mardi 2 septembre 2008

Le journaliste Abdoulaye Tiémogo menacé de mort au Niger



AMADOU BOUNTY DIALLO-Le Canard Dechainé-01-09-08

mardi 2 septembre 2008

Depuis le mercredi 27 août 2008, notre confrère et ami, Abdoulaye Tiémogo, Rédacteur en Chef Adjoint de la Télévision Nationale, en disponibilité d’un an renouvelable, Directeur de Publication de l’hebdomadaire satirique, « Le Canard déchaîné », est entré en clandestinité.

Abdoulaye, c’est connu, est un homme de conviction. Ni les différents séjours en prison pour ses idées, ni les intimidations ne lui ont jamais fait peur. A chaque fois, Abdoulaye s’était assumé avec courage et détermination. S’il est entré en clandestinité précipitamment, c’est contraint et forcé.

En effet, le mardi 26 août au soir, un coup de fil anonyme l’informe de ce qu’une haute personnalité aurait décidé de lui faire « sa fête », de « lui faire la peau ». Dans ces conditions, que faire ?

Rester et se faire arrêter ou tuer par une force obscure qui, depuis que le régime se cabre pour faire modifier la Constitution et permettre au Président Tandja de briguer un troisième mandat, tente de transformer le Niger en un état de non droit ? Or la constitution, en son article 8, ne proclame-t-elle pas que « La République du Niger est un Etat de droit » ? La même loi fondamentale consacre en son article 23 que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, d’opinion, d’expression, de conscience, de religion et de Le journaliste Abdoulaye Tiémogo menacé de mort Devoir d’amitié culte ».

Mais cela, c’est le texte. La réalité est tout autre. L’espace de liberté, l’espace public se rétrécit de jour en jour comme peau de chagrin parce que ceux qui nous gouvernent ont décidé d’ignorer superbement la constitution de 1999. Que faire ?

Abdoulaye est journaliste, formé dans une école de journalisme. A ce titre, il est donc appelé à recueillir, traiter et diffuser l’information. Il a le devoir d’informer l’opinion publique. C’est ce qu’il a fait le samedi 23 août 2008 au cours de l’émission « La presse sur la 3 » de Canal 3. C’est aussi ce qu’il a exprimé à travers les colonnes de son journal dont la Une est intitulée « Enfin, le véritable dauphin de Tandja ». A-t-il ainsi commis un crime qu’on veuille lui « faire la peau » ?

Dans un pays où il y a 9 ans , dans l’ignominie totale, un Président a été lâchement assassiné, où un journaliste croupit en prison et ce , malgré le non- lieu prononcé par le Doyen des juges d’instruction, où la radio Télévision Dounia voit ses émissions suspendues « pour non respect de son cahier de charges (espèce de fourretout où le bourreau de la presse met tous ses desiderata), était-il prudent, pour Abdoulaye Tiémogo de rester se « faire cueillir » par une force publique aux ordres ?

Non ! Abdoulaye est entré en clandestinité parce que cela était, pour lui, salutaire. Il ne pouvait rester « visible » au risque de perdre sa vie. Dès le lendemain de l’appel anonyme, une convocation de la police judiciaire « atterrissait » sur son bureau au siège de son journal. Sans attendre que l’intéressé soit en possession dudit parchemin, la force publique se postait devant sa porte, à l’ORTN, et devant les bureaux du « Canard déchaîné ».

Face à un tel acharnement, Abdoulaye ne pouvait qu’entrer en clandestinité. Ceux qui poursuivent l’intéressé ignorent –ils le contenu de l’article 15 de la constitution de 1999 qui stipule que : « … Aucun citoyen ne peut être contraint à l’exil ou faire l’objet de déportation. La contrainte à l’exil ou la déportation de citoyen est considérée comme crime contre la nation et punit conformément à la loi ».

