dimanche 29 novembre 2009

Interview : Tinariwen (Ibrahim & Abdallah)



Par Sedryk le Friday 27 November 2009

Ibrahim et Abdallah, les deux principaux compositeurs de Tinariwen, nous accordent un long entretien pour parler de l'histoire du groupe, du présent (l'album "Imidiwan") et du futur... Ibrahim, peux-tu nous raconter ta rencontre avec Intiyeden ? Ibrahim : Avec Intiyeden, on a grandi ensemble, bien avant que l'on commence à faire de la musique. C'est la même chose avec Hassan et les autres, on a tous été dans les mêmes lieux, en Algérie ou en Libye, depuis que l'on est enfant.

C'est à Tamanrasset que tu as découvert la guitare ? Ibrahim : Oui, c'est un arabe de Tamanrasset qui m'a vendu ma première guitare. Mais il n'était pas guitariste lui même, il ne connaissait pas grand chose et il ne m'a pas appris à jouer. J'ai appris tout seul, en cherchant. Bien avant ça, je chantais déjà des chansons sur une guitare que j'avais fabriquée avec un bidon. C'était des chansons à moi, ou des tindés. Quand j'ai eu ma guitare, tous les autres s'y sont intéressés, ils venaient chez moi en amis, on essayait tous de jouer et on s'apprenait mutuellement.

Et par rapport aux traditions dans la musique touarègue, était-ce mal vu de jouer de la guitare ?

Ibrahim : Dans la tradition, c'est vrai que ce sont les femmes qui jouent le tindé ou l'imzad, mais il y a des instruments, comme la flûte, qui ne sont joués que par les hommes. Et on chante tous ensemble lors des tindés. Alors quand on a commencé à jouer, tout le monde a trouvé ça super tout de suite, aussi bien les jeunes des villes que dans les campements. Je ne dirais pas que nous avons changé la musique touarègue, nous avons juste créé une musique à part, mais la musique touarègue continue d'exister telle qu'elle était. On a fait un style que tous les jeunes touaregs pouvaient comprendre.

Abdallah : Je crois que le style de musique d'une révolution doit venir en dehors des styles traditionnels. Une révolution réclame des choses nouvelles, il faut donc sortir de la tradition, ce qui ne signifie pas écraser la tradition.

Quand tu as commencé à chanter, c'était surtout pour les Touaregs ou alors pour le reste du monde, pour faire connaître votre communauté ? Ibrahim : Quand j'ai commencé, je chantais pour moi et pour mes amis. Ici, en Europe, les gens ont l'impression qu'il n'y avait pas de musique touarègue avant la rébellion et avant Tinariwen. Les Touaregs sont un peuple qui a une longue histoire, avec des musiciens qui chantaient leur histoire, leur amour, avant de penser à un message politique. Donc, quand j'ai commencé, vers 16-17 ans, je faisais comme eux, je chantais ce que je sentais dans mon coeur. Par la suite, j'ai intégré de façon naturelle les problèmes que je voyais autour de moi chaque jour.

La communauté des Kel Adagh était importante à Tam, dans les années 80 ?

Ibrahim : Oui, il y a beaucoup de Kel Adagh, encore aujourd'hui. Beaucoup d'enfants y sont nés. Beaucoup étaient venus en Algérie à cause des grandes sécheresses et y sont restés. J'ai encore ma famille à Tam. Pour moi, Tam et les Kel Adagh, c'est la même région et la même culture.

Ce sont les Kel Adagh qui ont été appelés "ishumar" en premier ? Ibrahim : Oui, les jeunes Kel Adagh sont venus en Libye et en Algérie pour chercher du travail. Les gens disaient "Ce sont des chômeurs, des ishumar." Mais nous aussi, on utilisait ce mot là, pour se désigner entre nous.

Abdallah : Quand ce mot est arrivé, ce n'était pas comme une insulte. C'était juste un nouveau mot bien adapté à cette jeunesse et les gens l'ont adopté tout de suite. Depuis le retour de la rébellion, certains ne veulent plus dire "ishumar", ils veulent trouver un autre mot en tamashek, mais comme beaucoup de gens l'utilisent, ce n'est pas facile de l'effacer. Personnellement, c'est un mot qui ne me dérange pas car il fait partie de mon histoire.

