«ATT préparait un génocide dans l’Azawad… »
Près d’un mois après le premier assaut du MNLA contre l’armée régulière malienne, le porte-parole du Mouvement national pour la libération de l’Azawad, l’écrivain Moussa Ag Assarid, nous a accordé cet entretien. Des propos aussi graves que la situation à laquelle ils renvoient, la guerre fratricide entre Maliens qui n’ont pas encore réussi à surmonter un différend conduisant à la lutte armée pour un projet sécessionniste. A moins que… Entretien.
Effectivement, je suis originaire du nord du Mali, pas très loin de Gao. En 1990-1991, j’étais élève lorsque la rébellion a éclaté. J’ai alors choisi le stylo pour soutenir les revendications au sein de l’Association des élèves et étudiants du Mali. Pour défendre la culture, l’identité du Nord, de l’Azawad. Ce qui m’a conduit progressivement à écrire trois livres dont un qui s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires. Il s’agit de Y a pas d’embouteillage dans le désert. En fait, j’ai fait le maximum pour le rapprochement des peuples, c’est-à-dire l’intégration des Touareg dans la société malienne. Par l’éducation, en portant le message qu’on doit s’accepter dans nos différences, dans notre complémentarité, avec le sentiment d’appartenance à une même nation. J’ai défendu l’intégrité territoriale malienne dans mon engagement pacifique.
Que s’est-il donc passé pour que vous rejoigniez soudainement un mouvement insurrectionnel armé?
Figurez-vous que j’ai effectué un travail minutieux d’enquête de proximité au Mali, auprès de différentes personnalités, en interviewant des membres de la communauté de l’Azawad, des officiels du régime, dont de très hauts responsables, des ministres et de simples gens. Je me suis rendu compte qu’on était finalement dans l’impasse. Pis encore, en observant la réalité et non pas l’espoir ou l’utopie, j’ai réalisé qu’un complot aberrant se tramait contre ma communauté. Un complot préparé par les plus hautes autorités maliennes et certains membres de la communauté de l’Azawad dont des Sonrai, des Peuls, des Arabes (Maures) et quelques Macheks. L’Etat malien avait décidé de diviser les communautés, les monter les unes contre les autres, et assimiler certains Touareg à El-Qaïda.
Cela ressemble à une simple suspicion… Y a-t-il des éléments concrets pour étayer cette thèse du complot des autorités maliennes ?
Bien entendu ! Fin décembre et début janvier, l’Etat achemine d’importants moyens humains et matériels dans la région de l’Azawad, en donnant la consigne de réprimer férocement tout récalcitrant à son autorité et à ce qu’il prépare. Dans le discours officiel, on prétend vouloir combattre AQMI et travailler au développement de la région pour justifier l’aide logistique demandée aux partenaires occidentaux. Mais on constate bien vite un revirement. Le gouvernement malien utilise cette logistique contre le MNLA qui existe structurellement par une intense activité politique pacifique, sans être encore désigné par ce sigle. C’est en octobre 2011 que le mouvement d’émancipation devient officiellement le Mouvement national de libération de l’Azawad.
En ce qui vous concerne, à quel moment adhérez-vous à cette dynamique armée?
Quelles que soient les motivations pacifiques ou autres, je ne pouvais rester passif face à un génocide programmé, un ethnocide qui s’annonçait. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que ce genre de violences menace l’Azawad. Je considère qu’il y a eu, de 1990 à 1996, un épisode du génocide sans que jamais il y ait de réparation ni de justice pour une réconciliation. L’actuel président malien, Amadou Toumani Touré, est pour moi le plus coupable. ATT était à l’époque le président de la transition il dirigeait l’armée malienne. Puis il est revenu par la suite au pouvoir il y a une dizaine d’années.
Votre engagement auprès du MNLA et le déclenchement des hostilités ne sont donc pas une coïncidence ? Avez-vous participé à la décision de prendre les armes ?