Ceux qui ont contraint Abdoulaye à la clandestinité, par des menaces de mort, doivent savoir que la Loi ne s’arrête ni à eux ni à personne et que l’histoire les jugera comme elle a rattrapé de sinistres personnages comme Radovan Karadzic, les khmers rouges, etc….Abdoulaye est en clandestinité pour échapper à une mort certaine à cause de ses idées. Son combat doit se poursuivre et, par la grâce de Dieu, il se poursuivra. Le départ d’un ami, l’entrée en clandestinité d’un ami, faut-il le dire, est quelque chose de douloureux. Mais il est préférable de le savoir en vie et en sécurité que d’apprendre son enlèvement et sa mise à mort.

Venu au journalisme par le support du Canard déchaîné, où, pendant longtemps, j’ai signé sous des pseudonymes, comme Dinosaure, Dracula et autres, j’ai un devoir vis-à-vis d’Abdoulaye et de son journal. Je me dois d’accomplir ce devoir d’ami en ces moments douloureux.

Le Canard déchaîné est la propriété d’Abdoulaye. Il doit continuer à exister, quelques soient les péripéties. C’est l’engagement que j’ai pris après l’entrée en clandestinité de mon ami. Cet engagement, je vais, par Dieu, le tenir. Que les uns et les autres se rassurent donc : le combat d’Abdoulaye contre l’arbitraire va se poursuivre.

Ce combat, c’est celui de dire la vérité, celui de rapporter l’information. C’est ce que faisait Abdoulaye. C’est tout ce que faisait Abdoulaye. Face à l’arbitraire, l’homme d’élite n’a pas le choix que de résister. L’IMAM Mohamed – que Dieu soit satisfait de lui - face à Mouaouia qui venait de faire exterminer sa famille eut le courage de lui dire, en se referant au Saint Coran : « ne vous enorgueillissez pas de vos succès, ne vous affligez pas de vos peines : Dieu peut tout changer. Aucune situation n’est faite pour durer ». En ce début du mois béni de Ramadan, quelle leçon !

AMADOU BOUNTY DIALLO


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Abdoulaye Tiémogo du "Canard déchaîné" : “Pourquoi j’ai fui le Niger”

Agnan Kayorgo -L’Observateur-lefaso.net/02-09-08

Nous avons rencontré l’homme pour la première fois en Côte d’Ivoire en octobre 2007 lors d’un séminaire sous-régional. Cette fois-ci, c’est au Burkina Faso, le temps d’une traversée que nous avons revu notre confrère nigérien Abdoulaye Tiémogo, en fuite.

M. Tiémogo, quel bon vent vous amène au Burkina, à moins que ce ne soit une bourrasque ?

• C’est plus fort que ça. Quand j’ai réfléchi à où je pourrais être le plus tôt possible pour éviter d’être tué, parce que c’est de cela qu’il s’agit, je me suis dit qu’il fallait absolument arriver au Burkina. C’est la frontière la plus proche de mon pays, le Niger. Et je n’avais donc pas d’autre choix que de venir ici.

Je suis donc arrivé dans une situation très rocambolesque (M. Tiémogo a quitté son pays le mardi 26 août 2008 à moto, et est arrivé à Ouagadougou, le jeudi après avoir passé une nuit à Kantchari : NDLR). Dès l’instant où je suis arrivé à Ouagadougou, peut-être que ma vie n’est plus en danger. Pour parler de ce qui s’est passé, je n’arrive pas à comprendre.

Les responsables de mon pays ont l’habitude de dire, depuis l’instauration du processus démocratique, qu’ils n’ont rien d’autre à vendre que la démocratie. Or aujourd’hui, je me rends compte que ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais plutôt d’horreur. Comment comprendre qu’un Nigérien quitte son pays parce qu’il a émis tout simplement des opinions sur la vie de la Nation ? Et qu’on organise pour cela une chasse à l’homme ? C’est de cela qu’il s’agit. J’ai quitté chez moi de justesse, parce que la police me cherchait partout. Je pensais au début que c’était une blague. Mais un ami m’a dit de faire attention parce que j’étais activement recherché par la police. Je me demandais pourquoi ? Et en poussant un peu loin la réflexion, je me suis dit que c’est à cause du journal l’hebdomadaire satirique "Le canard déchaîné", dont je suis le fondateur et le directeur de publication.

Le débat qui a cours actuellement dans notre pays concerne les prochaines élections générales. Et le président actuel, qui est à la tête du pays depuis 10 ans, est à la fin de son mandat. Selon la Constitution nigérienne, il ne peut ni briguer un troisième mandat ni prolonger son mandat. Mais malheureusement les hommes politiques étant ce qu’ils sont, le président Tandja veut absolument aujourd’hui rester au pouvoir alors que la Constitution ne le lui permet pas.

Depuis donc un certain temps, il y a des gens de la cour, comme nous les appelons, qui sont autour de lui et qui pensent que Tandja a encore un avenir politique ou quelque chose à faire au pouvoir. Or c’est très clair, il n’y a rien à faire.

Et tout naturellement, en tant que journaliste vraiment engagé, je le dis, j’ai pris part à ce débat pour dire qu’il est absolument hors de question que le président Tandja reste encore au pouvoir. Nous sommes 13 millions de Nigériens et je ne pense pas que le président Tandja soit l’homme le plus apte, le plus intelligent à diriger le pays. Il est à la fin de son mandat, il doit partir. Et parce que j’ai pris position dans le journal et même dans des débats publics, ils ont engagé cette chasse à l’homme qui m’amène à quitter le Niger.

N’est-ce pas un peu étonnant, puisque, pour avoir travaillé à la Télévision publique nigérienne, vous avez quand même servi le régime ?

• C’est vrai, j’ai été journaliste à la Télévision nationale du Niger. Et comme vous l’avez dit, je crois que j’ai servi ce régime, parce que quand vous êtes dans un média d’Etat vous n’avez pas d’autre choix que de faire la politique du régime en place. Je l’ai fait et je ne le regrette pas.

Mais à un moment donné, je me suis rendu compte personnellement qu’on ne peut pas continuer comme cela. Aujourd’hui, quand vous prenez la Télévision nigérienne, il n’y a rien d’autre que le culte de la personnalité ; c’est toujours Tandja, ses femmes, ses enfants, son entourage...

Moi je dis non ! Dès lors, j’ai dit à mes responsables qu’il me sera sincèrement très difficile de continuer à travailler dans cette situation. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas, mais maintenant je pense que le moment est arrivé de dire trop, c’est trop, il faut arrêter. J’avais moi même manifesté le besoin de prendre une disponibilité pour partir. Mais mes responsables m’avaient demandé de rester parce qu’ils avaient besoin de moi.

Je suis fondateur du journal "Le canard déchaîné", j’y ai placé des jeunes que j’admire beaucoup et qui font un bon boulot. Du côté du journal, nous sommes pour la démocratie, pour le développement de notre pays, il n’y a pas de raison que nous ne prenions pas une position très claire touchant à la vie de la Nation, parce que la Constitution nous le permet, c’est ce que nous avons fait.

Quand j’ai vu que les deux positions étaient difficiles à gérer, j’ai préféré quitter. Le président avait même demandé de me licencier de la Télévision nationale, or on ne pouvait pas le faire, car cela aurait été un licenciement abusif. Et quand j’ai rejoint le "Canard", les problèmes ont commencé. Pour moi, le combat est démocratique et il fallait continuer dans ce sens. Nous avons donc commencé à dénoncer les travers du régime, tout naturellement. Nous avons œuvré pour que ce régime arrive. Tous les Nigériens étaient fiers de l’arrivée de Tandja au pouvoir. Mais aujourd’hui, la Constitution de mon pays est claire, Tandja, après deux mandats, doit partir.

On se rappelle que dans une interview que vous nous avez accordée à Abidjan en octobre 2007, vous aviez durement chargé Moussa Kaka, emprisonné depuis bientôt un an à Niamey pour "atteinte à la sûreté de l’Etat". N’est-ce pas un peu une ironie de l’histoire que vous, son pourvendeur, vous vous retrouviez dans une situation presque analogue ?

