appropriations territoriales exclusives, qui figent le pastoralisme et vont à l'encontre du nomadisme ? La contradiction est manifeste. Certes, l'objectif majeur affiché par les bailleurs de fonds internationaux (la Banque mondiale notamment), l'Etat nigérien et les programmes de développement est la sécurisation foncière des pasteurs, non pas le maintien des conditions du pastoralisme mobile et fluide traditionnel. De fait, les politiques foncières ont provoqué des effets contre-productifs par rapport à leurs objectifs d'accroissement de la production pastorale[8]. Ainsi, en zone pastorale et surtout agro-pastorale, d'autres études que la nôtre ont montré que cette dynamique d'appropriation privative des puits et des pâturages contribue à une sédentarisation ou du moins à une fixation accrue des pasteurs (R. Hammel, 2001 ; H. Beidou et S. Yacouba, 2005, T. Hilhorst, 2008). Cela tend aussi à figer les capacités des nomades à surmonter les périodes de sécheresse, en rendant difficile leur seule stratégie de survie, celle de l'extrême mobilité. Face aux pressions externes, les pasteurs n'ont ainsi d'autres choix que de se fixer, non plus saisonnièrement mais à l'année pour au moins une partie du groupe. Ils se transforment en agro-pasteurs transhumants ou en bergers salariés pour des propriétaires citadins (P. Colin de Verdière, 1995). On s'aperçoit qu'il s'agit d'un repli quasi inéluctable du pastoralisme nomade. Car pour garantir leur prise sur leur milieu de vie, tout se passe comme si les pasteurs n'avaient pas d'autres choix que d'adopter la logique territoriale, qui paraît pourtant la compromettre.

Décentralisation et/ou nomadisme ?

L'impératif territorial (D. Retaillé, 1996) se généralise aussi et surtout à travers la politique de décentralisation en cours au Niger[9]. Il a été opéré une communalisation intégrale du territoire nigérien. Mais comment administrer dans les limites du niveau communal des nomades, des transhumants et des agro-pasteurs caravaniers, qui vivent la majeure partie de l'année en dehors des limites de cette même commune ? Outre les perspectives de conflits locaux, la fixation de limites communales, d'ailleurs remise à plus tard, peut aller à l'encontre de la mobilité des hommes et de la fluidité des activités économiques (pas uniquement pastorales). Par exemple, les ressources financières des communes étant insuffisantes, certains maires de l'Aïr ont décidé de taxer la circulation, avant de faire machine arrière à cause des mécontentements, les camions des coopératives et les véhicules privés ont dû s'acquitter d'une taxe d'entrée et sortie de la commune. Les caravanes ont été logées à la même enseigne. Plus au sud, ce sont les transhumances qui ont été fiscalisées. Avec la décentralisation (et la monétarisation de l'accès à l'eau des puits), plus on est mobile, plus on risque d'être pénalisé financièrement. L'imposition de limites en contexte environnemental fragile se fait toujours en défaveur du plus mobile.

Face à ces entraves à la mobilité et à la fluidité, pourtant au fondement du système pastoral surtout en période de sécheresse, les experts avertis (par exemple A. Marty et A. Mohamadou, 2005) préconisent de faire jouer le consensus, de ne pas imposer de force et trop rapidement une limite communale. De plus, la souplesse de limites multiples, infra ou supra-communales, est préférable à la rigidité d'une seule limite et d'un seul niveau de gestion. A l'échelle la plus grande, les autorités centrales recommandent aux commissions foncières la constitution de documents d'urbanisme et de planification pour la gestion des ressources naturelles et l'extension du bâti. Elles ont aussi pour objectif la délimitation plus précise des limites communales[10]. D'autre part, l'intercommunalité, qui est rendue possible sans être précisément définie par les textes, pourrait permettre d'encadrer les mobilités, sans les limiter, et de renouveler l'approche des complémentarités entre les zones pastorales et les zones agricoles au Sud Niger. Enfin, l'Etat et les bailleurs de fonds prônent un découpage interne à la commune. Ainsi, selon le guide d'élaboration des Plans de Développement Communaux[11], ce sous-zonage constituerait « la base de réussite (...) indispensable pour assurer l'opérationnalité de l'approche ». Elles seraient « bien adaptées au contexte socio-institutionnel de la zone et permettent la différentiation spatiale des activités planifiées en fonction des potentialités et contraintes rencontrées »[12]. Ce découpage sert de cadre territorial à un inventaire des ressources naturelles et à un état des lieux détaillé des infrastructures et des services de la commune. Il sert aussi à élaborer une planification communale : dans le village-centre de chaque sous-zone est établi un « Programme d'Investissement Pluriannuel », à partir d'un « diagnostic participatif communautaire ». Tout en opérant le transfert vers le Niger de normes de gestion et d'action liées au modèle français (décentralisation, cadastre, planification, etc.), on pense déjà aux effets pervers potentiels, tels qu'ils ont été envisagés encore une fois en France. La solution retenue est identique : la complexité territoriale, c'est-à-dire la multiplicité des échelles de concertation, de décision et d'action territorialisées.
Mais n'est-ce pas l'insertion même de logiques territorialisées dans un espace fluide et ouvert qui crée des effets néfastes ? Autrement dit, la multiplication des échelles ne crée-t-elle pas elle-même les problèmes en y apportant des solutions qui ne peuvent être que partielles ? Si le diagnostic de fragilité et de marginalisation du pastoralisme est juste, le remède adopté (la sécurisation foncière, l'impératif territorial) ne fait qu'aggraver les symptômes. La décentralisation consiste alors, en prenant au sérieux ces dispositifs auto-justificateurs, à amplifier ou à créer des problèmes et simultanément les moyens de leur règlement. Créer de nouveaux problèmes permet de justifier la pertinence des solutions adoptées.