On parle souvent du rôle important de Lalla, la chanteuse de tindé...

Ibrahim : Lalla aimait notre musique alors quand Tinariwen jouait dans des fêtes ou des mariages, dans les années 80, elle venait chanter avec nous, ou alors elle organisait des fêtes chez elle.

Et toi Abdallah, quand as-tu rencontré Ibrahim et Intiyeden ? Abdallah : C'était fin 84 à Tamanrasset, dans le quartier où on avait tous nos amis. Un jour j'ai vu des jeunes arriver avec des guitares, ils ont commencé à jouer et je ne comprenais pas ce qu'il se passait ! Mais depuis mon arrivée à Tam j'entendais leur musique, par d'autres jeunes qui avaient appris la guitare et chantaient leurs chansons. Ça, c'était la première découverte. Ensuite, je suis monté en Libye, en 86 et c'est là qu'on s'est réellement rencontré.

Vous pouviez jouer ensemble quand vous étiez dans les camps en Libye ?

Ibrahim : Oui, on est resté ensemble. Il y avait tous les amis artistes, Intiyeden, Kedou, Hassan... Abdallah était là aussi. On avait un endroit avec du matériel où on pouvait faire des petits concerts chaque soir.

Est-ce que vous avez de la nostalgie pour cette époque où Tinariwen était un collectif ouvert ?

Ibrahim : Il y a de la nostalgie parce qu'on était dans une grande histoire. Les gens étaient très motivés et excités par la rébellion, alors il y a forcément une grande nostalgie par rapport à tous ces gens qu'on a connu à cette époque et qu'on ne voit plus.

Vos revendications de l'époque semblent être encore très vivaces, au vu des récents problèmes dans le Nord-Mali...

Abdallah : Toute l'histoire du Nord-Mali est un problème, depuis l'arrivée des français en 1940 jusqu'à aujourd'hui. Les problèmes changent avec le temps, mais c'est toujours la même cause depuis cette date. Alors les choses se calment quelques années et puis ça repart.

Ibrahim, pourquoi n'étais-tu pas présent sur les premiers enregistrements du groupe, en 92 et 93 ?
Ibrahim : On n'était pas un groupe avec un programme établi, les choses se faisaient comme ça. Quand les autres se sont retrouvés à Abidjan en 92, peut-être qu'à ce moment là j'étais à Tamanrasset ou à Tessalit, sans moyen d'y aller. Mais je n'étais pas déçu de ne pas y être, c'est comme ça.

Par contre, toi, Abdallah, tu y étais... Peux-tu nous parler de ces premières fois en studio ?
Abdallah : A Abidjan, on est vraiment parti à l'aventure. Il y avait une femme touarègue de Kidal, une peintre, qui habitait à Abidjan, c'est elle qui nous a invité. Elle avait envie d'entendre cette musique bien enregistrée, en studio, car jusque là, elle n'existait que sur cassette avec de mauvais enregistrements. Ça a été une expérience un peu difficile parce qu'on n'avait aucune expérience du studio. On est juste arrivé avec notre musique mais on ne savait pas quoi dire au mec du studio. On a joué nos morceaux et on est parti sans lui donner d'instructions. Après, lui et la peintre ont rajouté des arrangements avec des boites à rythmes. Sur le coup, on était content et curieux d'entendre notre musique comme ça, même si maintenant, je pense que ce n'était peut-être pas exactement ce qu'il fallait faire....

Pourquoi avoir eu envie de faire ce nouvel album, "Imidiwan", à Tessalit, là où toi et Hassan vivez ?
Ibrahim : C'était important d'être chez nous pour faire quelque chose qui vient vraiment de nous. Quand je joue dans un studio à Bamako ou ailleurs, je me sens enfermé et pas à l'aise. Quand je joue chez moi, dans la nature, je sens que je chante naturellement, il n'y pas les artifices du studio.

