Vincent Hugeux- 19/02/2010 à 11:03-
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Coup d’Etat contre coup de force au Niger
vendredi 19 février 2010
Le putsch militaire perpétré jeudi à Niamey par des officiers de rang intermédiaire met un terme au règne controversé de Mamadou Tandja, président élu vaincu avant tout par l’ivresse du pouvoir.
Le Niger, pays sahélien de 15 millions d’âmes aux deux-tiers désertique, produit pour l’essentiel de l’uranium et des coups d’Etat militaires. Quatrième du genre depuis l’indépendance, après ceux de 1974, 1996 et 1999, le putsch survenu jeudi à Niamey obéit à un scénario d’un classicisme éprouvé : l’assaut donné par les mutins au palais présidentiel, les tirs à l’arme lourde, la musique militaire diffusée sur les ondes de la radio nationale - la Voix du Sahel - puis à la nuit tombée, le premier communiqué d’un "Conseil supérieur pour la restauration de la démocratie" (CSRD), lu d’un ton grave par un officier entouré de frères d’armes en treillis.
Porte-parole dudit CSRD, le colonel Goukoye Abdoulkarim annonce alors la suspension de la constitution et "de toutes les institutions qui en sont issues". Plus tard, on apprendra l’instauration d’un couvre-feu, la fermeture des frontières aériennes et terrestres et la dissolution du gouvernement, le tout assorti, autre figure de rhétorique traditionnelle, d’un "appel au calme". Annonce du coup dEtat au Niger sur Télé Sahel le jeudi 18 février 2010
Exhortation superflue. Bien sûr, les combats, brefs et meurtriers -une dizaine de soldats loyalistes tués - ont un temps tétanisé le centre ville. Reste que l’éviction du président Mamadou Tandja, promptement emmené dans la caserne de Tondibia, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, suscite plus de soulagement que d’inquiétude. "Au marché, quelques heures après le coup, raconte Maman Abou, directeur du journal Le Républicain, joint en début de soirée, j’ai vu les gens applaudir les militaires de passage, tandis que résonnaient les youyous des femmes. Tandja l’a bien cherché : il a creusé sa tombe politique."
Coup de force constitutionnel
Allusion à l’entêtement du chef de l’Etat déchu, grisé par le pouvoir et auteur l’an dernier d’un grossier coup de force constitutionnel. En théorie, ce septuagénaire natif de la région de Diffa (sud-est) aurait dû s’effacer le 22 décembre, au terme de son second quinquennat. Mais l’ancien officier, associé dès 1974 au renversement de Diori Hamani, premier président du Niger indépendant, par le général Seyni Kountché, tenait trop à son trône pour se soumettre à la loi, fut-elle fondamentale. Au prix d’un référendum boycotté par l’opposition, il s’octroie au coeur de l’été une prolongation de bail de trois ans, ainsi que le droit de briguer ensuite la magistrature suprême autant de fois qu’il lui plaira. La Cour constitutionnelle renâcle ? Il la dissout. Le parlement le désavoue ? Même motif, même punition. La Cedeao - Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest - suspend Niamey de ses instances ? Le Néron sahélien s’en soucie comme d’une guigne.
Le timing du putsch n’a d’ailleurs rien de fortuit : il a été perpétré à la faveur d’un conseil des ministres censé avaliser le retrait du Niger du forum ouest-africain. Ultime péché d’orgueil de Tandja l’autiste. "Trop, c’est trop, commente Maman Abou. Les commandants et les capitaines, formés pour la plupart à l’étranger, acquis au respect de l’Etat de droit, redoutaient les effets néfastes de cet isolement hautain. Voilà des semaines que la rupture entre les jeunes officiers et la haute hiérarchie galonnée était patente. Au demeurant, les mutins ont agi avec la complicité active de la Garde présidentielle. Tout le monde s’attendait à ce que ça bouge." Sauf à l’évidence le principal intéressé qui, le 13 janvier, lors des voeux aux ambassadeurs, accusa ses hôtes d’avoir, pour des "motifs inavoués", transformé un "débat interne en crise profonde", avant de les sommer de se conformer à leurs "obligations protocolaires".
Les images diffusées nuitamment par Télé-Sahel esquissent un casting éloquent. Ni le chef d’état-major général des armées, ni le chef d’état-major particulier de Tandja ne figurent sur la photo de famille. En revanche, on y repère le colonel Djibrila Hima Hamidou, alias Pelé, patron de la "Zone de défense no1", la plus importante du pays, mais aussi le chef d’escadron Salou Djibo, qui commande la Compagnie d’appui de Niamey, actrice-clé du putsch, ainsi que l’aide de camp du Premier ministre Ali Badjo Gamatié ou l’ex-bras droit de Daouda Wanké, chef de la junte qui exerça un temps le pouvoir au lendemain du coup d’Etat fatal en 1999 au général putschiste Ibrahim Baré Maïnassara...
Un autre facteur a sans nul doute hâté ce dénouement : le blocage total des laborieuses négociations engagées sous l’égide le l’ex-président nigérian Abdoulsalami Aboubacar, médiateur de la Cedeao et partisans d’un tandem qu’auraient formé, au sommet de l’exécutif, Tandja et un chef de gouvernement issu des rangs de l’opposition. Laquelle exigeait en vain le retour à l’ordre constitutionnel antérieur au pronunciamento d’août 2009.
Et maintenant, chef, on fait quoi ? Le CSRD promet comme il se doit d’instaurer au Niger "un exemple de démocratie et de bonne gouvernance". Il est tentant d’ironiser sur ce genre de serment rituel, énoncé en son temps à Conakry par le fantasque capitaine Moussa Dadis Camara, clown tragique et figure de proue, aujourd’hui détrônée, d’une soldatesque criminelle. Pour autant, une dérive à la guinéenne n’a rien de fatal. "A ce stade, je suis plutôt confiant, avoue le directeur du Républicain. D’autant qu’on allait tout droit à la guerre civile. Pour que notre démocratie fonctionne, les élections ne suffisent pas. Il faut que nos leaders politiques, enclins à se comporter en chefs de village dès qu’ils accèdent aux commandes, s’affranchissent de cette culture de l’impunité, répondent de leurs actes et fassent enfin preuve de sens du bien public."
Pour les putschistes et - on peut rêver - les civils élus qui prendront le relais, le chantier s’annonce pour le moins ardu. Assis sur un pactole uranifère colossal, le Niger végète au dernier rang - 182e sur 182, encore bravo - du classement de l’"indice de développement humain" établi par les Nations unies. Tandis qu’en ce début d’année, le spectre de la pénurie alimentaire, fléau récurrent , menace 2,7 millions de démunis, soit près de 20% de la population.
La France, dans tout ça ? Exaspérée par l’intransigeance de Tandja, elle cache sa joie sous les communiqués convenus du Quai d’Orsay et croise les doigts. Tout en priant pour un retour rapide à la stabilité. Il serait fâcheux qu’une parenthèse chaotique perturbe l’exploitation du fabuleux gisement d’Imouraren, situé en terre touarègue et arraché au prix fort par Areva, no1 mondial du nucléaire civil et fleuron de l’industrie bleu-blanc-rouge.
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