Ainsi, nous assistons au Niger à la reconfiguration des pouvoirs locaux et de la captation de la rente du développement par l'imposition de ces nouveaux principes de gouvernance territorialisée à différentes échelles. Même la reconnaissance partielle des droits d'usage des pasteurs sur les terroirs qu'ils exploitent une bonne partie de l'année, rendue nécessaire par les pressions sur les ressources naturelles, participe de la rigidification de la fluidité nomade. Sécuriser le pastoralisme, c'est aller souvent à l'encontre de ses capacités de mobilité et de flexibilité, c'est contribuer à le détruire.
Longtemps tenu sous cloche par le pouvoir colonial, puis l'Etat nigérien qui a hérité du principe d'une séparation franche entre nomades et sédentaires (A. Marty, 1999), le Nord-Niger est donc très mal préparé à entrer dans les logiques territoriales sédentaires. La logique de gestion de l'espace fondée sur le modèle du terroir villageois (« un terroir, un village »), est aujourd'hui étendue à celle de l'espace pastoral : après avoir créé le statut de terroir d'attache pour les pasteurs, les autorités encouragent désormais le « principe : un village, une aire de pâturage »[13]. La logique de la décentralisation et de la politique foncière perpétue le mythe de la superposition d'une unité villageoise et territoriale africaine close sur elle-même.

2- Rébellion touarègue, extraterritorialité minière et dépossession des terrains de parcours nomades

Si nous avons évoqué jusqu'alors ces transformations comme relevant d'une injustice spatiale, c'est dans la stricte mesure où les logiques nomades, pour se reproduire, doivent assurer les conditions d'un espace pastoral relativement ouvert et fluide. Il s'agit de garantir la primauté des activités pastorales et caravanières sur l'appropriation des ressources localisées. La période de domination nomade est depuis longtemps révolue, mais l'héritage colonial de l'administration indirecte par la chefferie traditionnelle, tout en fragilisant économiquement et en marginalisant politiquement le Nord-Niger, a permis de perpétuer une certaine ouverture et autonomie de l'espace pastoral. C'est le découpage de l'espace opéré par la décentralisation et soutenue par les revendications territoriales des rébellions touarègues, qui a remis en cause cet état de fait.

La décentralisation : l'impératif territorial issu des revendications des rébellions touarègues

Même si la situation reste fragile, la paix est revenue depuis quelques mois au Nord-Niger après quasiment deux ans de conflits depuis l'attaque d'Iférouane en février 2007. Les trois mouvements rebelles de cette seconde rébellion (MNJ, FPN et FFR) ont déposé les armes grâce à la médiation de la Libye. Constatons au préalable que les forces sociales touarègues qui se sont opposées à l'Etat nigérien ne considèrent pas l'impératif territorial comme un problème mais comme une ressource politique et économique. Les rébellions du début des années 90 et de la fin des années 2000 ont œuvré dans le sens d'un renforcement de l'encadrement territorial. Après les cinq années de conflits de la première rébellion, les accords de paix du 24 avril 1995, qualifiés de « Pacte national », ont été plus qu'un simple armistice. Ils ont conduit notamment à l'adoption de la loi de décentralisation, remplaçant les velléités de sécession ou de fédéralisme.

