vendredi 14 juin 2013

Areva en terrain miné au Niger

ANALYSES DE LA RÉDACTION

Par Véronique Le Billon Chef adjointe du service Industrie, en charge de l’Energie aux « Echos »

Areva en terrain miné au Niger

Par Veronique Le Billon | 13/06 | 07:00 | mis à jour à 14:47

L’attaque terroriste du 23 mai, sur le site de Somaïr, signe un nouveau coup de semonce pour le groupe nucléaire, contraint de repenser sa présence sur le terrain.

« Boll » pour Les Echos
« Boll » pour Les Echos
Le 23 mai, à 5 h 30 du matin, une voiture chargée d’explosifs a pénétré dans le site de Somaïr, l’une des deux mines d’uranium exploitées par Areva au Niger, tuant un salarié et en blessant 14 autres, tous Nigériens. Au même moment, un deuxième attentat, revendiqué par les mêmes groupes jihadistes hostiles à la participation du Niger à l’intervention franco-africaine au Mali, tuait 24 militaires nigériens à Agadez.
« Je tiens par ma présence à témoigner de la force de notre engagement au Niger », a réagi dès le lendemain le président du directoire d’Areva, Luc Oursel, coupant court à l’hypothèse d’un retrait du groupe français. L’attaque du 23 mai signe pourtant un nouveau coup de semonce pour le groupe nucléaire, après l’enlèvement, en septembre 2010, de sept salariés d’Areva et Vinci à Arlit, la ville voisine du gisement de Somaïr. Le 22 juin, les familles de quatre d’entre eux, toujours otages, organiseront des manifestations pour leur 1.000 e jour de détention. Début 2011, le meurtre de deux Français au Niger avait aussi obligé le groupe à reporter de plusieurs mois le retour de ses expatriés dans le pays.
Pour Areva, les raisons de rester au Niger sont nombreuses. Une présence historique, d’abord : les gisements d’uranium y ont été découverts par les ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique dès la fin des années 1950. Le Niger occupe depuis une place centrale dans sa stratégie d’acteur intégré du nucléaire – de l’exploration du minerai jusqu’aux services, en passant par la conception de réacteurs. Le groupe y a produit l’an dernier 37 % de ses 9.760 tonnes d’uranium. Et les mines assurent une bonne part de sa rentabilité : 352 millions d’euros de résultat opérationnel l’an dernier, soit 25 % du chiffre d’affaires de la division. Areva a engrangé des commandes, il doit maintenant les honorer : il disposait fin 2012 de neuf années de chiffre d’affaires en carnet de commandes, soit 12 milliards d’euros. S’il quittait le Niger, Areva n’aurait en outre plus que deux pays d’approvisionnement : le Kazakhstan, le plus rentable mais qui reste un pays difficile, et le Canada, où il n’est pas majoritaire. Sans le fiasco du rachat d’UraMin, le groupe aurait pu se diversifier en Namibie et en République centrafricaine. Mais ces deux projets, jugés trop peu rentables avec un cours de l’uranium aujourd’hui au plus bas, ont été gelés. Au Niger, les gisements de Cominak et, surtout, de Somaïr disposent encore de dix à vingt ans de réserves. Surtout, Areva investit lourdement pour développer le projet Imouraren, qui représente un potentiel de 5.000 tonnes d’uranium de plus par an. L’investissement est désormais évalué à plus de 1,9 milliard d’euros, contre 1,2 milliard en 2009, dont un tiers aurait déjà été dépensé. Difficile d’essuyer un nouvel échec.
Areva, qui vient de voir partir trois de ses cadres miniers (dont le directeur d’Areva Niger) chez le producteur d’or LaMancha, doit donc répondre à une question plus ­concrète : comment rester au Niger ? Un sujet en partie économique. Les conventions minières qui régissent les conditions d’exploitation d’Areva sur les deux sites de Somaïr et Cominak arrivent à échéance à la fin de l’année et font l’objet de renégociations difficiles avec le pouvoir nigérien, alors même qu’Areva et Niamey n’avaient toujours pas réussi, ces dernières semaines, à se mettre d’accord sur le prix de l’uranium enlevé depuis le début de l’année. En 2009, Areva avait remporté la concession d’Imouraren en relevant très nettement l’avantage économique pour le Niger. En visite à Paris début mai, où il a de nouveau rencontré François Hollande, le président nigérien Mahamadou Issoufou a répété que les conditions financières d’Areva ne le satisfaisaient pas. Elu en 2011, le Nigérien a en outre fait du lancement d’Imouraren l’un des points clefs de son mandat. Areva, qui a longtemps attendu de meilleures conditions de marché pour lancer ce projet désormais prévu pour 2015-2016 – au plus tôt selon certains – et dont le coût de production restera élevé, a déjà dû négocier une indemnité de retard.
L’entreprise française doit aussi repenser sa présence sur le terrain. Le site d’Imouraren, posé en plein désert, a été sécurisé par des levées de terre et ne sera probablement pas aussi exposé que celui de Somaïr. Mais la facilité avec laquelle l’attentat s’est produit oblige le groupe à penser autrement sa sécurité. Car si les incidents se multiplient, les candidats à l’expatriation seront difficiles à convaincre. Et si les Nigériens sont désormais touchés par les attentats, l’adhésion déjà fragile de la population à l’exploitation d’une richesse nationale par un groupe étranger s’émoussera davantage. L’attentat remet ainsi en selle les défenseurs d’une sécurité « passive », où la population locale – et notamment les Touareg – aurait davantage intérêt à conserver et protéger l’industriel étranger qu’à le combattre. Une politique de développement qui nécessite du temps.
Pour contrer les critiques sur le degré réel d’indépendance énergétique du nucléaire, les électriciens, eux, ont appris à répartir leurs risques. Sous l’impulsion du précédent gouvernement, EDF, qui avait refusé de prendre une participation dans les mines d’Areva, a conclu avec lui un accord de long terme sur la livraison de 30.000 tonnes d’uranium sur la période 2014-2035. A l’horizon 2015-2020, EDF s’approvisionnera à hauteur de 15 % au Niger. Mais le groupe a prévu des clauses de substitution, qui lui garantissent un approvisionnement en uranium « quelle que soit la production en provenance du Niger ».
Véronique Le Billon
Chef adjointe du service Industrie, en charge de l’Energie aux « Echos »

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