jeudi 13 mai 2010

Au Niger, les nouveaux migrants de la faim


La famine touche des populations jusque là épargnées par la malnutrition et provoque des phénomènes migratoires nouveaux.

La grande famine - on évite pour le moment de parler de crise alimentaire - qui menace l'est sahélien s'accompagne de deux grands phénomènes nouveaux non encore maîtrisés par les organisateurs de l'aide alimentaire.
Un sociologue français travaillant au Niger parle d'une sorte de nomadisme rural-urbain "qui ne ressemble pas aux mouvements saisonniers classiques, ni à l'exode rural traditionnel, ni aux déplacements habituels des travailleurs pauvres".
Pour les urbains, ces arrivées des ruraux chassés par la disette "augmentent considérablement l'étouffement". D'après ses estimations, les nouveaux transhumants échapperaient aux dispositifs de surveillance et d'intervention classiques des opérateurs humanitaires.
Des familles nigériennes de Niamey contactées depuis Dakar évoquent "beaucoup de ruraux qui viennent en groupes, des familles entières et pas seulement des célibataires comme habituellement." Leur installation s'étendrait tant au centre qu'à la périphérie des villes.
Une mère au foyer sénégalaise habitant une cité populaire de la capitale nigérienne raconte: "Ils disent qu'ils vont retourner au village dans quelques mois, au moment des récoltes, que c'est seulement pour passer la période de soudure (qui cette année est arrivée plus tôt que d'habitude). Pour le moment, ils cherchent à travailler, à faire des petits boulots pour survivre. Certains connaissaient des familles du quartier quand ils sont arrivés. D'autres non."
Une situation déstabilisatrice pour des villes déjà étouffées par la grande précarité et la promiscuité. Comment vivent-ils? "C'est une population difficile à localiser, constate le chercheur français. Ce n'est pas une installation classique, celle déjà connue dans les zones urbaines pauvres par exemple."
Le sociologue parle d'une occupation très rotative et très dispersée de l'habitat éphémère et des espaces. "Ils viennent en groupes chez un parent et s'entassent par dizaines dans une seule case. Il y a aussi des familles qui une fois arrivées en ville se dispersent. On constate ainsi que les cités populaires sont la principale destination des migrants et deviennent plus chaotique. Il y a donc une sorte de bidonvillisation des cités populaires", explique le chercheur. Sans toute fois confirmer s'il s'agit d'une tendance durable ou pas.
Ces nouveaux migrants intérieurs de la faim sont donc plus mobiles, habitent désormais l'intérieur des villes où ils érigent aussi des abris de fortune sur les chantiers, sur les trottoirs des rues commerçantes... Tout cela fait qu'il est difficile de plannifier convennablement des actions en leur faveur en cas de crise alimentaire grave.
"On ne sait pas comment le phénomène va évoluer", juge un jeune responsable administratif d'un quartier de Niamey. L'autorité locale craint par ailleurs que la situation n'engendre des crises de la faim en milieu urbain et peri-urbain.
Une tension serait en effet déjà perceptible dans le quotidien social des urbains, avec les prix des denrées qui montent sous les effets combinés des mauvaises récoltes et de l'arrivée massive des populations rurales.
Certaines secteurs, au niveau du travail informel manuel (pousseurs, ramasseurs d'ordures, marchands ambulants ...) sont déstabilisés par ces flux pléthoriques de travailleurs corvéables. Sans oublier la délinquance et d'autres questions d'hygiène.
Phénomène le plus déroutant, le nombre très élevé des familles touchées, alors qu'elles étaient traditionnellement épargnées par l'extrême pénurie alimentaire. "Elles ne rentraient pas auparavant dans la catégorie des familles vulnérables et n'étaient pas concernées par la distribution humanitaire", constate un technicien d'une organisation des Nations Unies qui ajoute: "pour aider vraiment les populations, il faudrait opérer une distribution générale dans tout le village, ce qui n'est pas possible dans le cadre de nos interventions. Nous avons l'habitude de cibler des catégories précises des populations."
Un médecin nigérien basé à Niamey témoigne d'une situation de plus en plus rencontrée par ses collègues de province. "Les dispensaires recensent de plus en plus d'enfants atteints de malnutrition grave, pourtant issus des familles de classes naguère épargnées. Le problème? Ces cas nous arrivent souvent tardivement et laissent des séquelles."
Par peur de ne pas perdre le prestige social, des familles se dirigeraient directement vers leurs parents en ville, ce qui n'est pas non plus sans conséquence sur les trajectoires des individus et des relations familiales.
"Nous savons hélas que beaucoup ne sortent pas indemnes de ces migrations de la faim, même lorsqu'elles sont très ponctuelles", affirme le sociologue français. A bientôt.


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