Le centre à fric - Géopolitique d’un barbouze
Par François Ruffin, Vincent Kassoif, 17/12/2013 , numéro 63 (décembre 2013- janvier 2014)
On l’annonçait, dans le numéro en kiosques : « Le Mali, la Libye, la Syrie, ça suffit pas ? Eh bien non : François Hollande enverrait bien nos petits gars se défouler en République centrafricaine. Pour “secourir” les populations, bien sûr. » C’est maintenant chose faite.
Un barbouze nous dévoile le dessous des cartes.
Un barbouze nous dévoile le dessous des cartes.
C’est un « pays en proie à des violences depuis plusieurs semaines, un pays en voie de dislocation, sans gouvernement » : ainsi les médias – en l’occurrence TF1 – nous décrivent-ils la Centrafrique. Voilà d’ailleurs, ce « qui a poussé le président Hollande a agir dans l’urgence » (TF1, 5/12/13).
C’est sous les hourrah, dès lors, que les soldats français mènent la guerre : « Quelque part dans ce chaos, une population terrorisée qui découvre avec soulagement la progression des français. Protéger les civils ? La priorité de l’opération Sangaris. Le long de la nationale 3 les familles l’ont bien compris. Accueil chaleureux dans les localités puis totalement délirant à Bouar, la grande ville de l’Ouest. Ici, depuis des mois, la Séléka fait régner la terreur. […] Les habitants ne veulent pas voir partir les Français. Pour ces derniers, pas le temps de savourer avec des hommes armés non identifiés encore présents en ville, mais le passage à Bouar restera un souvenir indélébile. »
Mais qu’est-ce qui a fait de la Centrafrique « un pays en voie de dislocation » ?
Depuis quarante ans que la France intervient là-bas, quel est le bilan de nos opérations ?
Quels sont les intérêts que nous défendons sur place ?
Ces questions ne sont jamais posées, on leur préfère les scènes de liesse, le « devoir » de « protéger les populations », « la résolution adoptée à l’unanimité à l’Onu ».
C’est sous les hourrah, dès lors, que les soldats français mènent la guerre : « Quelque part dans ce chaos, une population terrorisée qui découvre avec soulagement la progression des français. Protéger les civils ? La priorité de l’opération Sangaris. Le long de la nationale 3 les familles l’ont bien compris. Accueil chaleureux dans les localités puis totalement délirant à Bouar, la grande ville de l’Ouest. Ici, depuis des mois, la Séléka fait régner la terreur. […] Les habitants ne veulent pas voir partir les Français. Pour ces derniers, pas le temps de savourer avec des hommes armés non identifiés encore présents en ville, mais le passage à Bouar restera un souvenir indélébile. »
Mais qu’est-ce qui a fait de la Centrafrique « un pays en voie de dislocation » ?
Depuis quarante ans que la France intervient là-bas, quel est le bilan de nos opérations ?
Quels sont les intérêts que nous défendons sur place ?
Ces questions ne sont jamais posées, on leur préfère les scènes de liesse, le « devoir » de « protéger les populations », « la résolution adoptée à l’unanimité à l’Onu ».
« Livret de Caisse d’épargne »
Ces jours-ci, on fait tourner un DVD dans l’équipe de Fakir : The Ambassador. C’est un documentaire danois, à la Borat, ou à la Michael Moore : le réalisateur Mads Brügger se fait nommer consul en Centrafrique et là, jouant les biznessmen, il s’adonne au trafic de diamants, corrompt des ministres, dévoile l’envers d’un fragile décor diplomatique. Au passage, notre Tintin scandinave croise un drôle de zigue, Guy-Jean Le Foll, ancien légionnaire, devenu mercenaire, « chargé de mission auprès du chef de l’État [François Bozizé, en 2011], pour tout ce qui concerne la sécurité intérieure d’État, c’est-à-dire espionnage, contre-espionnage, ingérence, contre-ingérence ». Ce barbouze à la panse énorme délivre, en caméra cachée, une analyse géostratégique – moins enthousiaste que nos médias sur le désintéressement des vertus tricolores : « Historiquement, la France considère la République Centrafricaine comme son livret de Caisse d’épargne. C’est-à-dire qu’elle pense, et elle croit que tout ce qui est dans le sous-sol est à elle. Et à personne d’autre. Dans le sous-sol, on a du cuivre, du fer, du manganèse, du cobalt, de l’uranium, du mercure rouge. Il y a tout ça. On sait où, mais à chaque fois qu’on demande une subvention, une aide ou quelque chose pour faire des phases d’exploitation, on a des problèmes.
