Le désert est devenu un lieu d'affrontement entre groupes armés pour obtenir la « licence » al-Quaida.
Crédits photo : © Frans Lemmens/Corbis
Les kamikazes du désert
Mots clés : Les Kamikases du désert, Jean-Christophe Rufin
Par Françoise Dargent
07/05/2010
Jean-Christophe Rufin, l'académicien, ambassadeur au Sénégal, signe un saisissant thriller géopolitique.
Porter un bicorne et une épée ne dispense pas d'être un fin connaisseur des stratégies guerrières les plus actuelles. Ainsi, dans le nouveau roman de l'académicien Jean-Christophe Rufin apprend-on comment les kamikazes arrangent leurs ceintures d'explosif et pourquoi certaines personnes se promènent dans le désert, leur sac à dos rempli de téléphones portables. Du médecin qu'il fut, urgentiste dans des zones où le diagnostic ne pouvait attendre un second avis, l'auteur a gardé le sens de la rapidité et le goût de la précision dans les descriptions. À l'ambassadeur qu'il est désormais, Jean-Christophe Rufin emprunte la connaissance des rouages et du décor (le Quai d'Orsay comme le consulat oublié). Il ne craint pas d'écorner au passage une certaine morgue tout en conservant intact son droit de réserve. Il précise d'ailleurs à la fin de son thriller que celui-ci est de pure fiction et qu'il n'a pas utilisé «les informations confidentielles auxquelles ses responsabilités lui donnent accès».
Le lecteur, qui a eu l'impression de toucher du doigt la nébuleuse des menaces qui pèsent sur son monde, en est presque déçu. Il en conclut donc qu'une vie très remplie, étirée entre le quai de Conti et l'ambassade de France au Sénégal, n'a pas émoussé le talent de conteur de Rufin. Celui-ci signe avec Katiba un thriller vif et efficace, doté d'un fort parfum d'authenticité.
Technologies dernier cri
Katiba n'est pas le nom d'une femme, comme pourrait le laisser suggérer la photo de la belle brune sur la couverture du livre. Plus prosaïquement, une katiba est un camp saharien de combattants djihadistes. Il ne faut pas imaginer là une sorte de village gaulois retranché derrière de grossiers menhirs. Non, les personnes qui y circulent affectionnent les technologies dernier cri. Connexions Internet cryptées, stations de téléphone satellitaire nomades, réseau de radios VHF, l'auteur précise même que tout cela fonctionne grâce à des panneaux solaires. L'un des personnages clefs a ainsi entrepris d'équiper les véhicules de ses troupes du GPS qui a «changé la vie du désert», foi de néo-bédouin.
Le roman débute par l'assassinat de quatre touristes italiens dans les sables mauritaniens et se termine par la mort d'un kamikaze dans les salons de réception du Quai d'Orsay. Entre les deux, l'auteur déroule une intrigue dense autour de Jasmine, employée au protocole du ministère des Affaires étrangères. Il serait vain de la détailler quand Rufin la livre à coups de chapitres incisifs. L'auteur a pris le parti d'alterner les lieux, les forces en présence, les motifs de chacun et les idéologies respectives, avec le net souci d'instruire. On se promène donc à la suite de ces groupes armés qui se battent pour avoir la «licence» al-Qaida sur leur territoire. On navigue au sein de ces officines privées qui ont fait du renseignement pour le compte des États un art.
Jean-Christophe Rufin adopte facilement le ton du sage qui a vécu. Au sujet de l'enregistrement de la vidéo des kamikazes, il écrit : «L'éloquence terroriste est un genre littéraire en lui-même. Il passe mieux en arabe.» Lorsqu'il évoque la circulation des caravanes, il affirme : «Dans le désert, le contenu importe peu, l'essentiel est l'activité qu'on exerce. Hicham et sa tribu continuaient de se considérer comme d'honnêtes commerçants.»
Il n'y a dans cette entreprise romanesque nul manichéisme mais un sens aigu des défauts et des qualités humaines, que l'auteur a sans doute aiguisé au cours de ses multiples vies.
POUR ACHETER LE LIVRE :
» Katiba, de Jean-Christophe Rufin, Flammarion, 19€ sur Fnac.com
Par Françoise Dargent
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