La prise d'armes de 2007-2009 était motivée par ce qui est vécu comme une marginalisation du Nord-Niger et une confiscation par le pouvoir central de ses ressources naturelles. Le régime de Tandja, jugé corrompu et ethniciste, aurait volontairement délaissé cette région qui produit pourtant la principale source de richesse du Niger, l'uranium. Seul ce principe territorial permettrait donc à la population touarègue de pouvoir gérer et contrôler son territoire de façon beaucoup plus autonome vis-à-vis de Niamey. Sans évoquer les rapports équivoques entre les sociétés minières et les mouvements rebelles[14], il est clair que les rébellions ne se sont pas opposées à l'exploitation minière, mais ont cherché à imposer des retombées financières locales et régionales. Il n'est pas surprenant de constater que le premier point du programme de revendications a porté sur le « découpage administratif et l'aménagement du territoire ». Tout en soutenant la mise en fonction des collectivités territoriales (communes, arrondissements, départements et régions), le MNJ a proposé un redécoupage de l'espace national en quatre régions, qui tiendrait mieux compte de la configuration socio-économique et culturelle du pays. La région du Nord-Niger s'en trouverait étendue, intégrant alors la majeure partie de la population touarègue nigérienne, mais aussi d'autres populations[15].

Alors qu'une partie de la population vit de la mobilité, voire de la transgression des frontières nationales, tout se passe comme si les leaders de la rébellion eux-mêmes ne pouvaient aujourd'hui penser la reconfiguration du pouvoir en dehors d'un maillage territorial. Pour les têtes pensantes du MNJ comme pour les élites touarègues légitimistes, la sédentarisation est actuellement un objectif car elle est un mode d'accès aux ressources politiques et économiques. Elle permet d'accéder au « développement », c'est-à-dire aux équipements et aux services de la modernité (éducation, santé, confort), tandis que le nomadisme l'en détournerait. Le nomadisme pastoral est aujourd'hui synonyme de pauvreté et, à tort ou à raison, la sédentarisation est généralement perçue par les leaders locaux comme une condition préalable au développement ; la décentralisation contribuant de fait à l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle élite politico-économique (« courtiers » en développement, leaders des coopératives agricoles, patrons d'agences touristiques, grands commerçants).
Toutefois la décentralisation a permis l'émergence de nouvelles formes de revendications et d'équité spatiale. Jusqu'à récemment, l'extraction de l'uranium au Niger, pour l'Etat comme pour Areva, n'a pas été présent une question d'aménagement mais, en quelque sorte, de prédation sur le local. C'est la montée récente de la question des conséquences, notamment par les enjeux environnementaux (O. Soubeyran, à paraître), qui a changé la donne. La décentralisation a ouvert une brèche politique contre la mainmise du pouvoir central sur les retombées financières et contre l'anesthésie des conséquences sur le local et des possibles contreparties face aux impacts sanitaires et environnementaux de l'extraction minière. Sous la pression, à la fois des bailleurs de fonds et de la société civile, le gouvernement a donc fait voter, après maintes tergiversations, une loi en 2006 attribuant aux collectivités territoriales 15% des revenus de l'Etat issus de la redevance minière.