• Comme vous l’avez dit, à l’époque de cette interview j’ai été très clair en ce qui concerne la situation de Moussa Kaka. Et aujourd’hui, je le redis, Moussa Kaka n’avait pas raison de faire le travail qu’il a fait à l’époque, c’est-à-dire qu’il aurait dû se cantonner à son travail de journaliste ; s’il y a des choses à dénoncer, il faut le faire vigoureusement ou d’aller sur le terrain constater, mais ce n’était pas de cela qu’il s’agissait avec Moussa Kaka. Ce dernier était vraiment de connexion avec la rébellion, qui est venue attaquer le pays, saper son intégrité territoriale. Je dis que je ne suis pas d’accord. Si demain un autre journaliste est contre mon pays je serai en désaccord avec lui.

Pour revenir à mon cas, je ne peux pas comparer ma situation avec celle de Moussa Kaka. Mais une chose est sûre, aujourd’hui, au Niger, la justice est instrumentalisée, tout est concentré dans les mains du président. Pour un oui ou pour non, le président Tandja vous envoie en prison. Ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai quitté le Niger. Si aujourd’hui on pouvait me garantir une justice indépendante par rapport à la prise de position du journal, si on pouvait me garantir un procès équitable je vous assure que je n’aurais pas quitté ce pays.

C’est parce que je suis convaincu qu’il n’y aura jamais de justice parce que c’est Tandja qui décide. Dès lors qu’il ordonne de vous jeter en prison vous n’allez jamais vous en sortir. Et ça, je ne suis pas prêt à l’assumer parce qu’il n’y a pas de justice. Compte tenu de tout cela, mes amis m’ont conseillé de partir. Ça me fait mal, je n’ai pas le choix et je ne peux pas retourner dans ce pays tant que ce régime-là sera en place.

Et que comptez-vous faire alors ?

• Je compte rester à l’extérieur du Niger jusqu’à ce que la situation redevienne normale. Mais avec Tandja je ne suis pas sûr parce que je crois savoir qu’il est dans une situation où il n’a rien d’autre à faire que de rester au pouvoir. Aujourd’hui, le Niger est dirigé par Tandja et sa famille. Est-ce cela un régime démocratique ?

Avez-vous les nouvelles de votre famille restée sur place ?

• J’avoue que depuis que je suis parti, je n’ai pas des nouvelles de ma famille. Je ne sais pas ce qui s’y passe. (L’entretien a eu lieu le vendredi 29 août 2008 aux environs de 17 heures dans une résidence hôtelière de Ouagadougou : NDLR). Je me dis que le bon Dieu est pour tous, et que tout ce qui va arriver ne sera que de par sa volonté. Si je peux savoir ce qui m’est reproché, parce que je n’ai pas commis de fautes, et qu’on me donne des garanties pour venir répondre, je suis prêt à retourner au pays. Mais ça m’étonnerait que j’aie ces garanties parce que, comme je vous l’ai dit, il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de justice au Niger. J’ai peur pour ce pays. L’Union africaine et peut-être les autres organisations doivent réagir.

Aujourd’hui, que devient votre journal ?

• Le journal est là. Je l’ai laissé dans les mains de mes collaborateurs. Est-ce que le fait que je ne sois pas là, le journal va marcher ou pas, je ne sais pas. Il y a un régime de terreur au Niger, et il ne faut pas vous étonner qu’après "Le canard déchaîné" tous les autres journaux disparaissent. Je suis convaincu que le pouvoir va essayer de faire taire ce journal, de le fermer une bonne fois pour toutes.

Justement avec toute cette situation, quel visage présente la presse nigérienne ?

• C’est le désarroi pour la presse au Niger aujourd’hui ! Dans l’interview que je vous ai accordée à l’époque à Abidjan, j’étais sûr de moi en vous disant qu’il n’y avait pas d’inquiétude pour les journaux nigériens, les gens pouvaient s’exprimer librement.

Mais aujourd’hui et depuis un an que le président Tandja a récupéré la totalité du pouvoir malgré le caractère du régime semi-présidentiel, c’est la débandade. Aujourd’hui, aucun journaliste sincère ne peut dire qu’il peut faire correctement son métier. La presse nigérienne actuellement est au plus mal.

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