Le long du Sud : le désert avance, le Sahara recule
Kamel Daoud-Le Quotidien d’Oran
Il y a le vide, il y a le désert et il y a le Sahara. Le premier est habité par les chômeurs, du nord au sud, il est vaste comme désert et inhabitable et dur à supporter ou à peupler. Le vide rêve du pétrole mais n’en a pas, comme un chômeur. On peut le voir au Nord dans les cafés et au Sud entre les rares cafés de la nationale Une. Le désert est difficile, il est caillouteux, noirci par le soleil, mort, calme et étrangement serein face au ciel qui l’a tué depuis un million d’année. Et il y a le Sahara, un vieux folklore, tracé par la dune et la courbe, attirant pour ceux qui veulent se débarrasser de leurs villes ou de leurs corps, photogénique et généreux malgré la frugalité.
Dans le désordre, on peut dire que le Sahara a été tué par le désert puis encore plus par le vide. Des pensées éparses donc, l’essentiel étant qu’après deux jours de route, on découvre que ce pays est vaste. Trop vaste pour être gouverné par une kasma et la technique du mandat à vie. Un jour on le perdra parce qu’on ne pourra pas le défendre. En attendant, le beau Sahara recule, on peut en apercevoir encore de magnifiques immobilités entre Aïn-Salah et ces villages rares sur la route de Tam et qui ont parfois des noms d’igloo du pôle nord : Arak par exemple. Le Sahara, on n’en a pas pris soin. On y jette les sachets le long de la transsaharienne, des bouteilles de plastique, des sachets bleus, véritable infection nationale, les carcasses de camions accidentés et ce collier de pneus éclatés. Le Sahara est tué par la pollution du Nord et ses plastiques et par les terroristes du profond Sud qui y interdisent la circulation, le cosmopolitisme, le tourisme, l’échange et la sensation de liberté autrefois prégnante. Le Sahara est aussi cerné par les multinationales, le pétrole, la prédation mondiale. A la fin il est une vieille carte postale en noir et blanc avec un ciel pur et des oueds cachés et des noms fascinants. Dans le vaste désert, le Sahara est intermittent, des îlots, des endroits et des routes. C’est une oasis.
Le désert, lui, est plus vaste. Il avance dans tous les sens. Il est le fantasme des monothéistes et des djihadistes qui le proclament père de leur califat et abris de leurs katibas. Ils y rejouent Errissala, Lawrence d’Arabie et les fondations de l’islam. Le désert est une sensation inquiétante de perte, de risque, des check-points, des barrages, des fouilles au corps et aux bagages, des guérites. Le désert s’étend avec l’enjeu du Sahel et ses nations d’un jour ou des guerres d’une semaine. Il nous prive du Sahara et des pierres immenses qui ressemblent à des dieux sculptés par les éboulements et les vents. Un jour, le Sahara n’existera plus, disparaîtra. Il n’en restera que le vide et les bornes kilométriques. En face, sous lui, dans son dos et dans le notre, le désert avance, suivi par le vide avec ces prénoms de jeunes voyageurs qui dessinent sur les pierres des bords de route leur prénoms et de mystérieux chiffres. Le voyage dans le Sud laisse l’étrange et triste impression d’une fin d’époque.
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