vendredi 14 décembre 2012

Les nouvelles du Pays/Interview: Mohamed Anako, président du conseil régional de la région d’Agadez, Président de l'Association des Régions du Niger (ARENI)

Home/Les nouvelles du Pays/Interview/Interview : Mohamed Anako, président du conseil régional de la région d’Agadez, Président de l'Association des Régions du Niger (ARENI) Interview : Mohamed Anako, président du conseil régional de la région d’Agadez, Président de l'Association des Régions du Niger (ARENI) 14 Déc 2012 Publié dans INTERVIEW. M. Mohamed Anako - Mohamed Anako est le président du Conseil régional d'Agadez. Il est également le président de l'Association des régions du Niger, qui est une jeune organisation, créée au lendemain de la mise en place des régions du Niger. Elle regroupe les 7 conseils régionaux du pays. Mohamed Anako a occupé pendant plusieurs années les fonctions de haut Commissaire à la Restauration de la paix (HCRP), un organe qui a vu le jour après les accords de paix d'avril 1996 entre l'Etat du Niger est les différents responsables des ex-fronts armés. "Nous espérons que l'Etat va résister dans sa position, pour réviser les accords qui le lient à Areva" Transparence l'a rencontré pour recueillir son point de vue sur les sujets brûlants de l'heure, en l'occurrence le partenariat entre le Niger et Areva, la plateforme élaborée par Areva, mais aussi la crise qui secoue le Mali. Quelle est l'effectivité de la décentralisation au niveau de la région d'Agadez? C'est à dire en termes de d'accompagnement politique, financier, mais aussi de contrôle? Mohamed Anako : Il faut dire que la décentralisation est tout un processus. Il y a eu d'abord la première étape, qui est celle de la communalisation. Aujourd'hui, nous sommes au stade de la régionalisation, avec notamment la création des régions. Au niveau des régions, nous avons estimé, dans la cadre de la mise en oeuvre de la décentralisation, qu'il faut aller directement au transfert des compétences. C'est à dire qu'il faut permettre aux collectivités territoriales d'avoir leur autonomie. Autonomie d'un point de vue des compétences, mais aussi d'un point de vue financier. Parce que pour nous, le transfert des compétences implique un accompagnement en termes de ressources humaines et financières. A ce titre, nous avons eu des échanges avec les autorités compétentes comme avec certains partenaires. Et aujourd'hui, tout le monde est d'accord qu'il faut aller vers le transfert des compétences, même si c'est de façon progressive. Si l'on regarde le projet de loi du budget 2013, l'on constate qu'à 95%, le budget est retenu au niveau central. Ce qui revient aux régions ne représente absolument rien du tout. Il en a toujours été ainsi. Pensez-vous qu'il y aura une amélioration dans les années à venir ? Ecoutez, nous, on ne peut même pas parler de budget dans les régions au stade actuel. Parce que pour parler de budget, il faut d'abord avoir au moins une nomenclature budgétaire, ce dont nous ne disposons pas à la date d'aujourd'hui. Parce que, comme vous le savez, un budget c'est toujours des recettes et des dépenses. Or au stade actuel, nous ne connaissons même pas nos recettes. Donc, en lieu et place de budget, nous ne pouvons que parler de dotation de l'Etat pour permettre le petit fonctionnement des conseils. L'exploitation de la mine d'uranium d'Imouraren qui devrait démarrer en 2014 a été reportée à 2016, voire 2017. Quel est l'impact de ce report sur la région d'Agadez ? Par ailleurs, le gouvernement du Niger vient de dénoncer officiellement le partenariat très déséquilibré et en défaveur du Niger, dans le cadre du contrat avec Areva. Quelle lecture faites- vous de cette décision du gouvernement nigérien ? Nous sommes ravis que l'Etat du Niger arrive à comprendre cela aujourd'hui. Je vous rappelle qu'au niveau de la société civile d'Agadez, au niveau des partis politiques, nous avons toujours dénoncé ce partenariat déséquilibre. Donc, nous espérons que l'Etat va résister dans sa position, pour réviser les accords qui le lient à Areva. Parce que le véritable problème réside dans le fait que les accords sont mal faits. Les accords n'ont pas tenu compte des réalités du Niger en général et des réalités régionales en particulier. Je pense que le gouvernement nigérien a du pain sur la planche, ça ne sera pas facile. Mais la position du gouvernement nigérien est légitime. Il faut vraiment réparer cette injustice. Est-ce qu'il y a des actions ou des initiatives auxquelles vous pensez pour accompagner le gouvernement nigérien dans ce sens ? Si le gouvernement est de bonne foi, on va l'accompagner. Mais il ne faut pas que le gouvernement s'arrête chemin faisant. En renégociant ces accords, le gouvernement doit tenir compte de notre avis. Parce qu'il ne sert à rien d'aller négocier des choses à Paris sans que nous soyons au courant. Avant tout, Imouraren se trouve à Agadez, et il faut que nous soyons associés aux renégociations. Il ne sert à rien d'envoyer des techniciens qui vont aller mal négocier. Le problème qui se pose au niveau de la région, comme vous le savez, c'est qu'Areva est partenaire, le Niger est partenaire, et il y a certainement d'autres pays qui sont partenaires. Mais quand il est question des bénéfices, Areva peut dire : "Ecoutez, cette année, on a 2 milliards de bénéfices", et ce sont ces 2 milliards qu'on va répartir en fonction des pourcentages affectés à chaque partenaire. Donc, il faut que les Nigériens soient impliqués dans la gestion administrative, financière et humaine d'Areva. Même pour l'attribution des marchés, c'est Areva qui décide tout seul. Donc que gagne le Niger ? Rien du tout ! Même pour acheter des cuillères, on donne le marché à des sociétés françaises. Je pense que le gouvernement va tenir compte de tout ça. Mais pour ce qui nous concerne, c'est-à-dire sur le plan social, nous constatons qu'après 40 ans d'exploitation de l'uranium, il n'y a même pas d'eau. Les gens meurent de soif dans l'Air. Il y a la pollution, et Dieu seul sait combien de personnes sont mortes d'irradiation nucléaire de l'uranium. Aujourd'hui, la plupart des ouvriers qui sont à la Somair et à Cominak sont malades. Au niveau du recrutement également, nous sommes exclus au niveau de la région. C'est peut être maintenant que les gens sont en train d'être recrutés. Mais comment ? Ces sociétés doivent appuyer le développement de la région d'Agadez, comme ça se fait dans toutes les zones d'exploitation dans le monde. Mais on ne sent rien de tout cela à Agadez. Regardez l'état de la route entre Agadez et Tahoua. C'est une route complètement délabrée qui ne permet pas un bon trafic. Cette route est pourtant un joyau pour les Nigériens, et c'est pour cela qu'il faut la reconstruire. Il faut chercher des sociétés qui ont l'expertise et les qualifications pour la reprendre. Parce que, aujourd'hui, rien qu'à l'idée qu'on va emprunter cette route pour se rendre à Tahoua ou à Niamey, on est stressé. Au niveau de la région, on est très pénalisé par l'état de cette route. A cela, il faut ajouter le problème de la sous-traitance, c'est-à-dire que non seulement ces compagnies viennent piller nos ressources, mais elles sous-traitent avec d'autres compagnies françaises qui viendront pour piller nos ressources aussi, comme vous venez de l'expliquer. Aujourd'hui, le gouvernement vient de sommer Areva de procéder au démantèlement de sa plate-forme. C'est la deuxième fois d'ailleurs que le gouvernement demande à Areva de démanteler cette plate-forme. Mais elle fait la sourde oreille. Quelle lecture faites-vous de cette situation ? Je dis que nous encourageons le gouvernement à procéder au démantèlement de cette plate forme, dans l'intérêt des Nigériens. Il ne sert à rien que vous soyez élu à la tête de ce pays et qu'à la fin, l'histoire retienne que vous avez joué le jeu de ceux qui viennent pour piller votre pays. Je pense que l'histoire ne va pas pardonner ça à Mahamadou Issoufou et son régime, la jeunesse ne va pas lui pardonner ça non plus. Je pense qu'il doit garder la tête très haute, parce que le peuple nigérien est derrière lui. Il ne faut pas que les gens se disent que c'est un domaine auquel il ne faut pas toucher, sinon il y aura un coup d'Etat. Il n y aura rien du tout ! Aujourd'hui le peuple nigérien est conscient, il veut le changement. Qui fait les coups d'Etat d'habitude ? C'est bien sûr des Nigériens. Mais aujourd'hui, il n'y a aucun Nigérien qui va accepter de jouer le jeu néocolonial. On doit tourner la page. D'ailleurs, vous avez écouté le président François Hollande lorsqu'il est arrivé au pouvoir. Il a clairement dit que c'en est fini de la Françafrique. Je pense qu'il dit vrai. Donc on va mettre la France à l'épreuve aujourd'hui pour savoir si la Françafrique est réellement finie. Nous espérons que le Niger et la France vont renégocier les contrats d'exploitation de l'uranium dans l'intérêt des deux pays. Un autre problème, c'est celui qui est relatif à la rétrocession des 15% des revenus générés des industries extractives dans