Non, cela relève de l’état-major. Moi j’appartiens au bureau politique. Il y a eu concertation mais pas sur la chose militaire. Je veux vous faire part de la chronologie des événements décisifs. J’ai fini mon enquête, dont je vous parlais plus haut, à Bamako et je suis arrivé en France le 29 décembre. J’ai accordé un entretien à Toumast Press, le site d’information touareg. C’est ce jour-là que j’ai rejoint le MNLA. Le 4 janvier 2012, je publie une déclaration expliquant les raisons qui ont motivé mon adhésion à la lutte armée. Vers le 10 janvier, nos hommes ont observé un déploiement massif de l’armée malienne dans l’Azawad. On peut, dès lors, se demander pourquoi ce n’est que maintenant que les troupes maliennes décident de s’occuper des 300 terroristes d’AQMI… Nos renseignements nous indiquent que des bombardements visent Zakak, une base du MNLA, alors que les autorités maliennes savent pertinemment où évoluent les groupes d’El-Qaïda. A partir de cette manœuvre de l’Etat malien, chacun d’entre nous est fixé sur les intentions d’ATT. Le 12 janvier, le site internet du MNLA diffuse un communiqué pour dénoncer la déclaration de guerre du Mali. Entre-temps je reçois des menaces de mort de la part des personnes proches des autorités maliennes. Le 17 janvier, l’assaut est donné par le MNLA à Menaka, une offensive conduite par Ba Ag Moussa.
Mais on pouvait encore espérer un dialogue…
Un émissaire d’ATT, l’ancien ministre Mohamed Ag Erlaf, a fait plusieurs allers et retours entre Bamako et Zakak, et le MNLA s’est exprimé sur les points qu’il voulait soumettre à l’ordre du jour d’éventuelles négociations. Mais le président malien nous a signifié une fin de non-recevoir. ATT nous a toujours traités de «bandits armés et terroristes», déjà en 1992-1993, des propos qui ont été suivis par le massacre de Touareg. En cette fin de janvier 2012, il récidive et concocte une communication chargeant le MNLA, ce qui a poussé des Maliens à s’en prendre aux Azawadiens. Pour l’anecdote, la maison d’une ancienne ministre a été brûlée.
Il y aurait eu des pogroms à Bamako, c’est sérieux ?
Oui, hélas ! Tellement sérieux que, pour rester dans le chapitre des preuves par le cas des officiels, l’unique ministre touareg du gouvernement actuel, celui qui détient le portefeuille de l’agriculture, a dû se réfugier à Ouagadougou en louant un Boeing pour lui et sa famille.
ATT a lancé un appel au calme à la télévision contre ces exactions, n’est-ce pas ?
Un message qui a trop tardé à venir. Les pogroms ont commencé le 1er février et le président a attendu le 4 février pour intervenir…
Vous reprochez aux autorités maliennes le non-respect des différents accords. Faites-vous aussi allusion aux accords d’Alger de 2006 ? Quels sont les points essentiels qui n’ont pas été appliqués, selon vous ?
Tous les accords signés 1990 jusqu’à aujourd’hui n’ont pas été respectés par l’Etat malien, tandis que du côté rebelle les engagements ont toujours été respectés. Le MNLA base son engagement sur ce non-respect des accords. De plus, l’administration dans le nord du Mali s’est militarisée à l’extrême. C’est-à-dire que tous les administrateurs sont des hommes en uniforme. Comme une administration coloniale ! Parmi les points essentiels qui n’ont pas été mis en œuvre, on peut citer l’absence de développement socio-économique promis pour l’Azawad. Il était question aussi de déployer des unités spéciales pour surveiller les frontières dans le Kidal, à Menaka, Gao contre AQMI, et protéger ainsi les populations. Rien de cela n’a été fait. Au contraire, depuis les années 2005-2006, la région a été abandonnée aux mains des terroristes. C’est inadmissible ! Les autochtones et les Occidentaux qui s’y rendent ont été offerts en pâture à AQMI par les autorités qui tirent des dividendes par une certaine complicité avec les preneurs d’otages… Un abandon de la région doublé d’un droit de poursuite à tout intervenant étranger. ATT l’a reconnu lui-même en disant, au sujet des terroristes infestant le nord du pays : «Ils y sont parce que nous n’y sommes pas.» Le MNLA considère donc que tous les accords sont devenus caducs. Aucun accord ni aucune négociation ne l’engagent, comme l’a déclaré notre secrétaire général.
