lundi 18 avril 2011

Au coeur du désert, une guitare se fait entendre, celle de Bombino


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Par Benoit Bisson - 18 avril 2011, 06:32 - mise à jour: 18 avril 2011, 06:43Imprimer

Il y a parfois de ces musiques que l’on découvre qui nous font tout de suite penser à ailleurs, des musiques qui conjurent des images, des espaces, des idéaux même. C’est l’impression que j’ai eue dès que j’ai entendu la guitare, la voix de Bombino, dont l’album Agadez sera lancé demain. Lebuzz.info vous le présente.

Bombino - Photo © Ron Wyman
Bombino - Photo © Ron Wyman
Plutôt que de vous broder quelques notes biographiques à la va-vite sur un artiste dont il importe tout autant de découvrir l’histoire que le talent, ce qui suit reprend presque intégralement une biographie réalisée à partir d’une interview de Bombino en décembre 2010 et d’une biographie écrite par Ron Wyman, de Zero Gravity Films. Difficile de mieux faire pour découvrir l’homme derrière la musique.
Mais surtout, ne craignez rien, nous ne vous offrons pas que de la lecture! Il y a aussi une pièce à télécharger et quelques clips vidéo, question de vous faire goûter à du live. Il y a fort à parier que vous deviendrez accro!

Il était une fois

Omara « Bombino » Moctar, dont le prénom est Goumar Almoctar, est né le 1er janvier 1980 à Tidène, au Niger, un campement de nomades touaregs situé à environ 80 km au nord-est d’Agadez. Il est membre de la tribu des Ifoghas, qui appartient à la fédération touareg Kel Air. Son père est mécanicien et sa mère s’occupe de la maison, comme le veut la tradition touareg. Bombino a reçu une éducation musulmane privilégiant l’honneur, la dignité et la générosité comme grands principes de vie.
Les Touaregs qui – entre eux – s’appellent les Kel Tamasheq, sont depuis longtemps reconnus comme les guerriers, les commerçants et les voyageurs du désert du Sahara. Ils sont le peuple de la grâce et de la noblesse ainsi que des combattants redoutables, un peuple nomade descendant des Berbères d’Afrique du Nord qui lutte depuis des siècles contre le colonialisme et l’imposition de la loi islamique stricte.
Bombino a passé son enfance dans un campement près de la ville d’Agadez, la plus grande ville au nord du Niger (population de 90 000) et depuis longtemps un point stratégique de l’ancienne route commerciale reliant l’Afrique du Nord et le Sahara avec la Méditerranée et l’Afrique occidentale. Issu d’une fratrie de dix-sept frères et soeurs (demi-frères et demi-soeurs compris), Bombino va brièvement à l’école d’Agadez, mais refuse ensuite d’y aller, démontrant là son esprit rebelle. Sa grand-mère le prend en charge pour éviter tout problème avec ses parents, et, comme la plupart des enfants touaregs, il grandit avec sa grand-mère.
Au bout d’un certain temps, Bombino se fait tout de même à l’idée d’aller à l’école et commence à fréquenter une école franco-arabe qui enseigne les deux langues. Il y sera trois ans, après quoi – à l’âge de neuf ans – il revient chez sa grand-mère qui l’élève dans la tradition touarègue. Cette culture étant matriarcale, les femmes âgées sont considérées comme les chefs de la communauté, les sages qui représentent la puissance de la vie, la générosité et la connaissance. La grand-mère de Bombino lui a insufflé le code moral touareg pour qu’il puisse grandir comme un membre respecté de la communauté. Les jeunes garçons touaregs sont appelés Arawan tchimgharen n, ou des enfants grand-mère, un terme qui est considéré comme un signe d’honneur.

Sécheresse et rébellion

En 1984, une sécheresse frappe le Niger et le Mali, tuant la plupart des animaux d’élevage de la région et forçant les gens à quitter leur campagne pour se déplacer dans les villes ou vers l’Algérie et la Libye voisine. Suite à cette catastrophe, les communautés touaregs de ces pays ont organisé une rébellion pour défendre leurs droits, car ils se sentaient négligés et sous-représentés par les gouvernements locaux. Avant le début des combats, les rebelles ont commencé à enseigner à la communauté les objectifs de la rébellion à travers le chant et la guitare récemment adoptée. Des musiciens tels que Intayaden, Abreyboun de Tinariwen, Keddo, Abdallah du Niger et d’autres chantent alors des chansons populaires qui proclament les droits et le patrimoine des Touaregs. Le style a été appeléIshoumar, un dérivé du mot français chômeur. En effet, les Touaregs ont perdu leurs troupeaux à cause de la sécheresse et ont été livrés à eux mêmes, sans autre moyen de subvenir à leurs besoins. Finalement, le terme Ishoumarest devenu synonyme de rebelle.
En 1990, la première rébellion touareg commence au Mali et au Niger, alors que des commandos Touaregs lancent une attaque contre des militaires locaux et les bureaux du gouvernement. Les gouvernements ne tardent pas à riposter, déclarant les Touaregs ennemis de l’État et forçant nombre d’entre eux à l’exil.
Bombino s’enfuit avec son père et sa grand-mère. Direction Algérie, où ils ont de la famille. Un jour, des proches arrivant de la ligne de front de la rébellion leurs rendent visite, Heureux hasard, ils laissent temporairement derrière eux deux guitares. C’est ainsi que Bombino commence à apprendre seul à en jouer, reproduisant des notes pour imiter les chansons Ishoumar qu’il avait entendues.
En 1992 et 1993, le régime militaire au Niger est remplacé par un gouvernement démocratiquement élu. De nombreux partis politiques voient le jour, moulés en grande partie sur les lignes ethniques. Un parti Touareg est formé, et une fois de plus la musique joue un rôle important dans l’éducation de la communauté, cette fois-ci servant d’outil pour mousser l’importance d’un système démocratique au Niger. Même si le conflit armé n’est pas officiellement terminé, Bombino et sa famille décident de revenir à Agadez.

Une première guitare

Lors d’un voyage à Niamey, au Niger, pour un traitement médical, Bombino rencontre son oncle Rissa Ixa, un célèbre peintre touareg, qui lui offre une guitare. De retour à Agadez, Bombino rejoint le parti politique touareg où il a rencontré le meilleur guitariste du parti, un homme du nom de Haja Bebe. Il commence à prendre des leçons et progresse à un rythme tel que Haja Bebe l’invite à rejoindre son groupe. C’est à cette époque qu’il acquiert son surnom de Bombino. En effet, comme il est le plus jeune du groupe, les autres membres le nomment rapidement Bombino, variation dubambino italien. Le surnom lui colle.
Le 24 avril 1995, le gouvernement du Niger signe un traité de paix avec les rebelles et les Touaregs sont en mesure de revenir au Niger. A la même époque, Bombino obtient un rôle de figurant dans le film français Imuhar: Une légende, filmé dans le désert à proximité. Après le tournage, il se lance comme musicien professionnel, jouant tout autant dans les rassemblements politiques que les mariages et autres cérémonies.
La musique est souvent source de discorde avec son père, qui ne veut rien savoir d’un fils musicien. Pour éviter les confrontations permanentes, Bombino décide de voyager. En 1996, il se rend à nouveau en Algérie, puis en Libye. C’est là qu’il se lie d’amitié avec des musiciens locaux et passe du temps à regarder des vidéos de Jimi Hendrix, de Mark Knopfler et de Dire Straits, en profitant pour parfaire son jeu. Il devient rapidement un guitariste accompli, fréquemment en demande pour des sessions en studio. Cela ne l’empêche pas de travailler comme berger dans un désert près de Tripoli, là où il passe de nombreuses heures en solitaire, avec comme seuls compagnons les animaux sous sa garde, et sa guitare.
Finalement, il décide de retourner au Niger, où il continue de jouer avec un certain nombre de groupes locaux. Comme sa notoriété va grandissante, une équipe de films documentaires espagnole l’aide à enregistrer son premier album, qui devient un succès local sur la radio d’Agadez. Le succès de l’album conforte Bombino dans son choix de faire une carrière dans la musique, et il commence à jouer régulièrement pour les touristes et les habitants du quartier.

Cap sur l’Amérique

En 2006, Bombino voyage en Californie avec le groupe Tidawt dans le cadre d’une tournée organisée par une organisation à but non lucratif. Pendant le voyage, il a la chance d’enregistrer une versionDesert Blues du classique des Rolling Stones Hey Negrita aux côtés de Keith Richards et Charlie Watts. Le titre apparaît sur l’album de 2008 produit par Tim Ries, le saxophoniste des Rolling Stones, intitulé World Stone: The Rolling Stones Project Volume 2. Plus tard la même année, de retour chez lui, il sert de guide à Angelina Jolie, venue visiter la région désertique du Niger pendant une semaine. Au cours de cette visite, il en profite pour lui jouer de la musique Touareg et lui faire découvrir un peu l’histoire de la vie nomade dans le Sahara.

2007, retour de la violence

En 2007, la seconde rébellion touareg commence, et les contre-mesures du gouvernement sont aveugles et brutales. De nombreux civils sont tués, les exploitations agricoles et le bétail sont détruits dans un effort visant à mater la rébellion. Cette politique de choc du gouvernement ne sert qu’à galvaniser la communauté touareg, et Bombino et ses amis rejoignent la rébellion. Les forces gouvernementales tuent deux de ses musiciens, avant qu’il ne s’exile au Burkina Faso avec plusieurs de ses collègues Touaregs.Bombino - Pochette Agadez
En 2009, Bombino rencontre le cinéaste Ron Wyman. Ce dernier avait entendu une cassette du guitariste alors qu’il se rendait à Agadez et, déterminé à rencontrer ce musicien hors du commun, Wyman avait passé une année à tenter de le retrouver, le retraçant finalement à Ouagadougou, au Burkina Faso. C’est à ce moment là que Wyman décide de faire figurer Bombino dans un documentaire qu’il tourne sur le peuple Touareg. Plus tard la même année, il emmène Bombino à Cambridge, Massachusetts pour commencer à enregistrer l’album Agadezdans son studio maison.

Enfin la paix…

Finalement, les Touaregs déposent leurs armes et sont autorisés à rentrer au Niger. En Janvier 2010, Wyman revient à Agadez pour terminer l’album et compléter son film. Le sultan d’Agadez leur permet d’organiser un concert pour la paix à côté de la Grande Mosquée. C’est la première fois qu’un tel événement est permis, et plus de mille personnes viennent fêter la fin du conflit et danser sur la musique de Bombino et son groupe.
Bien qu’il ne soit qu’au début de la trentaine, Bombino a déjà une vie bien remplie et il sait mieux que quiconque les problèmes auxquels son peuple fait face. Il s’est donné pour mission d’aider la communauté touarègue dans sa lutte pour l’égalité des droits et pour la paix, afin de maintenir son riche patrimoine culturel et de promouvoir l’éducation. Il est un défenseur de l’enseignement du tamasheq – la langue des Touaregs – aux enfants, tout comme l’enseignement de la langue locale, Haoussas, ainsi que le français et l’arabe, autant de langues qu’il parle toutes couramment. «Nous nous sommes battus pour nos droits», note Bombino, «Mais nous avons vu que les armes ne sont pas la solution. Nous devons changer notre système. Nos enfants doivent aller à l’école et apprendre plus de choses sur leur identité touarègue.»

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