jeudi 14 avril 2016

Niger : aurions-nous atteint le degré zéro de la politique ?

Abdoulahi ATTAYOUB
Il est difficile de comprendre la logique qui a prévalu dans la formation de ce gouvernement !
Après une longue période d’attente qui commençait à inquiéter par son caractère inhabituel, la composition du gouvernement a fini par être dévoilée. Comme toujours, il est aisé d’imaginer les difficultés qu’ont dû éprouver le président de la République et son Premier ministre pour réaliser une synthèse raisonnable afin de satisfaire les différentes composantes de leur mouvance et de préserver les équilibres qu’ils estiment nécessaires à la stabilité du pays.
A y regarder de plus près, la composition du gouvernement nouvellement constitué trahit une certaine fragilité qui constituerait une sérieuse menace pour la stabilité politique du pays si elle n’était pas rééquilibrée. Des incohérences apparaissent très ouvertement et risquent hélas de donner raison aux détracteurs de l’action du président de la République, car ce gouvernement porte en lui des germes de crispations multiples qui ne peuvent qu’alourdir le climat politique et assombrir l’avenir immédiat !
Le pouvoir exécutif mis en place est à l’évidence non adapté aux circonstances du moment ! Les considérations partisanes et prébendières semblent avoir notoirement pris le dessus au détriment du souci de la cohésion nationale et de la stabilité du pays. Devant un tel déploiement d’incompréhensions à l’égard des résultats du dernier scrutin, deux interrogations demeurent sans réponse évidente. Le Premier ministre, connu pour son intégrité, son sens de l’Etat et son profond intérêt pour le bien de tous, aurait-il encore les moyens d’assumer son rôle stabilisateur qui lui vaut aujourd’hui le respect de l’ensemble des Nigériens et de la Communauté internationale ?  Se serait-il laissé doubler par des forces obscures qui l’auraient obligé à organiser sans doute bien malgré lui le sabotage d’un second mandat pourtant déclaré à l’origine devoir renforcer la cohérence du pays et permettre à celui-ci de déployer toute sa puissance ? Birgi Rafini est-il de ce fait en mesure d’assumer cette responsabilité et de couvrir ainsi une orientation qui risque d’être dommageable à l’intérêt du pays ?
Le développement du Niger passe par sa stabilité politique, qui elle-même dépend de l’attention portée aux équilibres régionaux et ethnoculturels. Faire fi de cette réalité constitue en soi une grande hypocrisie, voire de l’irresponsabilité au regard des réalités qui sont celles du Niger et de l’Afrique tout entière.
L’enfumage idéologique qui discourt en permanence sur une nation plus virtuelle que réelle,  en outre copiée sur des exemples lointains, ne nous mènera nulle part et retardera la formation d’une classe dirigeante libérée de ces entraves, donc parfaitement capable d’inventer une pratique politique totalement affranchie d’un clientélisme endémique qui empoisonne les différentes consultations électorales.
Contrairement à une idée largement répandue ces dernières années, la communauté touarègue demeure encore très à la marge et évidemment très éloignée des centres de décision. Le Premier ministre appartient à cette communauté, mais il paraît bien seul dans ce monde où la plupart des vrais centres de décision semblent échapper à la sanction des urnes. L’ethnocentrisme ne se déclame pas spontanément, mais il se repère hélas ! à tous les niveaux des institutions de l’Etat. Les Touaregs, malgré leur poids démographique, demeurent encore à la traîne et peinent à exister en tant que tels ! La plupart de leurs leaders se sont laissé infantiliser à la fois par une conjonction d’intérêts entre une classe politique ethnoconcentrée et un lobby économique sans rapport positif avec le cœur même de notre nation plurielle ! Les Touaregs supportent ainsi de moins en moins d’être obligés de quémander des miettes, comme s’ils n’étaient pas considérés comme capables de capter légitimement eux-mêmes des marchés publics et d’intégrer réellement les centres de décision des partis politiques qui accèdent pourtant au pouvoir par les urnes…
Au Niger, les communautés nationales sont encore très attentives à la manière dont elles sont représentées au sein des institutions de l’Etat. Très attentives aussi parce que tout passe par le politique dans un pays encore bien fragile au niveau de la marche des administrations chargées de gérer la vie quotidienne de tous. De plus, aucun opérateur économique ne peut développer significativement son entreprise en dehors des appuis politiques. La même logique se vérifie dans l’octroi des bourses de l’enseignement supérieur et dans la répartition des projets de développement, souvent financés par la coopération internationale.
La cohésion nationale et la stabilité politique passent par une pratique volontariste et courageuse qui respecte le socle structurant de la nation sur lequel reposent l’Etat et ses institutions. La dernière proposition du président de République de former un gouvernement d’union nationale aurait pu être comprise dans ce sens. Cette préoccupation est à l’évidence passée à la trappe, à tel point que le discernement nécessaire à la cohésion de la mouvance présidentielle risque d’en être affecté.
La conjoncture internationale, particulièrement aux frontières du Niger et dans le Sahel de manière générale, devrait nous pousser à faire l’économie de querelles internes et à nous prémunir contre les réseaux mafieux qui pourraient conduire le pays dans l’abîme, comme cela a été le cas il n’y a pas si longtemps et pas loin de chez nous.
Le président Issoufou a l’opportunité de laisser une empreinte personnelle dans l’Histoire du Niger. Le présent gouvernement semble nous indiquer qu’il n’a pas ou ne veut pas se donner les moyens de le faire ! En effet, le président Issoufou s’est construit depuis cinq ans une stature qui va au-delà de son parti et de son fief électoral. Pour tenir ce niveau d’exigence, il a dû se libérer de certaines contraintes partisanes qui l’auraient maintenu dans une posture de chef de clan. Dans ce genre de situation, il est coutumier de blâmer les « entourages », mais le chef reste toujours le principal responsable, à la fois devant son peuple et devant l’Histoire. De plus, sa conscience, son sens de l’Etat et son courage politique seront toujours, tout compte fait, ses alliés les plus fidèles !
Abdoulahi ATTAYOUB
aabdoulahi@hotmail.com
Lyon (France) , le 13/04/2016

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