vendredi 19 décembre 2008

(New York Times)/Au Niger, c’est la guerre pour les ressources du sous sol du désert.



/NIGER/ « Niger utile »/« Niger inutile »...
Lorsque Halil était au lycée, une vieille carte française était accrochée au mur de sa classe. Sur le croissant verdoyant le long de la frontière sud était marqué «Niger utile »
Sur la vaste bande de terre de couleur brune et grise dans le Nord, chez lui, était marqué « Niger inutile »
Ce fut une grande leçon de politique comme de géographie. La ceinture agricole dans le Sud détenait tout le pouvoir. Les bergers du Nord étaient sans importance.

Au Niger, c’est la guerre pour les ressources du sous sol du désert.
(New York Times)
de Lydia Polgreen
Dimanche, 14 décembre, 2008

*MONTAGNES DE L’AÏR, Niger:* Jusqu’à l’année dernière, la seule gâchette sur laquelle Amoumoun Halil avait appuyé était celle de son pistolet pour vacciner le bétail. Au printemps de cette année, il avait une Kalachnikov cabossée en équilibre précaire sur l’épaule. Lorsqu’il revêtait son treillis raide, on remarquait sa démarche mal assurée et le sourire sur son visage contrastant avec ses frères guérilleros aux visages durs.
Halil, vétérinaire, âgé de 40 ans, était soldat malgré lui d’une rébellion à cause d’une source de richesse dans un des pays les plus pauvres de la planète.
Dans les montagnes austère et les dunes en forme de coquille du Nord Niger, se déroule une bataille entre une bande de nomades touareg qui prétendent que la richesse du sous sol de leur pays est exploitée par un gouvernement qui leur donne peu en échange et une armée qui qualifie les combattants de trafiquants de drogue et de bandits.
C’est un nouveau front dans une guerre ancienne pour le contrôle des importantes richesses que recèle le sol de l’Afrique.
Le désert du Nord Niger recouvre un des plus importants gisements mondiaux d’uranium du monde dont la demande a augmenté car le réchauffement de la planète suscite davantage d’intérêt pour l’énergie nucléaire.
Les économies en pleine croissance comme celles de la Chine et de l’Inde cherchent partout dans le monde le minerai friable connu sous le nom de yellowcake (poudre d’uranium)
Une société minière française est en train de construire la plus grande mine d’uranium au monde et une entreprise étatique chinoise construit une autre mine à proximité.
L’uranium pourrait apporter assez d’argent au Niger pour le catapulter en dehors d’une pauvreté qui fait qu’un enfant sur 5 y meurt avant son cinquième anniversaire. Ou bien, il pourrait avoir pour conséquence une guerre calamiteuse laissant le Niger plus démuni que jamais.
Les richesses minérales sont source de conflit dans toute l’Afrique depuis des décennies/ une série de révoltes sanglantes marquées par des destructions et des pillages qui ont démoli des nations.
La misère engendrée à amené beaucoup d’Africains à la conclusion que ces richesses minérales sont une malédiction.
Ici dans le Sahara, le boom de l’uranium a ranimé d’anciennes doléances à propos de la terre et du pouvoir. Pendant des années, les Touareg ont lutté contre un gouvernement pour lequel en général ils éprouvaient du dédain. Mais cette nouvelle rébellion a abandonné les griefs de clocher d’une minorité ethnique, prétendant plutôt que le gouvernement gaspille les ressources du pays tout entier avec la corruption et le gâchis.
Armé d’un site Web efficace et de porte-parole qui s’expriment bien, en Europe et aux Etats Unis, le mouvement s’est attiré la sympathie d’occidentaux attirés par les mystérieux Touareg et leurs arguments en faveur de la justice.
Il a aussi recruté un large échantillon de combattants, pas seulement des bergers illettrés mais des étudiants, des travailleurs humanitaires et même d’anciens pacifistes comme Halil.
"Cet uranium appartient à notre peuple; il est sur notre terre” a déclaré Halil" Nous ne pouvons pas nous permettre d’être dépouillés de notre droit en vertu de notre naissance. »
Lorsque Halil était au lycée, une vieille carte française était accrochée au mur de sa classe. Sur le croissant verdoyant le long de la frontière sud était marqué « Niger utile »
Sur la vaste bande de terre de couleur brune et grise dans le Nord, chez lui, était marqué « Niger inutile »