C'était différent de travaillez avec Jean-Paul Romann ? Ibrahim : Jean-Paul nous connait depuis longtemps, il sait comment nous sommes alors il prend le temps. Si on ne veut pas chanter tout de suite, il attend. Et quand on décide de jouer à 4 heures du matin, il dit oui. Au début, on voulait faire le disque avec Jean-Paul et Justin Adams, qui est aussi un ami qu'on aime beaucoup, mais il n'était pas disponible à ce moment là.

Sur cet album, il y a un titre sur lequel ne figure que les jeunes du goupe, et pas vous deux ni Hassan.... Ça pourrait être ça, Tinariwen, un jour ?

(ils rient)
Abdallah : Ce n'était pas spécialement un morceau destiné aux jeunes, ça c'est trouvé comme ça, on n'avait rien de spécial à mettre dessus. Ceci dit, je trouve que ça serait une bonne idée d'avoir une formule avec des jeunes, formés par les Tinariwen, qui pourraient faire les tournées sans les anciens membres du groupe. Il faudrait des jeunes capables à la fois de bien présenter l'histoire et de bien jouer les morceaux. On ne serait plus obligé de tourner chaque année !

Ibrahim : Tu sais, chez nous, quand on fait un concert au désert, parfois je ne joue pas. Les jeunes jouent, parfois je viens juste faire un morceau et, pour tout le monde, c'est Tinariwen. Et quand Abdallah est à Tamanrasset, ils trouvent des jeunes pour jouer et c'est encore Tinariwen.

Tu sembles être mieux au désert, au calme. Comment vis-tu ces tournées où tu es loin de chez toi pendant longtemps ?
Ibrahim : Tu sais, j'ai grandi comme ça, faire des voyages, aller à l'aventure... Donc pour moi, ce n'est pas difficile et, quand je suis resté 2 ou 3 mois dans le désert, je suis content d'aller voir du monde et de découvrir de nouvelles choses.

N'est-ce pas bizarre, pour vous, de chanter devant des gens qui ne comprennent pas le tamashek ?
Ibrahim : Oui, c'est vrai, c'est un peu bizarre. Certaines personnes aiment juste la musique de Tinariwen sur CD, chez eux. Mais souvent, quand on parle avec le public, les gens nous disent que, même sans comprendre les paroles, ils sentent que l'on dit quelque chose d'important et que ça les touche.

Est-ce que vous suivez de près ce que font les jeunes artistes tamashek ?
Abdallah : Les jeunes ont beaucoup progressé mais, que ce soit à Kidal, Tamanrasset, Agadez ou Tombouctou, ils ont toujours le même problème, celui du matériel. Si tu es un bon chanteur ou un bon guitariste mais que tu n'as pas une bonne sono, tu ne peux pas vraiment sentir la musique.

? Est-ce que votre succès à l'étranger a contribué à améliorer l'image des Kel Tamasheq auprès des autres peuples du Mali Abdallah : Oui, beaucoup, même. Les tournées internationales de Tinariwen donnent beaucoup d'espoir aux Kel Tamasheq du Mali. Ils voient un élément de leur communauté qui les représente de par le monde et ça leur fait beaucoup de bien au moral.

Est-ce que le succès de Tinariwen à l'étranger a modifié la donne pour les artistes touaregs ? On a l'impression que les jeunes groupes pensent plus à signer sur un label en Europe qu'à véhiculer un message...

Abdallah : Les jeunes artistes touaregs font comme tout le monde, ils expriment leurs émotions avec la même motivation, ce n'est pas obligé qu'il y ait un message. Il faut des artistes révolutionnaires et il faut des artistes plus pour la culture. Aujourd'hui, les Touaregs ne sont plus des nomades. C'est une grande communauté présente dans le monde entier. Donc chacun va chanter sur sa propre expérience et ses propres désirs : l'argent, la rébellion, retrouver ses racines etc... Le côté résistance demeure encore dans la nouvelle génération et sans doute dans la prochaine génération, mais ce n'est pas obligé que tout le monde fasse la même chose.


Propos recueillis par Sedryk à Lyon.

© novembre 2009 - tamasheq.net

Aucun commentaire: