mardi 9 février 2010

Face à l’instabilité chronique et aux conflits endémiques, l’Union africaine politique, des ambitions et des contraintes


Louisa Aït Hamadouche
http://www.latribune-online.com
mardi 9 février 2010

Le 14e Sommet de l’Union africaine s’est clos à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, le 2 février dernier. Comme toujours, il a été question des sujets qui préoccupent les Africains, gouvernants et gouvernés, tels que le développement et les conflits. Les débats se sont toutefois concentrés sur l’opportunité des TIC en Afrique : défis et perspectives pour le développement. Autre singularité du sommet, la fin du mandat du président en exercice de l’Union, le Guide libyen Mouammar Kadhafi.Egalement à l’ordre du jour, l’épineuse question budgétaire de l’Union et la transformation de la Commission de l’UA en « autorité », dont le principe avait été adopté lors du dernier sommet des chefs d’Etat à Syrte, en juillet 2009, mais dont les contours restent flous.Les sujets politiques sont et demeurent d’une importance capitale, d’autant qu’une dizaine d’élections présidentielles auront lieu au cours de cette même année.

L’Afrique politique
Faisant le bilan de ces six derniers mois, le président de la commission de l’Union africaine, Jean Ping, estime que les améliorations concernent la préparation des élections générales au Burundi, l’accalmie en Centrafrique (même si l’opération de démobilisation, de désarmement et de réinsertion n’a pas encore débuté), le rétablissement de la légalité en Guinée-Bissau, la stabilité aux Comores (en soulignant la nécessité d’organiser des élections) et les progrès réalisés en République démocratique du Congo dans le cadre des Accords de Goma de mars 2009. En revanche, les points de tension aiguë concernent plusieurs coups d’Etat en six mois, les situations critiques au Niger, ainsi qu’en Guinée et à Madagascar, deux pays suspendus de l’organisation. Les deux chefs d’Etat ne siègeront donc pas aux côtés de leurs homologues, mais des délégations sont néanmoins attendues à Addis-Abeba. A cela s’ajoute la précarité de la présence de l’UA en Somalie et au Soudan.Face à cette multitude de tensions politiques internes, l’Union africaine a décidé d’une nouvelle approche basée sur le principe de la tolérance zéro des coups d’Etat et d’imposer des sanctions aux pays instigateurs ou sympathisants des changements anticonstitutionnels dans les pays membres. Cette tolérance zéro devra s’appliquer aussi à tout type de « violations des normes démocratiques dont la persistance ou le recours pourraient déboucher sur des changements inconstitutionnels ». Après trois jours de travaux, l’UA annonce s’être dotée d’instruments juridiques nécessaires pour lutter contre les changements anticonstitutionnels de régimes politiques. Ces mesures comprendront des sanctions économiques punitives, l’exclusion, en plus d’un appel à la non-accréditation des autorités de fait dans les organes internationaux non-africains, dont les Nations unies. Pour que ces mesures soient effectives, tous les Etats doivent ratifier la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance qui renforce les dispositions sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. L’UA invite aussi ses membres à respecter le principe de la légalité et à s’en tenir à leurs propres Constitutions nationales, « spécialement quant à l’introduction de réformes constitutionnelles »… qui peuvent créer des « situations tendues qui, à leur tour, peuvent déboucher sur des crises politiques ». L’allusion est claire. Elle fait référence aux nombreux amendements constitutionnels visant à maintenir un président en place après qu’il a épuisé le nombre légal de mandats.La coopération institutionnelle au sein de l’Union est importante mais ne peut pas suffire et encore moins pallier les déficits de coopération entre les Etats. Les spécialistes jugent l’échange d’informations entre les services de renseignement très insuffisant, même si des efforts méritent d’être signalés. Ainsi en Afrique de l’Ouest la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle mis en place des mécanismes de prévention et de régulation des conflits. La force d’interposition Ecomog, l’Accord de non-agression et d’assistance en cas d’agression extérieure contre l’un des pays membres, le Conseil des sages et d’autres structures, constituent des initiatives intéressantes. D’autres organisations comme la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) ont inclus dans leur programme d’action, la lutte contre la criminalité. L’Union du Maghreb arabe devrait, en théorie, constituer un outil de lutte contre le terrorisme dans la sous-région, s’il fonctionnait correctement. Ou si elle fonctionnait tout court. La faiblesse des initiatives régionales et sub-régionales laisse poindre de façon encore plus voyante la présence de puissances extra-régionales, notamment des Etats-Unis et de l’Union européenne. En lançant en 1997 le programme « Renforcement des capacités pour le maintien de la paix en Afrique » (Recamp), la France avait pour objectif de former, d’entraîner et de soutenir les pays africains pour être en mesure de faire face au fléau de l’insécurité. De leur côté, les Etats- Unis ont lancé en 2003 l’initiative « Pan-Sahel » qui a permis d’équiper les armées du Mali, de la Mauritanie, du Tchad et du Niger dans leur lutte contre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), une branche d’El Qaïda.Mais toutes les critiques relevant de la oopération sécuritaire ne pourront jamais remplacer le fond du problème qui est avant tout de l’ordre de la gouvernance politique. Legré Koukougnon, administrateur civil, secrétaire général de la préfecture d’Abidjan dira à ce sujet : « La prescription de règles ou de normes et leur stricte application dans la gestion des affaires publiques ou privées par les structures qui en ont la charge » est indissociable de la sécurité du pays. Cette gouvernance implique la transparence, la rigueur, la responsabilité, la communication et la participation de tous au processus décisionnel et au suivi de l’exécution des tâches dans l’intérêt majeur de la population.

L’Afrique des crises
Les mesures décidées par l’UA suffiront-elles à endiguer, à défaut de résoudre, l’instabilité chronique du continent ? Rappelons que sur les crises politiques se greffent des crises alimentaires, sanitaires et écologiques comme les sécheresses, auxquelles il faut ajouter la piraterie sur les côtes maritimes (50% des actes de piraterie recensés à travers le monde se déroulent en Afrique et singulièrement sur les côtes somaliennes et nigérianes), la criminalité ransfrontalière et les groupes armés qui y sévissent, notamment dans la bande sahélo-saharienne. Toutes ces crises naissent, s’aggravent et dégénèrent dans un contexte politique marqué par la mauvaise répartition des ressources du pays, les disparités régionales criantes qui accentuent les clivages et les frustrations ethniques ainsi que le mauvais règlement de litiges d’ordre foncier, territorial ou religieux. Les conflits territoriaux touchent 1 pays sur 3 en Afrique, affirme Abdoulaye Diallo du Sénégal, et sont causés par le morcellement des pays africains à l’époque coloniale. La menace terroriste pourrait être accentuée par la pauvreté endémique. Dans ce contexte, les ressources minières et énergétiques sont de plus en plus un facteur aggravant. Selon le Camerounais Aboya Endong, la découverte de l’or noir sur les côtes du golfe de Guinée en a fait une véritable zone géostratégique qui suscite toutes les convoitises, aussi bien celles de certaines puissances émergentes que celles des pirates. L’expert a également fait remarquer que c’est dans cette même sous-région que les chefs d’Etat battent tous les records de longévité au pouvoir.Ce pays est à trois mois des élections générales et à un an d’un référendum sur une éventuelle indépendance du Sud. D’ailleurs, une réunion uniquement consacrée au Soudan s’est tenue en marge du sommet, à l’initiative de Ban Ki-moon et Jean Ping, avec le résident soudanais Omar El Béchir, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, et les présidents d’Afrique du Sud, du Nigeria, du Tchad et de l’Algérie. Une mobilisation intervenant tard, selon certains membres de la délégation soudanaise qui estiment qu’elle aurait dû arriver beaucoup plus tôt. Pour Akwei Bona Malwal, il est trop tard. « Nous avons demandé depuis longtemps à la communauté internationale de se mobiliser, mais maintenant les gens se sont fait leur opinion au Sud-Soudan. Ils sont en faveur de l’indépendance... La communauté internationale peut toujours s’impliquer pour aider les deux parties à faire face à l’après-référendum de manière pacifique ».La Libye a estimé pour sa part dimanche que le Sud avait le droit de se dissocier du Nord par référendum, mais [qu’]il y avait des dangers pour le Sud. « Le risque de guerre est plutôt entre les gens du Sud qu’entre le Nord et le Sud. Ils ont des différends sur la terre, les points d’eau, et cela entraîne déjà des combats. S’ils venaient à l’indépendance, ce serait un micro-Etat qui susciterait la convoitise de ses voisins. » Pour rappel, le Nord, majoritairement musulman, et le Sud, en grande partie chrétien, ont mis fin en janvier 2005 à 21 ans de guerre civile. L’accord de paix global (CPA) a permis la création d’un gouvernement semi-autonome au Sud-Soudan et prévoit la tenue en avril des premières élections, présidentielle, législatives et régionales multipartites depuis 1986 au Soudan et un référendum en janvier 2011 sur l’indépendance du Sud.