— Comment font-ils ?
— Quand vous voulez empêcher quelqu’un de courir, on met un caillou dans sa chaussure. Si on veut empêcher un État de se développer, les ressources qu’il va utiliser pour courir après les rebelles, il ne pourra pas les utiliser pour se développer. »
Un exemple récent :
« Charles Massi était ministre d’État, et il a profité de sa position en tant que ministre d’État, pour détourner l’argent de l’État, acheter des armes, et monter une rébellion, essayer de faire un coup d’état, avec l’aide de la France. »
— Comment font-ils ?
— Quand vous voulez empêcher quelqu’un de courir, on met un caillou dans sa chaussure. Si on veut empêcher un État de se développer, les ressources qu’il va utiliser pour courir après les rebelles, il ne pourra pas les utiliser pour se développer. »
Un exemple récent :
« Charles Massi était ministre d’État, et il a profité de sa position en tant que ministre d’État, pour détourner l’argent de l’État, acheter des armes, et monter une rébellion, essayer de faire un coup d’état, avec l’aide de la France. »
« Le caillou dans la chaussure »
La guerre civile, ou la rébellion, semble moins contenue qu’encouragée :
« Y a deux avions français, un le matin et un le soir, qui survolent le territoire centrafricain, des avions d’observation militaire. Ça fait trois ans qu’on demande les relevés, on ne les obtient jamais. Ils survolent le territoire, prennent des photos, passent avec des détecteurs de chaleur, des détecteurs de mouvement. Ils savent qui voyage, mais ils ne nous le disent jamais.
La colonne qui a attaqué Birao avait 27 véhicules, partis de quatre cents kilomètres à l’intérieur du territoire soudanais, trois jours avant l’attaque. Les Français le savaient très bien, mais ils n’ont rien dit. Le caillou dans la chaussure. »
Sans compter l’asile qu’on offre à des réfugiés politiques d’un genre particulier :
« Les Français ont donné une très mauvaise habitude aux Centrafricains, qui est la corruption.
Quand on attrape un ministre, ici, qui est corrompu, il obtient automatiquement un visa, un passeport, et une carte de séjour en France. »
Par goût du canular, Mads Brüger souhaite monter une fabrique d’allumettes avec des pygmées – couverture à son trafic de diamants. Mais même pour ça, lui explique Le Foll, il risque de se heurter à la France : « 99 % des allumettes qui sont vendues ici viennent du Cameroun. Le propriétaire réel de ce fabricant, c’est un Libanais qui a un passeport diplomatique français et qui travaille aussi en sous-main pour l’ex-société Seita française.
— Il va me faire des ennuis si je tente d’avoir mon usine ?
— Ça dépend de la volonté qu’il a de le faire. »
Comme Mads Brüger s’adonne au tennis avec des diplomates, l’ambassadeur indien prévient son collègue danois :
« Méfiez-vous de tous les consuls européens : ils rendent compte au consul de France. »
« Y a deux avions français, un le matin et un le soir, qui survolent le territoire centrafricain, des avions d’observation militaire. Ça fait trois ans qu’on demande les relevés, on ne les obtient jamais. Ils survolent le territoire, prennent des photos, passent avec des détecteurs de chaleur, des détecteurs de mouvement. Ils savent qui voyage, mais ils ne nous le disent jamais.