Ce fut une grande leçon de politique comme de géographie. La ceinture agricole dans le Sud détenait tout le pouvoir. Les bergers du Nord étaient sans importance.
Cela n’avait pas toujours été le cas. Cela fait des siècles que les Touareg arpentent ces pics désolés, contrôlant les routes des caravanes qui traversaient le Sahara avec la richesse de l’Afrique, du sel aux esclaves. Avec leurs chameaux et leurs sabres, ils s’enrichissaient en prélevant leur tribut et en pillant.
Quand Halil est né, cette époque n’était qu’un souvenir lointain. Quand il était petit, il rêvait de posséder un énorme troupeau de chameaux, comme son père avant que les grandes périodes de sécheresse des années 70 ne l’éliminent.
Après avoir brillé à l’école, Halil est allé étudier au Bénin mais n’a pas réussi à obtenir du gouvernement nigérien une bourse pour une école vétérinaire à l’étranger.
“Ma famille n’avait pas de relations” dit-il. “Si vous n’avez pas de relations au gouvernement vos chances d’obtenir une bourse sont nulles. »
Au lieu de cela, il créa un syndicat de bergers pour essayer de regrouper ces gens notoirement individualistes pour défendre leurs intérêts communs.
Au cours de ses voyages, Halil se mit à observer le défilé de géologues venus de France, de la Chine, du Canada, de l’Australie s’enfonçant de plus en plus profondément dans les pâturages touareg
Partout, dit-il, jaillissaient de petites mers de drapeaux utilisés pour indiquer des zones de prospection minière potentielle.
"Je me suis demandé: Qu’est-ce que nous en retirons, nous Touareg. Nous nous appauvrissons tout simplement de plus en plus. » Dit-il.
Les efforts d’Halil s’inscrivaient dans le cadre d’une vague d’activisme civique qui s’est répandue en Afrique ces 15 dernières années avec la démocratisation croissante du continent. Beaucoup de ces gouvernements élus ont de graves lacunes mais grâce à une population urbaine plus jeune, familière avec les nouvelles technologies, leurs citoyens sont souvent mieux informés et moins disposés à tolérer la corruption qui a dilapidé une si grande partie du potentiel de l’Afrique.
En février 2007, un groupe de Touareg armés a monté une attaque audacieuse contre une base militaire dans les Montagnes de l’Aïr. Une nouvelle insurrection était née, ils s’appelaient le Mouvement des Nigériens pour la Justice et déployaient une série de revendications : qu’il soit mis un frein à la corruption et que la richesse générée par chaque région profite à sa population.
Loin d’être inutile, comme l’affirmait la carte du lycée d’Halil, le pays touareg produit de l’uranium qui représente 70 % des recettes à l’exportation du pays. Mais presque rien de ces recettes ne revenait à ceux qui avaient perdu l’accès aux pâturages et qui pâtissaient des conséquences de l’exploitation minière pour l’environnement, affirmaient les rebelles.
Pour combattre la rébellion, le gouvernement a de fait isolé le Nord, dévastant son économie. Les enquêteurs internationaux sur les droits de l’homme attestent de graves méfaits des deux côtés. Les rebelles utilisent des mines terrestres antipersonnel qui ont tué des soldats et des civils, alors que l’armée a été accusée de tueries extrajudiciaires, de détentions arbitraires et de vol de bétail. En tout, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers ont été chassées de leur terre.
Malgré la violence, l’exploitation minière et l’exploration continuent pratiquement sans relâche mais les rebellent maintiennent que les dirigeants corrompus détournent l’essentiel de cette richesse. Le premier ministre du pays à été obligé de démissionner après avoir été accusé d’avoir détourné 237.000 $, et l’été dernier, il a été inculpé.
"Il faut se servir de cette richesse pour aider le peuple pas les hommes politiques » a déclaré Agaly Alambo, président du mouvement des rebelles « autrement c’est du pillage pur et simple »
Le gouvernement maintient que le Niger est une démocratie même si elle est imparfaite avec des moyens pacifiques pour apporter une réponse aux griefs. Ils qualifient les combattants du Nord de bandits et de trafiquants qui transportent de la drogue, des cigarettes non taxées, de l’essence et même de la marchandise humaine à travers les vastes étendues du Sahara depuis des décennies.