Exploitation minière et pastoralisme nomade : l'exemple d'Imouraren

Officiellement, ce ne sont pas moins de 125 conventions minières (permis de recherche ou d'exploitation) qui ont été octroyées entre 2000 et 2008 par le gouvernement nigérien à 36 compagnies étrangères de 12 nationalités (122 pour la prospection ou l'exploitation d'uranium et 3 permis pétroliers). 75 autres permis pour l'uranium et 7 pour le pétrole n'ont pas encore été officiellement attribués. Après un long bras de fer avec le président Mamadou Tandja, Areva maintient pour l'instant en grande partie sa mainmise sur la production d'uranium grâce à ses filiales exploitant les mines d'Arlit-Akokan et le futur site de production d'Imouraren. En raison notamment de l'accroissement spectaculaire des cours mondiaux entre 2004 et 2007, Areva a dû néanmoins revoir à la hausse ses accords de longue durée. La concurrence chinoise y a également contribué. Les filiales chinoises monopolisent les autres concessions prometteuses et rapidement exploitables. Les compagnies canadiennes, australiennes, sud-africaines, indiennes, britanniques, russes, états-uniennes et des Iles Vierges britanniques se sont partagé le reste des 90 000 km2 alloués à la prospection minière, et qui sont aussi les pâturages des pasteurs de l'ouest de l'Aïr.
Prenons l'exemple d'Imouraren. Quelle place sera accordée à la préservation de l'environnement et du nomadisme pastoral face à ce qui sera à Imouraren, la deuxième plus grande mine d'uranium au monde, à ciel ouvert[16] ? Le site industriel représentera 200 km2et le gisement seul couvrira une surface de 8 km de long sur 2,5 de large (voir carte 2). Que deviendront les villages de Tshin Taghat, Anu Zaggaren et Téshilé qui se situent à quelques kilomètres du futur « trou » de la mine ? Sans compter les problèmes liés à l'urbanisation (création d'un « base-vie », d'un aéroport, de sites industriels et d'une ville champignon[17]), comment pourra se poursuivre l'exploitation pastorale près d'une zone bientôt dévégétalisée et contaminée par les résidus de l'extraction minière ? La poussière dégagée par la mine, le transport du minerai sur d'immenses camions[18], et le dépôt de stériles[19] radioactifs à ciel ouvert, aura évidemment des conséquences environnementales. Quel sera l'impact sur le niveau de la nappe phréatique fossile dite des grès d'Agadez de la consommation d'eau liée à l'exploitation de l'uranium à Imouraren[20] ?
Qu'en est-il plus précisément de la « juste et préalable indemnisation » à la privation des droits d'usage pastoraux prévue par l'article 9 du décret portant création des terroirs d'attache ? Comment se fera l'expulsion et/ou l'interdiction faite à une partie des groupes de pasteurs nomades et semi-nomades Touaregs Kel Tédélé, Kel Gharous et Ikazkazan d'accéder à des itinéraires de transhumance et à des pâturages exploités selon des droits d'usage traditionnels ? Ces groupes disposent d'au moins un terroir d'attache reconnu avec un puits à l'intérieur même du permis d'exploitation octroyé à Areva. Situé sur le site de la dynamitière, le puits sera nécessairement comblé.

Le problème foncier est déjà réglé pour Areva. Selon le porte-parole d'Areva, les nomades de la zone n'auraient pas de biens fonciers, mais se partageraient, ou plutôt « défendent », de simples zones de pâturages se limitant uniquement aux rives des koris ; donc aucune expropriation, ni aucune « gêne », ni même « risque » de gêne pour les nomades : « le droit foncier n'étant pas abouti au Niger - même si l'Etat est en train de mener une réflexion de fond sur le sujet -, peu de personnes possèdent un terrain dans les deux tiers nord du pays. Si les populations locales, majoritairement nomades, n'ont quasiment pas de biens fonciers, elles défendent en revanche des zones de pâturages, qui se situent au niveau des oueds [...]. Un sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé. Nous avons organisé plusieurs journées d'audience publique et nous avons réussi à délimiter une surface d'exploitation qui ne risque pas de gêner les éleveurs »[21]. En accord avec l'Etat nigérien et moyennant une redevance annuelle pour les collectivités locales, Areva s'est donc adjugé une zone réservée et délimitée en excluant de facto les nomades par une lecture restrictive et partiale du décret sur les terroirs d'attache (ce qui leur permet en outre de nier le fait de relever de l'objet de l'article 9 dudit décret). Sous prétexte qu'il n'y a pas de terroir d'attache dans la zone d'Imouraren (en omettant consciemment celui d'Alkhuriya), la question de l'expropriation ni même celle de l'impact ne sont envisagées. Il est évidemment totalement inexact d'affirmer que le pastoralisme nomade ne se limiterait qu'aux oueds. Ces derniers comportent des pâturages et des points d'eau de repli en saison sèche, reconnus aujourd'hui dans la législation foncière comme un terroir d'attache vital pour les pasteurs nomades. Mais ceux-ci ne pourraient survivre dans un espace aussi exigu, les excluant de fait des pâturages saisonniers des plaines d'Imouraren. Ce n'est qu'en dernier lieu que les nomades se résignent en saison sèche à se replier sur les puits permanents et corrélativement à exploiter les ressources arborées des oueds. Constatons que la sécurisation du foncier pastoral avec la notion de terroir d'attache a inversé le rapport des nomades aux oueds et aux puits de saison sèche. Il en a fait le fondement de l'aire de nomadisation alors qu'il n'est que l'ultime recours, lorsque la rareté des ressources est à son paroxysme. La base ultime de repli vital devient alors le strict cadre territorial des droits pastoraux.
L'esprit du décret portant création des terroirs d'attache n'est d'ailleurs pas d'assigner territorialement le nomadisme. Mais tout se passe dans les faits comme si la reconnaissance, très limitée dans l'espace et très partielle dans la législation foncière, de droits territoriaux aux nomades d'un côté, permettait de l'autre de justifier leur exclusion totale des terrains situés hors des terroirs d'attache et de légitimer ainsi l'accaparement de vastes espaces riches en ressources naturelles. Concéder à très peu de frais d'une main permet d'empoigner ailleurs à pleines mains. C'est l'avis du maire de la commune de Dannet, sur le territoire de laquelle est situé Imouraren : « Areva ne voulant rien donner, se serait abrité derrière certaines lois nigériennes (...) incomplètes pour dire que la terre n'appartient à personne, mais à l'Etat nigérien et par conséquent ces problèmes sont minimes, car n'ayant pas trouvé de populations sur l'espace attribué »[22]. C'est aussi celui d'Almoustapha Alhacen, président de l'ONG Aghir in'man : « Areva a tout dit mais n'a pas dit l'essentiel c'est-à-dire ce que vont devenir les nomades d'Imouraren. En plus, Areva a fui Dannet pour venir à Agadez faire cette audience[23] parce qu'ici les gens ignorent la situation des populations de Dannet (...) Areva ne tient même pas compte des populations à Imouraren, on dit d'ailleurs qu'il n'en existe pratiquement pas sur le périmètre ! C'est faux ! Archi-faux ! Nous allons défendre ces pauvres populations ! Pour lui répondre, M. Moussa Souley du groupe Areva[24] soutient mordicus que les chiffres rapportés n'émanent pas du promoteur mais d'une étude de terrain menée par un groupe d'indépendants à qui on peut bien faire confiance ». En effet, dans le cadre de l'étude d'impact environnemental, Areva a financé des recherches de terrain d'universitaires nigériens sur le nomadisme dans la zone d'Imouraren. Mais Areva en arrive ni plus ni moins à inverser les résultats de l'enquête pour affirmer qu'il n'y a pas de nomades sur le permis d'exploitation[25]. Comme l'a confirmé notre propre travail de terrain, il existe plusieurs campements exploitant les pâturages dans la zone du permis et cela même pendant la saison sèche.
L'injustice spatiale nous paraît ici double : cette notion de terroir d'attache censée « sécuriser » les nomades en les stabilisant, permet de justifier leur refoulement et leur cantonnement. Et parce que le pastoralisme n'est pas considéré comme une forme de mise en valeur et d'appropriation territoriale, ils n'ont pas droit aux indemnisations prévues par la loi, au même titre que les agriculteurs[26]. La sécurisation de l'exploitation des ressources naturelles stratégiques passe ainsi par la création d'espaces extraterritoriaux interdisant toute maîtrise locale dans la gestion des ressources naturelles. Le site d'Imouraren est de fait sanctuarisé, c'est-à-dire clôturé, interdit d'accès pour la population locale et surveillé militairement par des dizaines d'hommes armés : Areva finance et équipe des unités militaires nigériennes (FAN et FNIS) et emploie des nomades comme gardiens.

Cette extraterritorialité est encore plus manifeste dans l'exploitation des sites miniers chinois. Celle-ci se fait dans des conditions d'exception encore plus explicites, au mépris des pratiques locales mais aussi des lois nationales nigériennes. L'ONG Aghir in'man voit dans les compagnies chinoises « le même mode opératoire », fait « d'opacité » et de « piétinement des lois nigériennes », au détriment d'une industrie minière « qui s'intègre convenablement dans les territoires où elle s'implante »[27]. Le rapport de l'étude d'impact environnemental du projet de raffinerie de pétrole au bloc d'Agadem (par la compagnie chinoise CNPC) a été réalisé à la hâte par des experts chinois d'après les normes environnementales et la législation chinoises. En outre, certains ingénieurs nigériens, formés en Chine, ont refusé de signer le contrat de travail pour la SOMINA, filiale d'une société chinoise exploitant les mines d'uranium d'Azélik : ils sont en effet sous-payés par rapport à leurs collègues travaillant pour les filiales d'Areva et doivent se plier aux horaires et aux conditions de travail et de rémunération imposées en Chine et externalisées au Niger[28]. Tout se passe avec les sites d'exploitation chinois comme si ces espaces extraterritoriaux jouissaient d'une grande autonomie par rapport à la souveraineté nationale et d'une pleine autonomie par rapport au milieu local.
Dans les faits, la pression sur les ressources naturelles (eau, terres arables, etc.) et les richesses minérales (uranium, pétrole, etc.) concourt à un retour en force du vieux principe colonial du cantonnement des tribus (I. Merle, 1999 et L. Gagnol, 2009). Il s'agit de transformer un droit d'usage non limité spatialement en droit de propriété collective. A Imouraren, c'est bien grâce à la reconnaissance d'un accès prioritaire sur un petit espace (terroir d'attache) qu'Areva en accord avec l'État nigérien justifie l'idée de l'inexistence des nomades et l'accaparement des terres situées en dehors de ces espaces restreints. Mais contrairement à ce qui s'est passé en Algérie à l'époque coloniale, la notion de terroir d'attache cantonne les nomades dans les vallées d'oueds sans qu'il n'y ait pour autant de reconnaissance d'un droit de propriété collective, ni même d'indemnisation à ce cantonnement. Tout se passe comme si les nomades d'Imouraren se faisaient refouler sans autre forme de procès qu'un droit de conquête, c'est-à-dire un droit du plus fort puisque la terre, propriété de l'Etat, a été concédée sans prendre en compte leur existence.


Conclusion

Depuis l'époque coloniale, s'était maintenue au Niger une administration certes centralisée, mais en grande partie non-territorialisée et indirecte par le biais de chefs de tribus et de groupements nomades. C'est précisément ce que remet en cause aujourd'hui la décentralisation, sorte de révolution politique territorialisante, qui s'applique uniformément à tout le territoire nigérien. Il s'agit de la fin de ce que l'on pourrait appeler l'exception administrative nomade. La communalisation est vécue en zone nomade comme le démembrement du pays, l'imposition d'un nouveau pouvoir par le partage de l'espace. La décentralisation a pour principal effet, complètement éludé nous semble-t-il, la destruction des conditions du maintien du nomadisme (L. Gagnol, 2009).
Conforté par un travail de terrain, notre propos sur l'injustice spatiale en milieu nomade est simple : tout ce qui est territorialisé relève de l'injustice spatiale d'un point de vue nomade. La justice spatiale en milieu nomade ne pourrait être que la négation même de l'impératif territorial : il s'agit de garantir la mobilité et la fluidité au sein d'un espace fondamentalement ouvert ou « lisse » selon l'expression de G. Deleuze et F. Guattari (1980).



Au-delà, c'est la question de la maîtrise du local sur les ressources naturelles qui est en jeu face à la multiplication des espaces extraterritoriaux. Nous avons travaillé sur les mines mais nous aurions tout aussi bien pu travailler sur l'achat ou la location de terres arables par des institutions étrangères. Ces enclaves de la mondialisation, symboles de l'économie extravertie, se greffent sur le milieu local en finissant progressivement par créer leur propre milieu associé. Elles participent à la transformation de la société locale qui n'a d'autres choix que de s'adapter, c'est-à-dire se sédentariser, ou disparaître.



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[1] Cet article a été soumis peu après le coup d'état contre le président nigérien en février 2010 et donc avant les événements récents de prises d'otage à Arlit de sept travailleurs des mines d'uranium d'Areva (dont cinq ressortissants français) dans la nuit du 15 ou 16 septembre. D'après le témoignage des gardiens qui sont sortis dans la presse, il s'agirait d'une opération menée par une trentaine d'individus parlant l'arabe et peut-être le tamashaq (Touaregs maliens). On sait depuis qu'il s'agit d'une action menée par la « brigade » d'Abou Zeid d'Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Les Touaregs, notamment nigériens, n'adhèrent pas, dans leur immense majorité, à l'idéologie islamiste. Quoi qu'il en soit, le kidnapping d'occidentaux tend à devenir un business comme un autre dans le Sahara (et ailleurs dans le monde).



[2] Voir le n° 101 (vol. 31, 2004) et 117 (vol. 35, 2008) de la Review of African Political Economy et en particulier un article de M. Klare et D. Volman (2006) de cette même revue.

[3] Début 2010, la région administrative d'Agadez possède une population estimée à 400 000 habitants.

[4] Regroupement de campements fondé sur une relation de parenté ou, aujourd'hui, sur une simple entente de bon voisinage, et formant une unité de production pastorale.

[5] Face à la diminution des terres disponibles et à l'augmentation de la population, les agriculteurs à la recherche de nouvelles terres s'installent de plus en plus au nord, qui est pourtant réservé juridiquement au pastoralisme. Depuis l'époque coloniale, il existe une ligne fictive (le long de l'isohyète de 350 mm de précipitations par an) en deçà de laquelle les cultures sous pluie sont théoriquement interdites.

[6] Il s'agit pour l'instant de petits périmètres privés, mais la Libye s'est dite prête à investir 19 milliards de FCFA pour un programme de développement de l'agriculture irriguée. Treize forages ont été réalisés mais les 50 000 hectares qui devaient être mis en valeur n'ont finalement pas été alloués par le gouvernement nigérien. Le « projet Irhazer » a été repris par Areva qui a annoncé en 2006 l'aménagement de périmètres irrigués sur 5 000 hectares pour un montant de 11 milliards de FCFA sur 5 ans. Une « société privée de mise en valeur de la vallée de l'Irhazer » devrait voir le jour en 2010.

[7] La Réserve naturelle nationale de l'Aïr-Ténéré notamment, classée patrimoine mondial de l'UNESCO, comprend un « sanctuaire » de protection des addax d'où les nomades sont juridiquement exclus.

[8] Dans les conditions environnementales saharo-sahéliennes, le pastoralisme extensif est le plus productif. Des études ont montré que le coût énergétique et écologique du ranching ne le rendait pas plus productif et efficace économiquement. Cela sans compter le coût humain de la disparition de dizaines de familles de pasteurs pour la création d'un ranch à la superficie suffisante pour être rentable.

[9] Ce processus est contemporain à de nombreux pays sahéliens. Pour une comparaison avec le Mali, voir entre autres les travaux de Stéphanie Lima (2005) et de Claude Fay (2006). L'Observatoire de la décentralisation au Niger du LASDEL a produit d'intéressantes études de cas.

[10] L'Atelier régional de réflexion sur le foncier et la décentralisation, organisé par le Haut commissariat à la modernisation de l'Etat, qui s'est tenu à Agadez en mai 2007, a fait, entre autres, ces deux recommandations. Les commissions foncières ont en charge l'immatriculation des propriétés foncières au « dossier rural », sorte de nouveau cadastre rural. La chefferie traditionnelle, autrefois seul juge en matière de reconnaissance des droits d'usage, n'a maintenant plus qu'une voix consultative.

[11] Institués par la Banque mondiale (par le biais du Programme d'Actions Communautaires), ces plans de développement ont été réalisés sur le même modèle et grâce à l'appui des coopérations bilatérales, notamment du programme LUCOP (Lutte Contre la Pauvreté) de la coopération allemande.

[12] Bulletin d'information du LUCOP n° 6 (avril 2006, p. 4).

[13] 3ème recommandation de la commission 3 sur les niveaux de gestion de la décentralisation, 2005, Rapport Général de l'Atelier National sur la Problématique de la Décentralisation et Communautés Nomades au Niger, Haut commissariat à la réforme administrative et à la décentralisation, 8 p.

[14] Tandis qu'Areva est accusé en France de spolier le Nord-Niger de ses richesses, ce qui aurait conduit les Touaregs à prendre les armes, au Niger, Areva a été dénoncé par la presse et le gouvernement nigériens, sinon comme étant le commanditaire de la rébellion, du moins de l'avoir financée et de profiter de la déstabilisation de la région pour préserver ses intérêts contre la Chine et en vue des renégociations de contrats d'exploitation de ses mines. Pour Niamey et une bonne partie de la société civile nigérienne, le MNJ n'est qu'un instrument de déstabilisation orchestré de l'extérieur, notamment par Areva et/ou la Libye. Ainsi, malgré l'attaque d'Imouraren en avril 2007, et après celle des installations de prospections chinoises (avec l'enlèvement d'un ingénieur chinois), Areva a été soupçonné par Niamey d'armer et de soutenir financièrement la rébellion, en échange de la sécurité de ses activités. La stratégie d'Areva qui vise à employer des anciens rebelles touaregs pour la protection de ses sites et de sa main d'œuvre fait aujourd'hui polémique avec la prise d'otages des ressortissants français à Arlit en septembre.