La colonne qui a attaqué Birao avait 27 véhicules, partis de quatre cents kilomètres à l’intérieur du territoire soudanais, trois jours avant l’attaque. Les Français le savaient très bien, mais ils n’ont rien dit. Le caillou dans la chaussure. »
Sans compter l’asile qu’on offre à des réfugiés politiques d’un genre particulier :
« Les Français ont donné une très mauvaise habitude aux Centrafricains, qui est la corruption.
Quand on attrape un ministre, ici, qui est corrompu, il obtient automatiquement un visa, un passeport, et une carte de séjour en France. »
Par goût du canular, Mads Brüger souhaite monter une fabrique d’allumettes avec des pygmées – couverture à son trafic de diamants. Mais même pour ça, lui explique Le Foll, il risque de se heurter à la France : « 99 % des allumettes qui sont vendues ici viennent du Cameroun. Le propriétaire réel de ce fabricant, c’est un Libanais qui a un passeport diplomatique français et qui travaille aussi en sous-main pour l’ex-société Seita française.
— Il va me faire des ennuis si je tente d’avoir mon usine ?
— Ça dépend de la volonté qu’il a de le faire. »
Comme Mads Brüger s’adonne au tennis avec des diplomates, l’ambassadeur indien prévient son collègue danois :
« Méfiez-vous de tous les consuls européens : ils rendent compte au consul de France. »
Simulacres de puissance
Notre légionnaire, c’est pas un angelot aux ailes d’albâtre tombé du ciel. Ni un expert en relations internationales. N’empêche, ça pue. En 1959, déjà, l’avion du premier président centrafricain, l’indépendantiste Barthélémy Boganda, tombait du ciel on ne sait pas trop pourquoi. Et depuis, d’un coup d’État au suivant, les dirigeants semblent souffrir d’une pas si étrange malédiction, avec l’ombre permanente de la France, de ses réseaux, de son armée. Alors quand, maintenant, avec la bénédiction de l’ONU et de François Hollande, nos militaires vont se muer en bons Samaritains, pour « secourir » les populations et leur épargner une « guerre civile », « une crise humanitaire » que Paris a nourries depuis des décennies, qui peut y croire ? Je veux dire : à part un journaliste de TF1 ? Comment intervenir, à nouveau, sans, au minimum, poser ces petites questions ?
Et puis ça suffit, non ? On a joué les supplétifs en Afghanistan. Bombardé en première ligne contre la Libye. Sauvé le Mali des islamistes, il paraît. Négocié, en vain, ouf, pour bombarder la Syrie. Et on se fait, maintenant, j’entends, « intransigeants »contre l’Iran. Même les faucons américains sont débordés sur leur droite... ça prend un sens politique, pareille constance. L’impuissance intérieure, à lutter contre le chômage, la crise, la finance, et même désormais à lever des écotaxes, cette impuissance se farde sous les simulacres de puissance extérieure. Ainsi la France comble-t-elle, ces temps-ci, son piteux destin : à défaut de mater les spéculateurs de la City, ou les bonnets rouges bretons, on peut toujours bazooker Bangui…
Et puis ça suffit, non ? On a joué les supplétifs en Afghanistan. Bombardé en première ligne contre la Libye. Sauvé le Mali des islamistes, il paraît. Négocié, en vain, ouf, pour bombarder la Syrie. Et on se fait, maintenant, j’entends, « intransigeants »contre l’Iran. Même les faucons américains sont débordés sur leur droite... ça prend un sens politique, pareille constance. L’impuissance intérieure, à lutter contre le chômage, la crise, la finance, et même désormais à lever des écotaxes, cette impuissance se farde sous les simulacres de puissance extérieure. Ainsi la France comble-t-elle, ces temps-ci, son piteux destin : à défaut de mater les spéculateurs de la City, ou les bonnets rouges bretons, on peut toujours bazooker Bangui…
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