les communes des régions où ces ressources sont exploitées. La loi sur cette rétrocession existe depuis 2006. Mais non seulement cette loi contient des lacunes, mais son application pose problème. A la date d'aujourd'hui, Agadez a reçu seulement les 15% au titre de l'année 2009. Il reste donc des arriérés au titre des années, 2010, 2011 et 2012. Qu'est-ce que vous faites au niveau de la région d'Agadez pour que cette loi soit effectivement corrigée et appliquée ? Ce que vous dites est très pertinent. L'une des principales revendications sociales au niveau de la région d'Agadez, c'est une meilleure répartition des ressources naturelles. C'est pourquoi je pense qu'il faut rehausser le taux de 15%. C'est insignifiant. Je pense aussi que les communes des régions où ces ressources sont exploitées ne doivent pas être alignées sur le même registre que les autres communes. Par exemple, Agadez a un quota de cinq députés à l'Assemblée nationale, soit 2/3 du territoire national. Il faut être juste sur cette question de rétrocession des 15%. Quand je prends l'exemple du pétrole, il est extrait à Diffa, mais il est raffiné à Zinder. Comment va se faire la répartition des 15% sur le pétrole entre Diffa et Zinder ? Qui va avoir quoi ? Je pense qu'il faut rapidement réfléchir sur ces questions pour éviter des situations de déséquilibre et d'injustice. Il en est de même des régions de Tahoua ou de Tillabéri, dont les sous sols regorgent aussi de ressources importantes. Donc, ce serait une bonne chose pour les communes si on augmentait le taux des 15%. Cela leur permettra d'avoir un minimum d'autonomie financière. Que préconiseriez-vous si le gouvernement demandait votre avis sur toutes ces questions que nous venons d'évoquer ? En ce qui nous concerne à Agadez, on a dit au gouvernement ce qu'on veut. L'uranium est exploité chez nous, mais nos enfants n'ont pas d'écoles. Nous n'avons pas de routes, nous n'avons pas d'eau. Même nos pistes rurales ne sont pas bien faites, et nos écoles rurales manquent de cantines. Les enfants abandonnent les écoles au bout de deux mois. Les éleveurs n'ont même pas de forage, parce que les sociétés d'exploration ont occupé l'espace pastoral. Qu'est ce qu'on a prévu pour cette frange communautaire ? Donc, de la même façon que l'Etat veut réviser la plate forme d'Areva, il doit aussi revoir le code rural et le code minier et pétrolier nigériens aux bénéfices des populations rurales. Une autre question d'actualité, si vous le permettez, le Mali est aujourd'hui confronté à une crise sociopolitique, avec notamment l'occupation du Nord par des groupes armés. A ce sujet, le président Issoufou Mahamadou fait partie de ceux qui préconisent la voie de la guerre pour ramener la paix au Mali. Quelle est votre position sur ce sujet ? J'ai suivi le président Issoufou lors de la table ronde des bailleurs de fonds à Paris. Il a dit clairement qu'il n'y a pas de sécurité sans développement. Mais d'un autre côté, il dit qu'il faut intervenir militairement au Mali. C'est un paradoxe. Moi je pense que si on aime l'Afrique, on ne doit pas encourager des interventions étrangères. En tant que patriotes, on ne doit pas encourager ce genre d'interventions. Ca va rappeler la colonisation, où à chaque fois il faut faire appel aux occidentaux pour intervenir en Afrique quand un problème se pose. Il faut divorcer d'avec ces habitudes. On a vu le cas de l'Irak où l'intervention étrangère n'a apporté aucune solution. Je pense que si on aime le Mali, si on aime l'Afrique, on ne doit pas encourager une intervention étrangère. Au contraire, il faut amener les Maliens à revenir à la raison. Si à un certain moment, certains de ces Maliens ont dit qu'ils veulent l'indépendance et que l'opinion africaine pense que ces gens là se sont égarés, eh bien, il faut simplement les ramener à la raison. Si on arrive à les convaincre, c'est tant mieux, on aura évité une guerre inutile. Si à un autre moment, d'autres groupes ont revendiqué la charia et qu'on pense qu'ils se sont aussi égarés, il faut encore les ramener à la raison à travers le dialogue. Donc, il faut un dialogue entre les Maliens. Mais s'il y a des groupes d'extrémistes et des terroristes qui ne veulent pas dialoguer, alors il faut donner les moyens au Mali et à son armée pour les combattre sans réserve. Dans ce cas, on sait qu'il n'y aura pas de bavure. Interview réalisée par Naomi Binta Stansly 13 décembre 2012 publié le 30 novembre 2012 source : Rotab

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