lundi 8 décembre 2014

Ibrahim ag Alhabib, « Abraybone », un des fondateurs de Tinariwen

Association Tamoudré 
La voix grave d’Ibrahim, c’est la complainte du vent quand les chèvres rentrent le soir autour de la tente.Visage buriné, tranquille.
Retrouvailles entre vieux amis de Tessalit, en région lyonnaise.
abrayabonDepuis les années 2000, Tinariwen est le groupe emblématique du blues touareg, créé par Ibrahim, Alhassan et Intayaden dans le feu de la rébellion, symbole de l’identité d’un peuple qui vit et qui résiste dans un milieu âpre et contraignant du nord-Mali.
Le groupe a chanté son exil et sa nostalgie des Etats-Unis au Japon, de la Norvège à l’Espagne, et draine des foules enthousiasmées par sa magie.
Ibrahim, tes amis ont attendu plus d’un an avant de te revoir dans une tournée aux Etats-Unis et en Europe ?
Je suis restée dans le silence de mon désert. Ces dernières années comme ça, je n’avais jamais connu.
Ces islamistes, ça venait d’où, tout ça? Pour faire quoi ? Pour déranger quoi ? On ne comprenait pas, on ne pouvait rien expliquer.
On a vécu dans une sorte de machine qu’on ne maîtrisait  pas, et qu’on ne pouvait même pas réparer.
Des hommes qu’on ne connaissait pas sont venus dans nos campements, qui venaient de nulle part et qui ont imposé des violences qu’on ne pouvait même pas imaginer.
Les islamistes ont complètement changé notre manière de vivre, on ne pouvait plus bouger, plus rencontrer nos familles qui nomadisaient plus loin, plus faire des fêtes, des baptêmes, des mariages, pour se voir.On ne pouvait même plus faire de feux, et quand on se retrouvait, il fallait mettre des gardes en moto au sommet de chaque colline en cas d’alerte.
Je ne pouvais pas partir dans ces conditions, la sécurité de ma famille et de mes amis a été ma priorité.
Comment ca va, maintenant, là-bas ?
On ne comprend toujours pas ce qui se passe. Rien ne bouge dans la brousse et dans les villages, on est là, on attend.
Pas de travail, chacun se débrouille. Pas d’école depuis 3 ans, les enfants et les jeunes sont livrés à eux-mêmes, et jouent à la guerre. Beaucoup  ne savent pas où ils en sont et de toute façon ils n’ont pas de réponses.
En brousse les nomades ne comptent que sur eux-mêmes, les pluies ont été bonnes et les animaux ne sont pas fatigués, les familles vivent avec ça comme elles ont toujours vécu. Mais elles bougent de moins en moins, les pistes sont dangereuses, il y a des mines, des attentats…
Les Tinariwen, toujours sur les routes dans le monde entier… ?
Les Tinariwen représentent une histoire forte, un symbole.
J’ai beaucoup écouté, regardé, depuis cette dernière tournée, et parlé avec les autres.Nous avons évolué, joué avec d’autres musiciens d’autres pays, des jeunes ont rejoint le groupe.
Aujourd’hui nous nous posons ensembles des questions pour améliorer notre musique et intégrer des valeurs plus traditionnelles. Pour rendre notre identité plus forte.
Mi-décembre, à Paris, Lala Badi va chanter avec le groupe. C’est une chanteuse de plus de 75 ans, qui a toujours chanté dans les tindés de l’Ahaggar, et que nous respectons infiniment.
Cette démarche est très importante pour nous, c’est une façon de montrer une autre façon de jouer notre musique, avec des voix de femmes autour du tende, avec asegdal (des chœurs d’hommes),  iswat (musique poétique chantant amour et nostalgie), des flûtes…
Mais pour les tournées c’est compliqué à mettre en place, les musiciens, le matériel, et les visas qu’on attend !
J’espère que ca va continuer dans ce sens, en tout cas c’est ce que j’ai envie de faire vraiment…
abrayabon-jardin2
Le jardin d’Ibrahim, Tessalit
Ibrahim va retourner  dans son désert bientôt. Il va retrouver sa famille, ses amis, son troupeaux de chèvres et de moutons.
Ses semelles de vent l’emmèneront  à nouveau entre ses jardins et ses campements de  Tessalit, à Afara et Tamanrasset, et Timeaouine.
Voyage du silence, au milieu du grondement éperdu des hommes qui ont perdu les étoiles du ciel.
Ca va aller, Inch Allah…
 Jacqueline Dupuis, 1° décembre 2014

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