samedi 1 novembre 2014

Almouner Ag Hamad Ahmad, nomade à Djébock : «Sans amélioration de la qualité de vie de toutes les populations septentrionales, le Nord ne connaîtra jamais la paix»

Françoise WASSERVOGEL,Le Reporter
Almouner Ag Hamad Ahmad vit à Djébock dans la région de Gao. Il est un nomade Kel Tamasheq de 27 ans. Sa tribu, les Chérifiens, a toujours entretenu des liens cordiaux avec les autres nomades et avec les sédentaires Songhoï. Dans cet entretien, il se prononce sur les pourparlers d’Alger, le retour de la paix et de la stabilité, la vie entre les communautés dans la région de Gao. Il évoque surtout la vie des nomades.
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Dites-nous ce que veut dire être nomade aujourd’hui ?
Almouner Ag Hamad Ahmad : Depuis la grande sécheresse de 1973, beaucoup de Chérifiens se sont sédentarisés dans les villages, mais ils continuent à vivre au rythme des saisons avec leur bétail. Par définition, un nomade n’a pas d’habitation fixe et pratique la transhumance. Il vit sous la tente et change de lieu en quête de pâturage. Il se déplace avec sa famille et souvent, avec des voisins. Parfois, les familles forment ce qu’on appelle un campement. Pour les déplacements, ce sont généralement les ânes qui transportent les tentes, les mâts, les caisses… La femme s’occupe de tout ce qui concerne la famille. L’homme est chargé du bétail qui est constitué de moutons, chèvres, bovins et camelins. L’organisation du campement est assurée par l’ensemble des chefs de famille, sous la responsabilité de l’aîné ou du plus expérimenté. Les débats tournent autour du bétail, du choix des pâturages et des puits. Les nomades s’approvisionnent dans les marchés. Autrefois, ils prévoyaient suffisamment pour transhumer un ou deux mois. Aujourd’hui, ils trouvent souvent des marchés près des zones de pâturage. Donc, si nécessaire, ils s’y ravitaillent en grains (riz, mil), et aussi en semoule qui vient de l’Algérie. Les nomades ne consomment quasiment pas de fruits et légumes. La vie est simple, avec des contraintes, mais les nomades sont heureux de leur façon de vivre.
Vous parlez de familles, donc il y a des enfants. Les jeunes nomades peuvent-ils aller à l’école? 
Depuis 2 ans, les écoles n’ont presque pas fonctionné dans nos régions.  Avant le début du conflit, les nomades qui étaient conscients de l’importance de l’instruction, confiaient leurs fillettes et garçons à une connaissance ou à un parent sédentarisé, et les inscrivaient à l’école.  Il faut reconnaître que tous ne le faisaient pas. C’est ce qui explique que le taux de scolarisation est très bas. Il faut que les parents soient sensibilisés sur la nécessité de scolariser les enfants.
Une des raisons qui ont servi de prétexte au soulèvement est le déficit de développement du septentrion. Peut-on dire que la zone nomade souffrait de ça aussi ?
Bien sûr. Tout visiteur pouvait le constater partout et dans tous les secteurs, que ce soit sanitaire, éducatif ou hydraulique. Quand on sait les  sommes colossales qui ont été allouées, c’est une honte ! Par exemple, ici, vous ne trouverez pas un centre de santé dans un rayon de 60km. Dans cette région, hors des villes, c’est ça la réalité des populations nomades et sédentaires. En saison pluvieuse, nous souffrons tous de ce qu’on appelle la «fièvre», le palu, malgré les moustiquaires. La fièvre, c’est notre souci principal, mais nous sommes loin de tout centre de santé, donc ce n’est pas facile. L’eau, c’est la vie partout, mais à plus forte raison dans les zones désertiques. Pour nous nomades, le point d’eau se trouve parfois à plusieurs km des tentes. Les hommes comme les femmes s’en occupent. Il y a les petits puits (6 à 7 mètres de profondeur) et les grands (50 ou 60m). S’il n’y a pas de pompe mécanique, les hommes attachent la longue corde aux  ânes ou aux dromadaires, et ce sont les bêtes qui tirent pour remonter les seaux. On remplit les outres, les jerricans, les bidons, pour le transport et le stockage. Nous consommons régulièrement de l’eau que d’autres appellent «café au lait». C’est une eau remplie de résidus sableux ou boueux. Elle n’est pas considérée comme potable, mais malheureusement, c’est souvent la seule qui est disponible.
On entend fréquemment que des frictions, parfois tragiques, ont lieu entre nomades autour des points d’eau ?
Effectivement, des conflits éclatent autour des puits, et pourtant, l’eau ne manque pas. Ils naissent de l’incompréhension ou de l’agissement des uns ou des autres. C’est ce qui fait que ça dégénère. C’est aux chefs de campement de désamorcer les tensions en proposant une solution.
On parle aussi de conflits entre les communautés. Qu’en est-il? 