A ce sujet, peut-on craindre légitimement une alliance d’infortune entre le MNLA et la nébuleuse terroriste, ou avec le banditisme qui sévit dans la région ?
Impensable. Nous condamnons le terrorisme. Nous refusons toute alliance avec tout mouvement terroriste ou avec les trafiquants. Notre idéologie, nos objectifs sont incomparables. On refuse cette confusion entretenue par le pouvoir de Bamako qui montre des photos truquées, des montages. A l’instar de ce qui a été fait ces jours derniers, lors de la visite du ministre français de la Coopération, pour le convaincre que nous commettons des exactions. Ce ministre a été manipulé au point qu’il a déclaré sur RFI qu’il avait appris que le MNLA se comportait comme El-Qaïda. Un grossier mensonge.
Vous réfutez donc le scénario d’Aguelhoc rapporté par Henri de Raincourt, le ministre français ?
Je réfute catégoriquement toute implication d’El-Qaïda dans le conflit armé entre le MNLA et l’armée malienne.
Vous êtes aussi en guerre contre AQMI ?
Nous sommes contre toute intrusion sur le territoire de l’Azawad. Pour l’instant, c’est l’armée malienne qui occupe l’Azawad.
Craignez-vous un soutien partial de la France en faveur des autorités maliennes ?
C’est envisageable parce que la France est comptable des malheurs du peuple azawadien qu’elle a rattaché au Mali en 1960.
Vous vivez en France en tant que porte-parole officiel d’un mouvement en guerre vous avez dû être contacté par les autorités françaises…
Non, pas pour l’instant. Aucune tractation ni rien d’officiel.
Comment percevez-vous les derniers efforts d’Alger pour un retour de la paix dans le nord du Mali ?
Nous pensons que l’Algérie a toujours été un pays de paix, qui a toujours activé pour faire revenir la paix dans l’Azawad. Mais l’Algérie n’a pas encore appelé à la table de négociation les véritables interlocuteurs pour cette crise. Ceux qui sont venus à Alger du 4 au 6 ne nous représentent pas…
Vous parlez de l’Alliance du 23 mai ?
L’Alliance du 23 mai n’existe plus, c’est anachronique… Elle s’est fondue dans le MNLA.
Si Alger, en tant que facilitateur, vous appelle à un dialogue pensez-vous que votre mouvement répondra favorablement ?
Je vous fais une révélation : le MNLA a déjà approché les autorités algériennes en Algérie entre le 10 et le 25 décembre dernier. Vous pouvez le vérifier auprès de vos autorités. Mais le problème est du côté de l’Etat malien. Est-ce que le Mali peut nous reconnaître ? Peut-il entendre parler de l’indépendance de l’Azawad ? Nous restons ouverts à toute facilitation de la part de tous pays pouvant exhorter au dialogue.
Il y a quand même un péril diplomatique à amener à la table du dialogue, en face de l’Etat malien, des sécessionnistes. Ce serait un peu cautionner l’atteinte à l’intégrité territoriale du Mali, non ?
Non, pas forcément. C’est pourquoi je préfère le terme juste et précis de facilitateur que celui de médiateur. Ce qui pourra se dire entre les deux parties n’engage que ces parties représentatives. Personnellement, en tant qu’intellectuel engagé, je souhaite une issue heureuse sous la houlette de pays comme l’Algérie. Le MNLA n’a aucun grief contre l’activité diplomatique d’Alger. Les dirigeants du MNLA n’ont jamais pensé à exclure l’Algérie du processus éventuel de négociations. Peut-être serait-il mieux de s’appuyer sur plusieurs pays…
N’avez-vous pas songé à vous adresser aux instances internationales telles l’UA ou l’ONU, avant l’option de la guerre?
