dimanche 7 décembre 2014

Libye - Fethi Benkhalifa : "Les Amazighs n'ont pas à choisir leur camp dans la guerre civile"

24/11/2014 � 17:14 Par Youssef Aït Akdim et Joan Tilouine


Fethi Benkhalifa, ex-président du Congrès mondial amazigh. © Capture d'écan YouTube.

Fethi Benkhalifa, ex-président du Congrès mondial amazigh, s'est rendu à Paris. À cette occasion, il a accepté de répondre aux questions de "Jeune Afrique" et de donner son point de vue sur la situation en Libye.

Après trois années passées à la tête du Congrès mondial amazigh, cet originaire de Zwara (ouest de la Libye) a passé la main à une présidence collégiale. À 50 ans, il défend une vision claire pour son pays, loin de la polarisation actuelle entre, d’un côté, la coalition “Fajr Libya”, alliée au gouvernement islamiste de Tripoli et, de l’autre, l’"Opération Dignité" menée par le général Khalifa Haftar et soutenue par la Chambre des représentants de Tobrouk. De passage à Paris avec une délégation de responsables amazighes du djebel Nefoussa, il s’est entretenu avec des responsables du ministère des Affaires étrangères puis avec des experts réunis par l’Institut Prospective et sécurité en Europe. Entretien.

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Jeune Afrique : quelle lecture faites-vous de la situation qui prévaut en Libye depuis 2011 ?

Fethi Benkhalifa : Dès 2011, nous avions alerté sur la fragilité du processus de construction de l’État post-Kadhafi et mis en garde contre les risques de guerre civile. Des erreurs ont été commises et la situation actuelle en est la conséquence. La déclaration constitutionnelle [proclamée par le CNT en août 2011, NDLR] a été rédigée par des amateurs. Ce texte de trois pages, adopté sans débat ni référendum, n’aborde à aucun moment les questions cruciales d’une armée nationale, des forces de sécurité et de la justice transitionnelle. Enfin, cette déclaration constitutionnelle n’a pas tenu compte de la diversité culturelle et linguistique de la Libye, s’enfermant dans un référentiel arabo-islamique exclusif.


La déclaration constitutionnelle a été rédigée par des amateurs.

Pourtant, l’année 2012 fut marquée par la tenue des premières élections libres de Libye. Pourquoi les Amazighs les ont-ils boycottées ?

Tout le processus était voué à l’échec. En tant qu’Amazighs, nous l’avons dit mais nous n’avons pas été écouté. Au lieu d’aborder le problème par le haut, en organisant des élections législatives, il fallait renforcer la culture démocratique à la base. La bataille pour le pouvoir était précipitée. Il fallait surseoir à la compétition politique le temps de nous entendre sur la Constitution et sur les règles du jeu. La première erreur de l’Alliance des forces nouvelles [autour de l’ex-Premier ministre Mahmoud Jibril, NDLR] et du parti de la justice et de la construction [proche des Frères musulmans, NDLR], a été de se comporter en acteurs politiciens, oubliant l’étape de la transition. Il était prévisible, compte tenu des enjeux financiers et de l’abondance d’armes, que l’affrontement se militarise.

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Vous avez récemment boycotté l’élection du comité chargé d’écrire la nouvelle Constitution. Ne craignez-vous la marginalisation ?

Au contraire, les récents développements ont conforté notre refus d’entrer dans une lutte des légitimités, dans laquelle nous n’avons pas à prendre de parti. De ce fait, nous rejetons l’échec institutionnel qui s’est mué en conflit militaire. Notre boycott n’est pas un acte de nihilisme, au contraire il est la seule attitude nationale et responsable dans une guerre civile attisée par les puissances étrangères qui utilisent des intermédiaires libyens.

Vous renvoyez les deux parties dos-à-dos…

Nous sommes neutres, car nous n’avons pas, en tant qu’Amazighs, à choisir un camp. Haftar veut combattre le terrorisme, que nous condamnons aussi. Mais nous ne partageons pas l’idéologie panarabe qu’il défend. Surtout, nous dénonçons la méthode militaire choisie, qui cause des dégâts humains et matériels très lourds. En face, la coalition Fajr Libya, soutenue entre autres par Ankara, prétend défendre la révolution. Nous aussi avons versé notre sang pour mettre fin à la dictature, mais nous rejetons la finalité des forces islamistes, c’est-à-dire l’établissement d’un califat. En tant que musulmans ibadites, nous sommes opposés à la pensée salafiste. Les belligérants ne se soucient pas des intérêts des Libyens. Pour eux, la Libye est un butin.


Nous aussi avons versé notre sang pour mettre fin à la dictature, mais nous rejetons la finalité des forces islamistes.

Que proposez-vous comme solutions ?

Nous pensons que la communauté internationale peut jouer un rôle dans l’arrêt des hostilités. Toutefois, la solution finale que nous appuyons ne pourra être que libyenne. Nos principes politiques sont clairs et n’ont pas changé : égalité, reconnaissance de la diversité, citoyenneté. Soyons clairs, nous ne sommes pas pour une suprématie amazighe – comme tentent de le faire croire certains esprits malintentionnés. Mais nous pouvons parvenir à la paix par le dialogue. Or pour le moment, c’est la force qui prime.

Qu’en est-il de la capacité militaire des Amazighs ?

Nous n’avons pas utilisé la force qui est, pour nous un moyen, et non pas une fin en soi. Le conflit actuel n’apporte aucun bénéfice aux Libyens. Nous sommes les fils de cette terre et revendiquons haut et fort notre sentiment national. C’est pour cette raison que nous n’utilisons pas la force pour trancher des questions politiques. Mais si nous y sommes forcés, nous sommes très bien préparés. Nous maintenons des capacités militaires puissantes, tant à l’Ouest qu’au Sud.

Justement, quelle est la nature de vos relations avec les militants de l’Azawad au nord du Mali ?

Les occidentaux ne veulent pas comprendre que nous sommes un seul et même peuple. Ce n’est pas un slogan mais une réalité. Nos liens familiaux, tribaux, culturels, sont très étroits avec nos frères de l’Azawad. Nos relations sont aussi militaires, car nous soutenons la lutte qui y est menée : des armes et des combattants amazighs se trouvent dans l’Azawad, et beaucoup de militants qui en viennent se rendent régulièrement dans le sud libyen. Plus qu’à Bamako ou Ouagadougou, la profondeur stratégique du problème des Touaregs se trouve en Libye. C’est là qu’ont été préparées les brigades formées du temps de Kadhafi.

Pourquoi, en trois ans, les Amazighs libyens n’ont-ils pas constitué de parti ou de force politique structurée ?

En Libye, il y a actuellement 27 partis politiques. Mais quels projets et programmes sérieux ont-ils? Aucun. Notre projet n’est pas de créer un parti amazigh ou ethnique mais un parti national, ouvert à tous ceux qui partagent les valeurs de citoyenneté, de diversité et de démocratie. Nous devons sortir de cette alternative mortifère entre l’idéal panarabe et l’utopie islamiste. Notre projet de parti politique est prêt, mais nous attendons le bon moment. Et la situation nous est favorable car les deux camps se brûlent les ailes.



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