L’Afrique de l’économie
Ce n’est pas une surprise, le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) a été définitivement intégré dans les structures de l’Union africaine, conformément aux recommandations faites lors du sommet d’Alger en 2007. Une agence d’exécution du programme du Nepad sera créée avec un siège en Afrique du Sud.Difficile de parler de développement sans aborder les prévisions en ce sens. Le président de la Banque africaine de développement (BAD), le Rwandais Donald Kaberuka, s’est déclaré optimiste sur la reprise de la croissance économique en Afrique. Ainsi table-t-il sur une croissance entre 4,5 et 5% en 2010 pour le continent et environ 6% en 2011, grâce notamment à la reprise des exportations et au maintien des prix des produits agricoles comme le café ou le cacao. S’agissant des risques de surendettement de l’Afrique, il relève que, dans le passé, l’Afrique s’est endettée pour l’amélioration du bien social public, donc des projets sans capacité rapide de remboursement. En revanche, la Chine investit dans les infrastructures qui créent des dynamiques commerciales et de développement, ce qui minimise le risque d’endettement sur le long terme. A cela s’ajoutent les investissements du Brésil, de l’Inde et des pays du Golfe.Comme cité plus haut, les nouvelles technologies ont fait partie de l’ordre du jour de ce sommet. L’ordinateur représente désormais un enjeu stratégique pour les entreprises et un outil de développement pour les États. Les banques et les opérateurs télécoms africains sont de grands onsommateurs d’informatique. Le e-banking, le m-banking et l’Internet mobile connaissent une croissance exponentielle. Les programmes de gouvernance électronique (e-gouvernance), adoptés par la majorité des pays africains, et le développement de l’éducation ont aussi augmenté les besoins en termes informatiques.Or, avec un ratio moyen de neuf ordinateurs pour 1 000 habitants, l’Afrique aiguise les appétits des majors mondiales de l’informatique. « Le marché africain de l’informatique devient très dynamique grâce à une croissance économique rapide tirée par les réformes économiques et l’augmentation des investissements directs étrangers. » Ce n’est pas un homme politique qui le dit, mais un rapport sur les perspectives des TIC en Afrique à l’horizon 2013, publié récemment par le cabinet d’études International Data Corporation (IDC). A titre d’illustration, IBM a lancé une offensive afin de concurrencer Microsoft en Afrique, proposant des prix deux fois moins élevés. HP a investi le marché africain depuis longtemps, ce qui lui vaut aujourd’hui un positionnement de leader incontesté sur ce marché, souligne Fouad Jellal, directeur pour l’Afrique francophone de Hewlett-Packard (HP). Le leader mondial de l’industrie du matériel informatique (19,3% du marché mondial et 59 millions de PC vendus), vient de lancer un projet baptisé HP-African Opportunity. Le but ? Accroître sa présence sur le marché informatique africain pour peser 4,5 milliards de dollars en 2010. En plus des antennes au Maroc et en Egypte et des 14 000 partenaires distributeurs, HP a ouvert, fin 2009 à Tunis, un centre d’assistance pour ses clients en Afrique et au Moyen-Orient. A l’horizon 2011, le groupe envisage d’ouvrir des représentations en Côte d’Ivoire et en Libye. A l’instar d’Oracle, Dell et HP, IBM vient également d’étoffer son réseau de distribution sur le continent en confiant une part de sa distribution à CFAO Technologies, aujourd’hui active dans 22 pays africains. D’autre part, les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) les plus en vue dans le monde se livrent à une course serrée pour l’enracinement sur le continent. Des fleurons comme Accenture, Unilog ou Capgemini ont créé ces dernières années des filiales africaines pour être plus proches de leurs clients. Finalement, ce regain d’activités confirme que les investissements ne sont pas toujours conditionnés par une stabilité politique bien ancrée, tandis que les investisseurs savent s’adapter aux gouvernants peu légitimes, aux législations changeantes, pour peu que les contrats puissent être signés.

L. A. H

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