Le Pays N°4623 du 27-05-10
Niger/UE : L’incontournable pèlerinage de Bruxelles
jeudi 27 mai 2010
A l’instar des autres pays africains, le Niger du tout nouveau Général Salou Djibo, a fini par se rendre à Bruxelles pour…tendre sa sébile. Nouvellement parvenue au pouvoir, la junte découvre sans doute avec ahurissement les intrigues de la coopération bilatérale et multilatérale. La réalité est déconcertante, mais il faut faire allégeance devant les vrais maîtres pour espérer s’en sortir. Le robinet demeure toujours fermé depuis les abus de l’ex-président Mamadou Tandja. Or, Niamey a besoin de 470 millions d’euros pour activer sa feuille de route et mettre le pays en marche.
Quelles opportunités pour la délégation qui séjourne cette semaine à Bruxelles ? En un temps record, la junte aura tout fait pour séduire le Conseil de l’Union européenne : des organes transitoires, dirigés par des personnalités consensuelles, sont chargés de préparer la remise du pouvoir aux civils. Celle-ci interviendra en début mars 2011. Aux pas de charge, on a élaboré le code électoral qui a été par la suite modifié par le Conseil consultatif puis validé par la junte. Ces signes de bonne volonté, sont autant de bons points mis à l’avant par le Premier ministre, Mahamadou Danda. A la tête d’une délégation forte d’une trentaine de membres, il s’efforce de convaincre les partenaires européens de la nécessité de soutenir le nouveau pouvoir nigérien, et de lui laisser le temps de s’organiser.
Officiellement, les raisons de ce déplacement de la junte à Bruxelles sont donc bien connus : rétablir au plus vite les liens de coopération, engranger environ 470 millions d’euros car les besoins d’argent sont énormes. Le déblocage des fonds permettra aux nouvelles autorités de Niamey de relancer le développement économique du pays. Mais il soulagera surtout la junte qui trouve urgent de lutter contre la famine qui ronge les populations nigériennes. En dehors de ce problème crucial qui polarise l’attention, la junte veut convaincre ses interlocuteurs de sa détermination à organiser des élections ouvertes, libres et transparentes. Des élections propres sont indispensables pour renouveler le personnel politique. Mais il faut de l’argent qui devra être géré proprement. Sur ce point, la junte aura tout fait pour soigner sa crédibilité : des mesures ont été prises pour lutter contre la corruption et les détournements de deniers publics. Outre la moralisation des services publics, des dispositions ont été prises afin que les candidats aux élections à venir soient rigoureusement sélectionnés.
On le voit, la junte tient à s’assumer. Elle cherche surtout à éviter de s’attirer les foudres des anciens pays colonisateurs. Les nouveaux maîtres de Niamey ont sans doute tiré leçon des mésaventures de Dadis Camara de Guinée, toujours en convalescence à Ouagadougou. C’est toute une aventure que d’oser affronter seul ces anciens pays colonisateurs. Ils maintiennent toujours l’Afrique avec la laisse qu’ils ont confectionnée à la veille des indépendances, et qu’ils consolident au quotidien avec la complicité de réseaux multiformes et divers. Autant dire que le séjour de la délégation nigérienne à Bruxelles a une autre signification : faire acte d’allégeance à l’égard des bailleurs de fonds occidentaux. En effet, demander des sous n’est pas sans conséquences sur la souveraineté d’un pays africain : cet acte renforce du même coup la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Ils sont rares, ces pays du Sud à pouvoir se soustraire au diktat des bailleurs de fonds occidentaux et de leurs institutions impitoyables.
Sur un autre plan, le déplacement des personnalités nigériennes auprès de l’UE à Bruxelles, suscite des interrogations. Ne pouvait-on pas faire autrement ? En pareilles circonstances, les missions officielles africaines devraient plutôt privilégier d’abord des organisations comme les ACP, la CEDEAO, l’UEMOA, l’UA, etc. Si le Niger de l’après-Tandja ne peut faire autrement, il reste qu’à l’heure des regroupements régionaux et de la mystique intégrationniste, les Africains devraient en finir avec certaines pratiques qui ne rendent ni service ni honneur à notre continent. De même, Il faudra un jour ou l’autre, rompre avec ces messes rituelles des Clubs de Paris, Rome et autres. Ces rendez-vous où les uns font semblant de donner et les autres d’être reconnaissants sont en porte-à-faux avec nos déclamations souverainistes tonutruantes. Il faut plutôt être plus pragmatique, favoriser des démarches participatives, innover dans le sens du respect mutuel et surtout agir de manière à faire respecter les principes de bonne gouvernance. Si Bruxelles vaut un détour, quid de l’indépendance des pays africains ? Ne dit-on pas que « la main qui reçoit se trouve en dessous de celle qui donne ? » Les Africains devraient davantage cultiver la solidarité et la complémentarité dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement. Le continent a les ressources et les hommes. Que lui faut-il de plus ?
Les gouvernants africains devraient commencer à se gêner de devoir chaque fois se rendre en Occident pour quêter. C’est un aveu d’impuissance et d’échec qui interpelle la conscience après cinquante ans d’indépendance. Ce type de conduite ne se voit ni en Asie ni en Amérique latine. Triste tout de même qu’après cinquante ans d’indépendance, l’Afrique soit encore obligée de retourner voir ses anciens colonisateurs pour pouvoir se nourrir, se vêtir, se loger, s’éduquer et se soigner.
Le Pays
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