Hama Ag Sid Ahmed. Chargé des relations extérieures du MNLA
«Il faut aller vers une sorte de système fédéral»
le 24.06.13 | 10h00 Réagissez
| © D. R.
Six jours après la signature de l’accord provisoire de cessez-le-feu entre les représentants des populations du Nord-Mali, en conflit avec le Sud depuis 2012, et le gouvernement malien de transition, Hama Ag Sid Ahmed, chargé des relations extérieures du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et porte-parole du Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (CTEA), a accepté de faire pour nous le point sur l’évolution de la situation sur le terrain dans la région de l’Azawad et de nous livrer la position de son mouvement par rapport à l’élection présidentielle qu’organisera le gouvernement provisoire malien au mois de juillet prochain. Il énumère également les attentes des populations du Nord. Des attentes qu’il espère,dit-il, voir se concrétiser à la faveur des négociations qui auront lieu après cette échéance électorale.
-Comment l’accord intérimaire, signé par le MNLA et le HCUA, avec Bamako, la semaine dernière à Ouagadougou, a-t-il été perçu par les populations du nord du Mali ?
L’accord de Ouagadougou a trois objectifs principaux. Le plus important pour la communauté internationale est la tenue d’une élection présidentielle au Mali, au plus tard fin juillet, pour qu’il y ait un gouvernement légitime, que la transition parte et que l’on ne puisse plus voir le capitaine Sanogo dans les rouages politiques. Deuxièmement — et cela est très important — le document signé instaure un cessez-le-feu, entre les deux mouvements MNLA/HCUA et le pouvoir transitoire de Bamako, pour créer les conditions de sécurité acceptables pour la tenue de l’élection, que je viens d’évoquer.
Enfin, il consigne les assurances de la communauté internationale concernant la tenue d’un dialogue sur le statut politique de l’Azawad, entre les mouvements signataires et le futur gouvernement malien qui sera issu des urnes. Tout le reste est poussière. Les populations qui vivent dans l’Azawad et les chefs de famille souhaitent qu’il y ait une paix. Ces mêmes populations ont toutefois peur que cette paix ne soit que précaire et de courte durée. Il faut dire qu’elles ont été habituées à des retournements de situation aussi dramatiques que spectaculaires. Par conséquent, elles sont dans le doute et se posent encore et légitimement beaucoup de questions.
-Qu’en pensent les populations qui ont quitté la région ?
Celles qui ont été chassées, qui ont fui par peur des exactions et qui ont tout laissé derrière elles n’applaudissent pas au protocole de cessez-le-feu signé à Ouagadougou. Elles disent qu’elles ont été trop humiliées, qu’elles ont enduré la famine et la soif. Bien évidemment, pour tous ces gens, on est encore très loin de la réparation attendue et espérée. Les populations disent qu’elles avaient cru en quelque chose, mais que maintenant cet espoir est en train de s’estomper. Les responsables des mouvements savent ce qu’il reste donc à faire : consentir plus d’efforts pour gagner «les cœurs» de ces réfugiés et de ces familles déplacées et leur redonner espoir. Au-delà, vous devez savoir que toutes ces populations du Nord ne veulent qu’une seule chose : une vraie paix qui prenne en compte leur souffrance et leurs aspirations.
-Craignez-vous que l’accord ne soit pas respecté ?
L’expérience le montre, les autorités maliennes ne savent pas ce que signifie un engagement. Cela ne fait pas partie de la culture des politiques de Bamako. Il se pourrait qu’il y ait des exceptions, mais nous n’arrivons pas encore à en trouver. S’agissant de l’accord signé dans la capitale burkinabè, il y a un élément nouveau qui n’existait pas dans les précédents accords. Il s’agit de la présence de la communauté internationale. Il n’est pas exclu que Bamako trouve des arguments pour remettre en cause le cessez-le-feu. Je pense qu’ils sont un peu piégés par la présence des forces françaises qui tentent, tant bien que mal, de faire le tampon entre les parties en conflit et d’éviter des dérapages. Mais tout peut venir de ceux qui pilotent la transition à Bamako, et cela avec un accord tacite du capitaine Haya Sanogo. Tous souhaitent prolonger la transition. Ils ont encore «des courses à faire ».