"Le Niger est un pays démocratique dirigée par des lois” a déclaré Ben Omar, ministre nigérien de l’information."Si quelqu’un a un grief, qu’il crée un parti politique et aille aux urnes. »
Les Touareg se battent là depuis des siècles, ce sont des guerriers qui se couvrent le visage de longues écharpes bleues qui donnent à leur peau la couleur d’une encre bleue.
Après la perte par la France de son emprise sur la plupart de ses colonies dans le Sahara en 1960, les Touareg se sont trouvés être une petite minorité divisée entre des nations nouvelles crées à l’aide de frontières arbitraires qui ne signifiaient pas grand-chose pour eux. Pire encore, les sécheresses les ont réduits à la misère.
Mais la terre desséchée sur laquelle ils vivaient avait de la valeur. Une société minière française, Areva, ramassait des centaines de tonnes d’uranium dans le Nord du Niger tous les ans. Contrairement aux agriculteurs du Sud qui possédaient leur terre, les nomades pouvaient utiliser les pâturages mais n’avaient de titre de propriété.
Les épreuves subies à cause du réchauffement climatique et de la désertification qui rogne sur les pâturages ont appauvri davantage les Touareg, obligeant beaucoup d’entre eux à abandonner l’élevage. Cependant, alors que la fertilité de la terre se dégradait, elle est devenue de plus en plus recherchée avec l’augmentation régulière du cours mondial de l’uranium. Ce paradoxe allait s’avérer explosif.
Halil n’a pas participé au dernier soulèvement touareg qui a commencé en 1990 et s’est terminé par un accord de paix en 1995. A ce moment là, il était idéaliste, espérant éviter la violence. Mais il connaissait bien l’histoire de son peuple.
« Les Touareg sont des combattants, c’est notre nature » dit-il.
En juin 2007, un véhicule de l’armée a sauté sur une mine posée par les rebelles. Selon les villageois, l’armée a ensuite massacré trois hommes âgés ; d’après l’armée, personne n’a été tué. Mais l’histoire des vieux massacrés s’est répandue comme une trainée de poudre chez les Touareg. Pour Halil, c’était le signe que la non violence était stupide.
« S’ils étaient prêts à tuer des vieillards sans défense, comment pouvions-nous seulement parler de négociations ? Se battre était le seul moyen de défendre nos communautés et notre mode de vie. » Dit-il.
Après des mois passés dans l’indécision, Halil a envoyé sa femme enceinte et sa fille de deux ans chez ses parents. Il est parti pour les montagnes de l’Air.
Arrivé là-bas, Halil a trouvé une armée grandissante. Il a appris à se servir d’une arme et à marcher en formation mais il était plus utile dans des tâches plus proches de ses vocations premières : guérisseur et organisateur.
Les soldats blessés allaient le voir sous son arbre au camp. Il soignait les infections et apprenait aux hommes à mettre des attelles sur les os cassés. Les combattants ont commencé à l’appeler le médecin. « Je sentais que j’étais utile » dit Halil.
Chaque nouvelle recrue doit prêter un serment en trois parties sur le Coran : Ne jamais trahir le mouvement ; ne jamais attaquer les civils ou prendre ce qui leur appartient ; servir tous les peuples du Niger, pas seulement une tribu ou un clan.
Mais il ya des exceptions à ce serment et voler les étrangers est non seulement toléré mais encouragé. Des hommes armés ont volé un camion Toyota blanc neuf appartenant à l’UNICEF en avril. Le même véhicule a fait son apparition dans une base des rebelles quelques jours plus tard, son emblème effacé. Les rebelles l’ont emmené au Mali pour essayer de le vendre. De tels dérapages ont mis Halil mal à l’aise. « Je ne suis pas né pour être soldat » dit-il.
Les combattants en fait passent peu de temps à combattre. La plupart du temps, ils patrouillent avec des véhicules, se réfugient à l’ombre maigre des acacias épineux et préparent le thé touareg, une décoction forte que l’on verse dans des petits verres.
Ce sont les moments où Halil a la nostalgie de chez lui. Il pense à son fils nouveau-né qu’il n’a jamais vu. Il se demande s’il a fait le bon choix en quittant sa famille et en prenant les armes.
« Parfois, j’ai des doutes » dit-il, attisant les braises d’un feu de camp.

Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Hilaire

NB : un grand merci à Jean-Pierre pour ce travail.
Pellet Jean-Marc

Aucun commentaire: