mercredi 9 juin 2010

Kerviel et les criquets

Publié le 09/06/2010 08:24
LA DEPECHE.fr

Dominique Delpiroux
Kerviel et les criquets

Connaissez-vous le Niger ? C'est un pays d'Afrique pas vraiment riche où habitent des Haoussas, des Touaregs, des Kanuris ou des Peuls. Parfois, les criquets par milliards ravagent le peu de céréales que l'on tente d'y faire pousser. Alors, on y a faim pendant un, deux ans, voire plus. Il y a un peu de charbon, beaucoup d'uranium, mais ce ne sont pas les habitants qui vont profiter de ce minerai magique pour centrales nucléaires… Là-bas, bien des gens vivent avec un peu moins de 2 dollars par jour - quand ils ne sont pas des gosses ou des femmes esclaves, justement dans des mines ou les bordels…
Pourquoi parler du Niger ? Tout simplement parce que la richesse totale accumulée par ce pays en une année équivaut à la «bavure» de Jérôme Kerviel. En un coup de poker, le trader a perdu l'équivalent du PIB du Niger, presque 5 milliards d'euros. Et parfois, nous explique-t-on, il pouvait engager dans la journée des sommes de 50 milliards d'euros. Deux fois et demi le déficit de la Sécurité Sociale française. Quasiment le PIB d'un pays comme le Maroc…
Alors, effectivement, on pénètre dans un autre monde, avec Jérôme Kerviel, et il n'est guère étonnant de voir se presser au Palais de Justice de Paris les médias du monde entier, venus contempler ce trader qui s'est fait attraper le doigt dans un pot de confiture monstrueux.
Du reste, cette première journée d'audience apparaît quelque peu comme surréaliste. Le jeune homme déclare que oui, il a bien commis quelques petites bêtises, mais que certaines combines sont monnaie courante dans les salles de marché.
Lorsque l'on sait ensuite comment des « kervieleries » en chaînes et des « madofferies » en gros ont ruiné des milliers de personnes, mis sur le pavé des millions de chômeurs, plombé l'économie mondiale, fait trébucher des états, on s'arrache les cheveux en constatant que ce sont ces joueurs de Monopoly qui tiennent la planète entre deux clics de souris.
Dans le monde d'aujourd'hui, la finance joue perso. Au procès Kerviel, le PDG de la Société Générale, Daniel Bouton a envoyé une lettre au président du tribunal, « doutant de l'intérêt pour la justice de l'entendre, mais se disant prêt à venir si on le lui demande ».
Évidemment, les banques n'ont aucune envie que les gouvernements, les juges, et la démocratie en général viennent mettre leur nez dans leurs comptes. Et peuvent regarder de haut des États moins riches qu'elles. Des États, qui après la crise, se retrouveront comme les Nigériens après les criquets.

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