Dans notre région, il y a les Tamasheqs, les Songhoïs, les Peulhs, les Maures et les Arabes. Nous avons des rapports historiques d’entente et de solidarité, entre nous, nomades et sédentaires. Autrefois, en cas de tension,  les chefs se consultaient pour trouver une issue aux problèmes, qu’ils aient été intercommunautaires ou internes à une communauté. Mais depuis début 2012, la situation générale s’est dégradée. La méfiance s’est installée chez tout le monde. On cherche les responsables de la crise. Les vieux démons se sont réveillés et les tensions sont parfois devenues très sévères. Certains individus ont souillé et souillent encore cette entente ancestrale par des actes abominables. Nous devons reconstruire nos liens séculaires. Voilà pourquoi il est important aujourd’hui que l’Etat s’appuie aussi sur les autorités traditionnelles. Vous savez, la parole du chef traditionnel reste très écoutée dans toutes nos sociétés. C’est le levier de la paix dans le septentrion.
Depuis janvier 2013, les forces armées nationales et étrangères sont présentes.  Qu’en pensent les populations ?
Avec toutes ces forces, nous avions cru que la quiétude et la paix allaient renaître. Quelle désillusion ! La Minusma et des militaires français n’ont pas évité l’enlisement pour trouver un accord global. Cela suscite une grande incompréhension. Cet enlisement a même favorisé la reprise sévère des hostilités. On peut s’attendre à ce que ça coûte encore d’autres vies. J’ose espérer que les belligérants sont conscients de la nécessité d’arriver à un accord, le plus vite possible, pour stopper cet engrenage.
Outre cet enlisement, on constate une résurgence des  jihadistes. Les nomades sont-ils plus vulnérables ?
Les populations ne savent plus qui est qui dans la multiplication des acteurs nationaux et jihadistes. Ce qui leur fait peur, ce sont les hommes armés, quels qu’ils soient. Ce qui intéresse les nomades, c’est l’avenir de leur vie sur leur terroir. L’Etat ne s’est pas réinstallé en brousse et les forces internationales ne se stationnent pas à proximité. Mais, les populations mènent leur vie, malgré tout. Elles n’y ont d’ailleurs rien changé pendant l’occupation. Parfois, des hommes lourdement armés venaient aux campements pour les intimider. Je vais vous donner un exemple. Ils sont venus collecter la Zakat. C’est un des piliers de l’Islam. Tout musulman doit consacrer une partie de ses revenus aux plus pauvres. Chez les nomades, c’est une habitude. À partir de 40 chèvres, tu dois en soustraire une par an et la donner aux pauvres. Quand ces gens armés sont venus pour la Zakat, les nomades n’ont pas compris. Les jihadistes voulaient leur imposer une «nouveauté», alors qu’ils ne les avaient pas attendus pour respecter cette règle. Les nomades ont eu très peur, car ils étaient seuls face aux armes, loin de tout.
Parlons des négociations en cours à Alger. Les nomades sont-ils confiants ?
Tout le monde entend parler d’accords depuis juin 2013, mais il n’y a pas eu d’entente réelle entre les belligérants. Donc, rien n’a changé, au contraire. Eux seuls savent ce qui les sépare. Il est impossible ici de spéculer sur les raisons. Nous n’avons pas d’éléments tangibles. C’est donc à eux de résoudre ça. Il est évident que toutes les populations veulent la paix, mais il serait prétentieux de parler en leur nom. Ce qui tombe sous le sens, c’est que les belligérants doivent s’entendre sur ce qui bénéficiera absolument à toutes les populations, où qu’elles vivent et qui qu’elles soient. La difficulté majeure des négociations, c’est que chaque partie est convaincue d’avoir raison. Elle veut s’imposer aux autres. Ce sont les  médiateurs de ces négociations qui doivent  les amener à trouver le bon chemin.
Au vu de l’échec de chacun des accords signés successivement depuis l’indépendance, que doit-on éviter cette fois-ci pour que les accords assurent une paix définitive ?
Que ce soit l’Etat ou les belligérants, chaque partie signataire prétend qu’elle a respecté sa part des accords précédents. Ce qui mine les populations, c’est le déficit général de développement. Cette fois-ci, les accords doivent inclure une clause qui détermine le suivi des fonds alloués au développement du septentrion. Ceux qui seront chargés de gérer ces budgets doivent être des hommes intègres, uniquement préoccupés du bien-être de tous leurs concitoyens. Je répète, des sommes colossales ont été dévolues au développement, mais elles ont été mangées. C’est inadmissible. Ce constat est valable partout au Mali, au Nord comme au Sud. La corruption est la cause du non-développement de tout le pays. C’est ce qui devra être mis sous surveillance nationale et internationale.  Sinon, ils seront tous complices. Si les futurs accords ne permettent pas à terme l’amélioration conséquente de la qualité de vie de toutes les populations septentrionales, le Nord ne connaîtra jamais la paix.

Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter,http://mali-web.org/interviews/almouner-ag-hamad-ahmad-nomade-djebock-sans-amelioration-de-la-qualite-de-vie-de-toutes-les-populations-septentrionales-le-nord-ne-connaitra-jamais-la-paix

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