-Pourquoi le MNLA et le HCUA ne fusionnent-ils pas ? Sur quels éléments s’opposent-ils encore ?
Ces deux mouvements partagent l’essentiel. Les divergences portent uniquement sur des questions de gestion et de méthodologie. Il est d’ailleurs prévu, dès que le contexte le permettra, une grande rencontre entre les deux organisations. Nous mettrons alors les choses à plat et tenterons de surmonter nos divergences et, pourquoi pas, jeter les bases d’une nouvelle formation. En tout cas, nous tenterons d’avancer dans le sens des aspirations des populations. Je ne dis pas que cela se fera dans l’immédiat. Il y a effectivement un petit souci de leadership. Les divergences, pouvant être qualifiées de subjectives, peuvent être assez facilement dépassées. Mais avant, chacune des organisations a un grand besoin de se restructurer et se reconstruire. A partir de là, une fusion sera effectivement possible. En tout cas, ce n’est qu’à cette seule condition qu’une nouvelle formation sera vraiment efficace.
-Commence-t-on à mettre en œuvre les dispositions de l’accord de Ouagadougou ? Y a-t-il une présence des pouvoirs publics maliens dans Kidal maintenant ?
Comme vous le savez, il y a une commission mixte de sécurité — dont les membres sont déjà connus — qui a commencé ces travaux. Certains séjournent à Kidal, en ce moment, pour établir des contacts avec les responsables militaires des deux mouvements. On parle de quelques policiers et gendarmes qui sont entrés dans la ville. Ils ne sont néanmoins pas opérationnels. Je dirais qu’ils ont été «cantonnés». La ville est sécurisée par le MNLA et le HCUA.
Il est prévu également, dans les prochains jours, que des infirmiers militaires de l’armée viennent à Kidal. Tout cela doit se discuter. Les officiers, les cadres militaires des deux mouvements se concertent en ce moment sur la meilleure attitude à adopter, par rapport à cette nouvelle donne. Et vu ce qu’on leur propose, beaucoup ne cachent pas leur irritation.
Il est prévu également, dans les prochains jours, que des infirmiers militaires de l’armée viennent à Kidal. Tout cela doit se discuter. Les officiers, les cadres militaires des deux mouvements se concertent en ce moment sur la meilleure attitude à adopter, par rapport à cette nouvelle donne. Et vu ce qu’on leur propose, beaucoup ne cachent pas leur irritation.
-L’accord ne parle pas uniquement que de commission mixte, n’est-ce pas ?
Effectivement ! Il est également question de la venue d’une section de l’armée malienne qui sera noyée dans les forces étrangères. Cette section devrait aussi se cantonner, prendre la même position que l’ensemble des troupes des mouvements présents. Dans le cas contraire, cela pourrait compliquer les choses. Seules les forces neutres feront en principe tampon pour éviter tout dépassement sur place. Il faut savoir qu’à Kidal, une toute petite étincelle peut provoquer très vite un grand incendie. Il faut éviter de prendre des risques. Les «pompiers» ne sont pas toujours présents au bon moment et là où il faut.
Dans cette région, personne n’en a jamais vu d’ailleurs. Concernant ce que vous appelez les pouvoirs publics, il y a déjà une présence symbolique d’Ag Albessati, l’ancien chef du protocole du gouverneur de Kidal, qui tente, tant bien que mal de faire fonctionner l’administration avec le soutien de l’ensemble des organisations présentes sur place et des chefs de tribu. Cela dit, nous ne pouvons vraiment pas parler du volet lié à l’administration tant qu’il n’y aura pas eu de vraies négociations sur le statut politique de l’Azawad. Là, nous verrons quel type d’administration il faudra mettre en place (un Parlement autonome qui légiférerait et qui aurait donc de vrais pouvoirs politiques et juridiques, etc.). C’est une grosse bataille qui n’est pas encore engagée, qu’il faudra mener le moment venu.
-A quoi le MNLA et le HCUA vont-ils s’atteler durant les prochains jours ?
Les responsables des deux mouvements vont surtout s’atteler à faire adhérer la population, les responsables politiques et miliaires et les combattants à l’accord provisoire. Ils vont leur expliquer l’intérêt et les perspectives qu’il offre. Ils auront une tâche très difficile. Il n’est pas aisé, en effet, de faire accepter la présence, par exemple, d’une section de l’armée malienne à Kidal. Il faudra aussi veiller à convaincre la nouvelle génération de la justesse de la démarche, car il se peut qu’elle perçoive la situation différemment. Il est important, également, d’aller à la rencontre des populations déplacées et refugiées en Algérie, en Mauritanie, au Burkina Faso, ainsi que tous les membres de toutes les cellules présentes à l’étranger. Cette mission de sensibilisation sera assurée par quatre commissions. Elles devraient être mises en place dans les jours qui viennent. Elles auront à assumer une lourde responsabilité.
-Le gouvernement malien provisoire organisera le 28 juillet prochain une élection présidentielle. Le MNLA aura-t-il un candidat ? S’il ne présente pas de candidat, soutiendra-t-il quelqu’un d’autre ?
Oui, le gouvernement de transition organise, effectivement, une élection présidentielle en juillet. Elle sera bâclée, j’en suis convaincu. Mais, comme diraient certains, l’essentiel est «qu’elle se tienne et qu’on sauve les apparences», même si on sait qu’à Bamako on n’est pas prêts. Les Maliens, dans leur ensemble, n’accordent pas d’intérêt aux élections. Ils constatent que cela n’apporte rien à celui qui dort dans la rue et encore moins à celui ou celle qui termine ses études. Pour revenir à l’Azawad, à ma connaissance le MNLA n’a aucun candidat. Le contexte ne s’y prête pas. Il y a trois ans, nous aurions peut-être pu choisir un ou plusieurs candidats. Mais ce n’est pas le cas maintenant. Nous savons, par ailleurs, que les hommes politiques, en lice à Bamako, ne se préoccupent pas de ce qui se passe dans le Nord. Alors à quoi bon ? Nous avons notre idée pour les prochaines élections.
-Soixante jours après l’élection présidentielle, il est prévu l’ouverture de négociations entre Bamako et les représentants des populations de l’Azawad. Quelle serait, pour vous, la solution idéale à la crise que vit votre région depuis plusieurs mois ? Quels seront les principaux points que vous défendrez ?
Pour sortir durablement de la crise, il faut doter la région d’une vraie autonomie politique, aller vers une sorte de système fédéral «ouvert». Cela permettra assurément aux populations de prendre en main leur avenir. Faire autrement, c’est semer les germes d’une nouvelle escalade. Je pense qu’en ce moment personne ne souhaite cela. Ce qui est positif aussi, c’est que la communauté internationale commence timidement à prendre conscience de cette situation particulière qui prévaut dans la région. Ce n’est pas tout.
Les militaires maliens ont aussi assez donné de vies pour que survivent les politiques de Bamako. Car, il faut se poser la question : en contrepartie, que gagnent les familles de tous ces soldats morts ? La réponse est : rien ! Pis encore, elles sont oubliées, délaissées par les politiques. Récemment d’ailleurs, des militaires maliens ont préféré se faire radier que de revenir dans ces régions. Ils savent que ce n’est pas leur combat. Idem pour les populations de l’Azawad qui se font massacrer par l’armée et des miliciens noirs de Gao. Elles aussi finissent par être oubliées aux frontières des pays limitrophes. Cela pour dire qu’il est temps que la communauté internationale — et c’est son devoir — s’implique réellement pour aider à instaurer une paix définitive dans la région et faire en sorte que les nombreuses tragédies vécues par les populations ne se reproduisent plus.
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