[15] Par crainte de l'autonomie partielle des régions, la communalisation intégrale a précédé les régions et les départements, pourtant plus aisément mis en place et plus viables financièrement. Même si cette région Nord n'est pas nettement délimitée, ressurgit en outre le fantôme de l'éphémère Organisation Commune des Régions Sahariennes de la fin de l'époque coloniale, qui avait déjà fait polémique lors de la présentation des revendications territoriales par la précédente rébellion (voir A. Bourgeot, 2000).

[16] L'objectif de production est de 5000 tonnes par an pendant 35 ans (grâce à 1,2 milliards d'euros d'investissement initial). Le Niger passera du quatrième au deuxième rang mondial pour la production d'uranium.

[17] Si la croissance d'Imouraren est similaire à celle d'Arlit, la population dépassera 60 000 habitants dans une trentaine d'années. Arlit est actuellement une ville de 80 000 habitants, vivant sur les 1900 emplois directs des deux mines (faisant vivre 21 000 personnes selon Areva). Pour Imouraren, 1350 emplois directs (Areva et sous-traitants) et 3375 emplois indirects sont prévus. Même si le projet de construction d'une cité ouvrière sur le site a été abandonné (elle serait implantée à Arlit à 90 km de là), il faut s'attendre à l'afflux de personnes étrangères à la région et à l'apparition d'une ville nouvelle spontanée.

[18] Les camions transportent jusqu'à Cotonou les fûts hautement radioactifs de yellow cake. Les accidents qui surviennent sur ce trajet de 1600 km engendrent des catastrophes écologiques.

[19] Les stériles sont les roches qui contiennent trop peu d'uranium pour être exploitées de façon rentable. Ils sont déposés sans aucune protection. Le vent chargé de poussières diffuse dans l'air des radons et des particules radioactives tandis que le ruissellement et l'infiltration des eaux de pluie contaminent les nappes phréatiques. Sur les pollutions, la situation sanitaire des travailleurs et des habitants d'Arlit, voir les prises de parole de l'ONG nigérienne Aghir in'man et les rapports de la CRIIRAD (2010).

[20] Voir les prédictions alarmantes de l'hydrogéologue A. Joseph, 2008, « Quand l'uranium menace le pastoralisme nomade », Aïr-Info, n° 72. A partir de 2013, l'exploitation de l'uranium demandera 56 000 m3 d'eau par jour, puisés dans les aquifères fossiles (aux ressources non renouvelables).

[21] Yves Dufour, directeur de la communication des activités minières d'Areva, interviewé par le Journal du dimanche, le 26 mars 2009.

[22] Cité dans M. Diallo, 2008, Bulletin d'information du ROTAB, n°8, p. 2.

[23] Il s'agit de l'audience publique qui s'est tenu en mai 2008 à Agadez pour valider le « rapport d'étude d'impact environnemental » réalisé par Areva pour obtenir le « certificat de conformité environnemental » exigé par le ministère de l'environnement. Ce rapport, trop technique pour être compris de la plupart des participants, n'a même pas été remis au « comité ad-hoc » chargé pourtant par le ministère de conduire les audiences publiques. Aucune contre-expertise indépendante n'a permis de contrebalancer ces résultats. Voir Ousseini Issa, « Impact environnemental du projet Imouraren : les inquiétudes des populations d'Agadez », Le Républicain du 15-05-08. L'atelier de validation a par ailleurs émis les observations et recommandations suivantes : nécessité de sensibiliser et d'indemniser les nomades (ce que refuse Areva), élaboration de plans de surveillance environnemental et sanitaire, plans de gestion des risques et de traitement des résidus d'extraction, etc.

[24] Directeur en charge de la communication, du développement durable, de l'environnement et de la santé des populations pour Areva-Niger. Extrait d'Aïr-Info (n° 76, 2008).

[25] Ce texte est inaccessible en France mais il est consultable dans certaines mairies de l'Aïr. Il est impossible d'utiliser les informations qui y sont contenues sans autorisation écrite préalable d'Areva.

[26] Des procédures d'expropriation et d'indemnisation sont en cours en ce qui concerne la construction de la raffinerie de pétrole par une société chinoise prés de Zinder. Les populations visées sont des agriculteurs, qui eux-seuls ont pu enregistrer leurs titres fonciers au dossier rural.

[27] « La SOMINA interpellée », Le Républicain du 24 avril 2009.

[28] Voir le Bulletin d'information du réseau des organisations de la société civile pour le transparence dans les industries extractives et l'analyse budgétaire, n° 9, mars 2009.

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