dimanche 7 décembre 2014

22.000 haut-parleurs dans la tête

Kamel Daoud-Le Quotidien d’Oran
Vendredi. Rien de neuf. Un imam va parler de Koreich, de la Razzia de Badr ou de l’accord d’El Houdaïbia. Un autre du binaire universel hallal/harem. Un autre de la femme, cette obsession. Un dernier va réciter la préface d’un livre vieux de quelques siècles pour justifier son salaire. Il faut écouter les prêches du vendredi : parfois affreux, difformes, idiots et haineux. La corporation est mal formée, déformante. Pour être imam, il ne faut pas être brillant : juste connaître son coran par cœur. Le niveau y est bas, moyenâgeux, triste par la bêtise, souvent. Et c’est à cette corporation de 22.000 personnes que l’on offre le plus grand réseau du pays, celui des mosquées (17.000), des foules entières, un meeting par semaine et des haut-parleurs. Ils sont combien d’ailleurs ? 22.000 ou même plus. Pourquoi ils ne font pas l’objet d’un débat national alors que le pays entier est mis à leur disposition un jour par semaine ? Périple à travers les harangues d’hier. Prendre sa voiture et marauder sous les haut-parleurs pour écouter ce qui se dit : parfois, c’est tout simplement surréaliste, tragique. Parfois, c’est soporifique, destiné à raffiner l’assoupissement.D’autres fois, c’est à voix lasse du fonctionnaire, perché au-dessus d’une foule passivement coupable, en troupeau sur le chemin de l’invisible. Côté est d’Oran : au beau milieu d’une petite cour d’immeubles LSP, un minaret au-dessus d’un prieuré. Il est érigé, droit vers le ciel, à quelques mètres (vraiment) seulement des fenêtres des habitants d’appartements. Mais comment font-ils pour y vivre et y dormir avec le haut-parleur dans le tympan ? Personne n’osera se révolter : le pays est soumis.
Les imams sont d’ailleurs parmi les rares produits d’exportation vers la France et l’Europe. Quelques dizaines par an. De quoi provoquer corruption, crises, manœuvres et ruses dans la corporation. Tous le savent. Autant que la rente du Ramadhan et ce nœud de pouvoirs locaux érigés entre l’imam, les associations de quartier, le commissaire, le maire et les notables dans les villages. Passons.
L’essentiel est qu’il y a eu quand même du neuf hier vendredi : le ministre algérien des Affaires religieuses (toutes les religions) a fait un prêche à la Mosquée de Paris. Une belle première peut-être. Le chroniqueur a pu accrocher les 5 dernières minutes du discours. Intelligent. Lucide et engageant. Le bonhomme dénote, le chroniqueur l’a toujours pensé. On ne peut pas se débarrasser du ciel ? Autant composer avec le plus dégagé, le moins sombre, le plus profond. L’essentiel est que cet homme est parmi les rares à nager à contre-courant. Saluons, de l’autre bord du trottoir. Sinon, le reste est vrai : les vendredis algériens sont horribles. Et les imams, ces milliers d’imams, sont une catastrophe : il faut en écouter les prêches pour comprendre que c’est aussi sinistre et polluant que les sachets bleus, les emballages, les conservateurs dans les sodas et les consultations politiques d’Ouyahia.
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5206952

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