Si, évidemment ! Mais vous savez qu’on n’entend malheureusement et en général que la voix des armes. Nous avons eu droit à un communiqué de Jean Ping, président de la commission de l’Union africaine, plaidant pour un retour à la table de négociations. De même pour Ban KI moon. Mais notre malaise est là. Aucune aide. Une situation humanitaire catastrophique. Nous ne sommes ni la Libye ni la Syrie… Un peu oubliés, malgré notre souffrance.
Sur le plan militaire, vous avancez que l’avantage serait en faveur du MNLA… Peut-avoir une idée sur le bilan au front ?
Je ne crois pas pouvoir m’exprimer sur le détail du nombre de combattants tombés. Mais ils sont assurément plus nombreux côté malien. Je veux exprimer mes sincères condoléances à toutes les familles, celles des rebelles et celles des soldats de l’armée malienne, pour toutes ces pertes tragiques. Je dois préciser que la stratégie du MNLA est d’épargner les populations civiles et même les militaires, quand c’est possible. Le standard opérationnel consistant à n’attaquer que les casernes et laisser fuir les militaires maliens sans les pourchasser s’ils abandonnent leurs armes.
D’où provient votre équipement militaire ? On parle des stocks libyens…
Parce que nous n’avons comme objectif que la libération du territoire, nous combattons sans esprit de vengeance ou de haine, si bien que beaucoup de déserteurs de l’armée rejoignent nos rangs tous les jours, en apportant armes et munitions, voire des véhicules. Avouons que nous avons bénéficié d’un bon approvisionnement en provenance de la Libye.
Ce sont des officiers de l’armée de Kadhafi, des binationaux, maliens et libyens, ayant refusé de combattre le CNT à Benghazi, qui sont revenus dans l’Azwad avec
un considérable lot d’armes lourdes. Parmi ces officiers, Mohamed Ag Najim qui a convoyé cet équipement militaire le 23 juillet 2011 du sud de la Libye vers notre région.
Dont des missiles sol-air ?
Effectivement, dont des missiles…
L’écrivain fait dans la propagande, pour la guerre psychologique ?
Ce que je vous dis, c’est la stricte réalité. J’étais sur le terrain je me suis rapproché de l’état-major ; j’ai cherché à savoir s’il y avait des contacts avec AQMI j’ai démonté par moi-même la propagande néfaste du gouvernement ; j’ai filmé de l’intérieur et mes images ont été diffusées sur la chaîne française le 9 février au JT de 20 h sur TF1.
L’ARVRA, l’Association des refugiés et victimes des répressions de l’Azawad, a diffusé un communiqué alarmant sur la situation des réfugiés fuyant les combats…
Oui, plus de 50 000 réfugiés externes et un exode interne dans le même ordre de grandeur. Il se trouve qu’en raison des foyers de tension se concentrant du côté des frontières algériennes, la ville de Tessalit, c’est vers votre pays que la plupart des réfugiés se rendent actuellement. On tient d’ailleurs à remercier tous les pays voisins, dont l’Algérie, pour l’accueil fraternel réservé à ces innocents. Nous lançons aussi un appel aux ONG humanitaires pour leur apporter assistance.
Encore une fois, n’y a-t-il pas une autre voie que la lutte fratricide ?
Nous avons cru à cet espoir ; nous avons investi tous les moyens possibles, mais nous avons été contraints par le gouvernement malien de recourir aux armes.
Il y a l’exemple du Niger qui a su intégrer pacifiquement ses Touareg. Nous, nous n’avons jamais été des citoyens maliens à part entière. Voilà pourquoi nous revendiquons l’indépendance de l’Azawad et la création d’un Etat, en cette situation de non-retour.
Cette revendication indépendantiste revient en dents de scie depuis 20 ans au moins ; peut-on espérer qu’elle exprime plus une détresse qu’un divorce avec le Mali ?
Les accords sans lendemain nous ont, cette fois, persuadés qu’il n’y aura pas de paix durable sans notre indépendance. C’est tout ce que peut vous dire aujourd’hui le porte-parole du MNLA.
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