vendredi 1 mai 2009

Le Mali risque d’avoir la réputation d’allié de la mafia et des salafistes


Adam Thiam - http://www.geostrategie.com - 30-04-09
Le Mali risque d’avoir la réputation d’allié de la mafia et des salafistes
vendredi 1er mai 2009

Editorialiste du journal Le Républicain, proche de l’opposition, Adam Thiam exprime une forte inquiétude face à la montée d’un nouveau courant islamiste compatible avec le salafisme au détriment des confréries qui prônent un Islam traditionnel plus tolérant.

Entretien réalisé à Bamako le 26 avril 2009 pour El Watan (Algérie) par Salima Tlemçani

Comment expliquer que le nord du Mali qui était le théâtre de la rébellion touareg soit devenu la zone de repli par excellence du GSPC ?

L’accalmie sur le front de la rébellion a été marquée par l’ouverture d’un autre front, celui du salafisme. L’inquiétude est très grande d’autant que le Mali n’a pas les moyens d’y faire face et que la coopération internationale et régionale fait défaut. Le nord du Mali où se multiplient les prises d’otages, le trafic de drogue, de cigarettes et de la contrebande s’est transformé en sanctuaire pour les salafistes et leurs corollaires. Des activités qui nuisent à l’image d’un Mali en mal de bonne gouvernance.

A votre avis qu’est-ce qui fait que les salafistes trouvent plus de facilité à s’installer au nord du Mali qu’au nord du Niger ou de la Mauritanie ?

Je crois qu’il y a trois paramètres combinés. D’abord la donne tactique. Les salafistes savent qu’ils sont plus dissuasifs au nord du Mali que nulle part ailleurs. La deuxième raison est sociologique. C’est au nord du Mali que nous retrouvons le type de configuration tribale qu’ils recherchent, à savoir les tribus arabes qu’ils côtoient le plus et avec lesquels certains d’entre eux sont apparentés. La troisième donne est la faiblesse de l’Etat malien. Certains la qualifient de permissivité, mais à mon avis elle est liée au manque de moyens.

L’Etat malien n’a aucun intérêt à couvrir les salafistes ou les trafiquants de drogue, même si par ailleurs nous sommes obligés de reconnaître que des enjeux de proximité se sont développés avec l’arrivée des salafistes et il serait naïf de croire que personne n’a d’intérêt dans la situation créée.

Vous dites que les salafistes ont trouvé l’hospitalité chez certaines tribus arabes, mais les autorités maliennes aussi ont utilisé ces mêmes tribus pour faire face à la rébellion touareg. N’y a-t-il pas quelque part une jonction d’intérêt entre tribus arabes et salafistes ?

Penser que la rébellion s’est terminée grâce à l’intervention de la partie arabe est une erreur. La rébellion a pris fin pour trois raisons.

Un Ag Bahanga qui n’avait plus d’argument politique pour poursuivre sa lutte. Il ne pouvait plus convaincre. C’est pour cette raison que la rébellion n’était pas de l’ampleur de celle 1990. Deuxièmement, il s’est rendu compte qu’il n’avait pas de bases arrière d’autant que l’Algérie s’est inscrite dans la logique du processus de paix. La troisième raison est qu’il y a eu un changement de stratégie au niveau de l’Etat malien. Tout en respectant les Accords d’Alger, les autorités ont pris au sérieux l’attaque de Lampala et les risques sécuritaires qu’elle pouvait engendrer, en prenant la décision d’affronter militairement les rebelles. Ce sont les trois facteurs qui expliquent l’accalmie actuelle.

J’ai souvent entendu les gens incriminer l’Etat malien pour avoir toléré les salafistes sur son territoire. Personnellement, je crois qu’il est plutôt victime de leurs activités et même de l’Algérie. N’oublions pas que Belmokhtar est Algérien. N’oublions pas aussi, les facteurs qui ont fait basculer l’Algérie vers l’islamisme. Le Mali n’a aucun lien avec la situation politique de ses voisins, lui qui n’a même pas des moyens décents pour ouvrir une école dans une ville comme Bamako. Pour moi, la question de savoir pourquoi le salafisme prospère au nord du Mali plus qu’au Niger ou au Tchad n’est pas plus importante que celle de savoir comment mettre en place une politique sous-régionale ou internationale à même de contrer une telle menace qui, à défaut de pouvoir viser l’Occident chez lui, va cibler les intérêts de ce dernier en Afrique, dans nos pays et dans nos villes.

Est-il vrai que les confréries qui avaient du pouvoir, par exemple à Tombouctou, commencent à perdre du terrain de plus en plus acquis aux salafistes ?

Oui, ça c’est un problème réel. Ce qui se passe dans cette région n’est pas lié au salafisme d’Al Qaïda. Il est vrai qu’il y a une forte percée d’un nouveau courant qui a tendance à remplacer progressivement l’Islam traditionnel des confréries et qui est à mon avis une souche très compatible à cette idéologie fondamentaliste prônée par les salafistes. Ce nouveau prosélytisme extrémiste doit être surveillé parce qu’il est incompatible avec les valeurs de tolérance et d’ouverture véhiculées par l’Islam.

Comment expliquer que les prises d’otages trouvent à chaque fois leur dénouement au Mali, après paiement de rançons, alors qu’elles ont été commises ailleurs que sur son territoire ?

Les négociations se passent au Mali, parce qu’il y a une base salafiste dans le Nord et que ces actes sont devenus un fonds de commerce utile qui leur permet d’acheter des armes. Une fois qu’ils sont basés au Mali où ils ont des relations avec les communautés locales et que les otages sont transférés vers ce pays, alors il est légitime de s’interroger sur la responsabilité de chacun. Quand toutes les conditions énumérées sont réunies, le Mali subit de fortes pressions qui le poussent à négocier la libération des otages. Ce sont des situations désagréables pour lui. Elles ne sont pas défendables sur le long terme, parce que le risque pour l’Etat malien est de passer aux yeux de l’opinion publique internationale et surtout des pays voisins, pour un allié des salafistes et de la mafia. Il faut une politique concertée et vigoureuse pour assécher à la fois la logistique et la propagande des salafistes. La région est une espèce de no man’s land favorable à tous les trafics. Avant, c’était la contrebande de cigarettes. Maintenant, c’est le trafic d’armes et de drogue. Demain, la région sera peut-être celle des dépôts de déchets toxiques parce que les Etats n’ont pas les moyens de contrôler leurs territoires…

Selon vous, l’accalmie au Nord est-elle précaire ou définitive ?

Je ne sais pas. Autant en 1990 je pouvais considérer que la rébellion dans la dimension que nous avons connue était justifiable, autant l’attaque du 23 mai 2006, me paraît totalement gratuite. Elle n’est pas le fait de toute la communauté touareg mais de quelques-uns de ses éléments qui bénéficiaient d’armes et de complicité. Tant que les relations avec l’Algérie sont bonnes et respectueuses de part et d’autre, il me semble extrêmement difficile que nous ayons sur notre territoire une autre rébellion similaire à celle des années 1990. Il faut également que nos relations avec la Libye ne créent pas de crise comme celle qui a suivi l’ouverture du consulat libyen à Kidal. Je ne peux pas dire que c’est la cause des événements, mais je constate que ce consulat a fermé dans la foulée. Ce ne sont pas les rebelles qui ont demandé la fermeture, encore moins la Libye. Aujourd’hui, il est important de savoir ce que l’espace sahélo-saharien fait pour éviter les rébellions qu’aucun des pays de la région ne peut affronter faute de moyens.

- Le site : geostrategie.com

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