vendredi 22 avril 2016


Regards croisés sur l'Afrique
            

Au Niger, les emplois éloignent les armes et les jihadistes

(mise à jour : )
A la suite de la crise malienne, la question de la bande saharo-sahélienne est revenue sur le devant de la scène africaine. Africa4 remonte le fil chronologique de l'histoire des populations nomades de la zone.
La question Touarègue au Niger #2
Questions à… Emmanuel Grégoire, directeur de recherche à l’Institut de recherche et développement (IRD) et spécialiste des Touaregs du Niger.
Comment se présente la question touarègue au Niger, de la période coloniale à l’indépendance ?
Lors de la révolte de Kaocen qui embrasa le massif de l’Aïr en 1916-1917, les Touaregs s’opposèrent farouchement à la conquête coloniale qui les dépouillait de leur contrôle sur les espaces sahariens et sahéliens. Une certaine complicité s’instaura ensuite entre eux et les militaires et administrateurs français si bien qu’ils adhérèrent au projet de la France de détacher, via l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), le Sahara des nouveaux Etats qui émergeaient pour conserver ses richesses et minières et y poursuivre ses essais nucléaires. Les Touaregs voyaient en l’OCRS une opportunité pour retrouver leur autonomie voire à plus long terme leur indépendance. En s’opposant au détachement du Sahara algérien du Nord du pays, le FLN (Front de libération nationale) mit fin à l’OCRS et à cette espérance touarègue qui se transforma en amertume, lors de l’indépendance du Niger et du Mali, qui vit l’arrivée au pouvoir des gens du Sud qu’ils avaient autrefois dominés.
Comment expliquer la rébellion des années 1990 ?
Selon ses responsables, elle avait des racines profondes qui se résumaient en quelques mots : «marginalisation politique, pauvreté absolue et persécution». La marginalisation s’expliquait, comme au Mali, par la faible représentation de Touaregs au sein de l’appareil d’État ; la pauvreté absolue renvoyait à l’insuffisance des programmes de développement et des infrastructures en pays touareg, lui qui avait été sévèrement touché par les sécheresses et les famines de 1973-1974 puis de 1984-1985 (pertes de bétail, épidémies, etc.) et avait alors été délaissé par l’Etat accusé d’incurie et ses agents de corruption et de détournement de l’aide ; la persécution faisait référence, d’une part, à l’attitude hostile du régime du général Seyni Kountché qui soupçonnait les Touaregs de vouloir déstabiliser le pays, d’où leur mise sous surveillance après la tentative de coup d’Etat fomentée, en 1976, par quelques-uns d’entre eux et, d’autre part, aux exactions commises par l’armée nigérienne lors des évènements de Tchin-Tabaraden (1985 puis 1990) qui firent des dizaines de victimes touarègues.
La rébellion exigeait un statut d’autonomie pour les zones «revendiquées». Il n’était donc pas question d’indépendance, mais d’un système qui devait permettre aux Touaregs de prendre en mains leur développement et de bénéficier des retombées de la manne financière née de l’exploitation de l’uranium, dont les mines se trouvent sur leur territoire (Arlit). Après une guérilla meurtrière menée par les fronts touaregs contre les Forces armées nigériennes (FAN), des accords de paix furent signés à Niamey (24 avril 1995) puis confirmés à Alger (1997) suite à une reprise des hostilités. La décentralisation qui donna lieu à de nouveaux découpages administratifs et conféra plus de pouvoirs aux régions figurait parmi les principales mesures de ces accords de paix.
Pourquoi une nouvelle rébellion en 2007 ?
Les difficultés de la mise en œuvre de la décentralisation se traduisirent, comme au Mali, par une nouvelle rébellion, qui éclata en 2007. Le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) revendiquait, entre autres, une meilleure application des accords de paix, l’instauration d’une véritable démocratie et des mesures économiques pour sortir le Nord du pays du marasme économique. Des combats l’opposèrent aux FAN jusqu’au début de l’année 2009, les affrontements diminuant alors en raison des revers militaires infligés au MNJ par l’armée nigérienne et sous l’effet des pourparlers entamés par la rébellion et le gouvernement nigérien sous l’égide de la Libye.
Comment se fait-il que la rébellion touarègue malienne ne se soit pas propagée au Niger comme cela s’est produit en 1991 et 2007 ?
Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, la communauté touarègue nigérienne semble avoir compris que la lutte armée ne menait à rien d’autant plus que le MNJ avait été militairement défait en 2009 par les FAN. Le président Issoufou (élu le 11 mars 2011), ensuite, fit de la question touarègue une priorité en s’efforçant de pacifier le nord du pays (organisation de forums de la paix), en y promouvant des opérations de développement et en intégrant les dirigeants des rébellions passées au sein de l’Etat, de son gouvernement (Brigi Rafini, originaire d’Iférouane, est Premier ministre) et des nouvelles entités administratives nées de la décentralisation : des Touaregs accédèrent à des postes de responsabilités locales et prirent ainsi en charge la gestion de leurs régions et leurs communes qui disposent désormais de leur propre budget - le nouveau code minier (2007) attribue 15 % des recettes minières aux régions concernées par l’exploitation de matières premières, ce qui profite aux zones touarègues où se trouvent les sites uranifères. Enfin, l’Etat nigérien est plus fort que l’Etat malien : cela explique en partie qu’AQMI qui a été un puissant facteur de déstabilisation au Mali ne se soit pas installé au Niger et que celui-ci ait été moins touché par les trafics de drogue et d’armes et par là la corruption, autres facteurs déstabilisant au Mali.
La question touarègue se pose-t-elle encore au Niger ?
Pour le moment non. L’Etat s’est efforcé de désarmer les Touaregs revenus de Libye après la chute du colonel Kadhafi sous la forme «d’une remise volontaire d’armes» puis de les aider à se réinsérer dans leurs régions d’origine sous la tutelle de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP). Cette structure soutenue par l’Etat et des bailleurs de fonds étrangers a entrepris une série d’opérations de développement auxquels ils ont été associés. La ruée vers l’or qui touche, depuis 2014, le plateau du Djado et le massif de Aïr jusqu’à la frontière algérienne a simultanément constitué une opportunité inespérée pour offrir du travail et des revenus aux autochtones et à ces «retournés» de Libye, ce qui les éloigne des armes et des jihadistes. Mais, pour combien de temps encore ?
Autre épisode de la série :
- Le retour des goumiers d’Afrique
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