mardi 10 décembre 2013

L’interventionnisme militaire occidental est un échec permanent

LE MONDE |  | Denis MacShane (Ancien ministre des affaires européennes du gouvernement de Tony Blair)
Des soldats français dans les rues de Bangui en Centrafrique, le 6 décembre.
Assumez le fardeau de l’homme blanc », écrit Rudyard Kipling, le poète de l’impérialisme anglais à la fin du XIXe siècle. Il lançait ainsi un appel aux Etats-Unis afin qu’ils viennent soutenir l’Angleterre et la France dans leurs missions « civilisatrices » en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, c’est au tour du président François Hollande d’assumer ce fardeau afin d’apporter un brin de stabilité en Afrique centrale.
On ne peut que souhaiter le plus grand succès aux soldats français dépêchés en Centrafrique, mais le palmarès des anciennes puissances impériales qui ont cherché à imposer leur vision à des régimes qui font fi de nos valeurs « civilisées » n’est guère encourageant. Depuis l’expédition de Suez en 1956, aucune intervention militaire menée par les forces européennes en dehors de l’Europe n’a obtenu les résultats espérés. Dans tous les pays où elles ont établi une présence, elles laissent derrière elles plus de problèmes que de solutions.
Les Russes ont envahi l’Afghanistan en 1979 dans le but d’asseoir un gouvernement non islamiste et de protéger leur flanc sud. Quel fut le résultat ? Un Afghanistan pris en otage par les Talibans et une base pour Al-Qaida.
« FOURNIR ASSISTANCE ET PROTECTION AU PEUPLE »
En 2006, le ministre de la défense, John Reid, affirmait que le but de la présence militaire britannique en Afghanistan était « de fournir assistance et protection au peuple afghan pour qu’il reconstruise l’économie et rétablisse la démocratie dans son pays. Nous serions très heureux de quitter l’Afghanistan dans trois ans sans avoir tiré un seul coup de fusil ».
Depuis que ces paroles ont été tenues, 445 soldats britanniques ont perdu la vie ; 86 soldats français, 156 soldats canadiens et 2 287 soldats américains ont été tués. C’est moins que les 15 000 soldats russes qui ont payé de leur vie la présence de leur pays en Afghanistan. Mais tout comme les Russes, les armées des pays occidentaux vont quitter l’Afghanistan en laissant le pays dans une situation bien pire que celle qui prévalait en 1979, en 1989 ou en 2009.
Le droit d’ingérence et la doctrine de l’intervention sont des concepts qui remontent à l’ère de Francis Fukayama et sa thèse sur la fin de l’histoire. Bernard Kouchner à Paris, Michael Ignatieff à Harvard et Tony Blair à Londres ont lancé l’idée selon laquelle il est possible et nécessaire d’avoir recours à la puissance militaire pour changer le régime, voire le gouvernement des pays qui rejettent les normes prévues par les conventions des Nations unies.
Au Kosovo, cette thèse a donné des résultats, mais pas au Rwanda ni au Soudan. Comme François Hollande aujourd’hui en République Centrafricaine, Tony Blair a envoyé, en 2000, un petit contingent en Sierra Leone pour protéger les expatriés britanniques. Ces militaires avaient également pour mission de protéger les intérêts économiques des entreprises minières qui exportent l’or et les diamants.
La guerre civile en Sierra Leone s’est poursuivie jusqu’en 2002. La courte intervention des 1 200 parachutistes anglais a été applaudie par les médias et la classe politique à Londres, sans aboutir à un véritable changement en Sierra Leone, qui, douze ans plus tard, reste un des pays les plus pauvres et les plus corrompus de la planète.
VOTE EN FAVEUR DE LA GUERRE
Le succès apparent de l’intervention militaire au Kosovo et en Sierra Leone a conduit Tony Blair en Irak. Un des multiples mensonges colportés à propos de l’invasion de l’Irak est que ce fut une décision ultra-personnelle de Tony Blair, le petit caniche de George W. Bush. Rappelons cependant que 419 députés de gauche comme de droite ont voté en faveur de cette guerre.
William Hague, aujourd’hui ministre des affaires étrangères, avait affirmé en 2002 devant la Chambre des communes que « 400 sites et installations nucléaires étaient dissimulés dans des fermes et même dans des écoles en Irak ». Plus de dix ans plus tard, tout le monde outre-Manche admet que l’invasion de l’Irak fut pire qu’un crime et que ce fut une erreur.
En tant que député et ministre, j’ai moi-même voté en faveur de l’invasion en Irak. Renverser un dictateur inspiré par les idéologies phalango-fascistes et libérer le peuple Irakien de la torture et de l’oppression de Saddam Hussein semblait correspondre à mes valeurs progressistes et interventionnistes. Dix ans plus tard, je préfère dire comme Benjamin Franklin que « la pire des paix vaut mieux que n’importe quelle guerre ».
INTERVENTIONS PARFOIS MORALEMENT JUSTIFIÉES
Le Parti travailliste lui aussi a changé. Alors que David Cameron, François Hollande et les faucons de Washington étaient prêts à faire la guerre en Syrie au profit des djihadistes et d’Al-Qaida, le jeune et nouveau leader inexpérimenté de la gauche britannique, Ed Miliband, a refusé de plier sous la pression exercée par le magnat de la presse Rupert Murdoch et de ses camarades du Parti socialiste français. Il a décliné l’invitation de David Cameron à rejoindre l’union sacrée avec les djihadistes syriens. Son leadership de jeune chef travailliste a inspiré d’autres députés, tous partis confondus, qui ont voté contre le chef du gouvernement, David Cameron.
Le Parlement britannique a corrigé l’erreur commise en 2003, encourageant ainsi le Congrès américain à dire non à une nouvelle intervention occidentale dans un pays arabe. Ensuite, il y a eu l’accord de Genève avec l’Iran. Comme a dit Churchill : « Jaw jaw is better than war war », « faire parler les gens vaut mieux que faire la guerre ».
Les Britanniques estiment que l’intervention de Nicolas Sarkozy et de David Cameron en Libye a été un désastre – même si elle fut applaudie par les journalistes à l’époque. La Libye est maintenant sous le contrôle des milices et des seigneurs de guerre salafistes, qui exportent des armes, et des guerriers dans toute la région.
Le bilan des interventions en Afghanistan, dans les pays arabes et en Afrique depuis 1979 est donc globalement négatif. Ces interventions sont parfois moralement justifiées, légalement souvent discutables et stratégiquement toujours désastreuses. Après le succès de l’intervention en Sierre Leone, Tony Blair n’a pas annoncé que c’était le plus beau jour de sa vie.
Tout pays qui se respecte doit soutenir son armée. Mais l’Histoire ne plébiscite les interventions militaires qu’à de rares exceptions. Ce n’est pas la fin de l’Histoire qui doit nous troubler, mais plutôt le fait que l’on n’en tire plus aucun enseignement, surtout lorsqu’il s’agit d’événements récents.

Aucun commentaire: