1910..........Moussa ag Amastane, amenoukal (chef) - des Kel Ahaggar, ou Touaregs Hoggar, est arrivé hier soir à Paris. C'est la première fois qu'il contemple un autre décor que celui du sable, des rochers, que des arbres et des troupeaux. Il n'avait jamais franchi la frontière du Sahel; notre monde compliqué et bruyant le remplit d'étonnement. Les automobiles surtout l'ont surpris, plus que les trains, plus que les paquebots même; cette petite voiture allant si vite effare le Berbère, pasteur et pillard qui parcourut plaines et montagnes sur un méhari docile et prompt. Dans le wagon-restaurant, où il dina pendant le trajet de Marseille à Paris, l'emploi de la fourchette lui causa quelque peine et le colonel Laperrine, qui l'accompagne comme un père indulgent son naïf enfant, connut mille angoisses au cours de ce repas malaisé.
MERVEILLEUX ALBUM !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!Philippe Brazier
MERVEILLEUX ALBUM !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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Moussa ag Amastane, amenoukal (chef) - des Kel Ahaggar, ou Touaregs Hoggar, est arrivé hier soir à Paris. C'est la première fois qu'il contemple un autre décor que celui du sable, des rochers, que des arbres et des troupeaux. Il n'avait jamais franchi la frontière du Sahel; notre monde compliqué et bruyant le remplit d'étonnement. Les automobiles surtout l'ont surpris, plus que les trains, plus que les paquebots même; cette petite voiture allant si vite effare le Berbère, pasteur et pillard qui parcourut plaines et montagnes sur un méhari docile et prompt. Dans le wagon-restaurant, où il dina pendant le trajet de Marseille à Paris, l'emploi de la fourchette lui causa quelque peine et le colonel Laperrine, qui l'accompagne comme un père indulgent son naïf enfant, connut mille angoisses au cours de ce repas malaisé.
Moussa ag Arnastane est descendu au Cercle militaire avec ses deux cousins, Souri ag Chek Kal, qui a trente-neuf ans, et Ouennni ag Mennir, qui en a vingt-six et qui porte avec fierté le titre de brigadier au corps français des méharistes du Tidikelt. Moussa ag Arnastane, tout voilé, tout armé, tout chargé d'amulettes, nous a reçu ce matin dans un salon du Cercle militaire. C'est un beau guerrier, brun de peau, large, haut et droit. Le regard est joyeux et franc, sous la guimpe de tulle noire qui ombrage son front, comme à certaines de nos religieuses. Il tend une main forte pour le salut à la française et serre énergiquement nos pauvres doigts de civilisés. La bouche et le menton sont enfouis sous le voile sombre. La tête est enturbannée d'une étoffe noire, très légère, qui forme tout le vêtement, lequel n'est point la gandourah arabe, mais une sorte de chasuble longue et flottante recouvrant un second vêtement blanc dont deux pans sont noués sur la poitrine. Les pieds nus so,t posés sur de larges sandales qui leur donnent l'aspect de pattes palmées.
Moussa ne parle pas l'arabe mais le tamahak idiome des Touaregs. Son cousin, le brigadier de méharistes, qui sait l'arabe, lui sert d'interprète. Moussa est le chef de tribus montagnardes — nos officiers ont pu relever des altitudes de 2,500 à 3,000 mètres — qui avant d'avoir fait leur soumission à la France (1903) vivaient de rapine autant que de labour et d'élevage. C'est l'une d'elles qui massacra le capitaine Flatters, et le Touareg Ahitarel, qui se flattait d'avoir tué de sa main l'officier français, avait à leurs yeux le mérite et la valeur d'un héros. Peu de temps après l'assassinat de Flatters, le chef des Touaregs mourut, et la fonction étant élective, on se prépara à nommer un nouveau chef. Deux programmes électoraux étaient en présence. L'un comportait l'entente avec les Français, l'autre la guerre a mort à nos troupes. Moussa ag Arnastane était candidat et représentait le programme de l'entente avec la France. Il fut battu, et son concurrent, Atticci ag Amittat, élu chef des Touaregs , commença aussitôt les hostilités contre nous.
Nous nous défendîmes, et le lieutenant Cottenest leur infligeait, le 7 mai 1902, une défaite où ils perdirent une centaine de cavaliers. Alors nos bons Touaregs se prirent à réfléchir, et la majorité d'entre eux se montrèrent partisans de la soumission et le firent savoir aux chefs français. Mais ceux-ci refusèrent de traiter avec Atticci ag Amittat, instigateur de la révolte. Or Moussa, depuis son échec électoral, vivait à l'écart. Le commandant de nos troupes lui écrivit, lui offrant d'être l'intermédiaire entre les partisans de la soumission et la France. Moussa accepta d'enthousiasme. Il fomenta la révolution chez les Touaregs, fit très adroitement un petit 18 Brumaire et Atticci ag Amittat se vit renié par ceux-la mêmes qui l'avaient voulu pour chef. Depuis Moussa et ses compatriotes sont nos loyaux alliés.
Ils sont, ces Touaregs, un peu différents des Arabes : à la fois plus naïfs et plus gais. ils observent le culte d'Allah, mais sans ferveur. ils aiment la vie et ne s'imposent aucune règle trop austère, ils sont monogames et traitent leur, femme et leurs enfants plus humainement que beaucoup des hommes du peuple de nos grandes villes, nous disait un officier français qui vécut parmi eux. Leurs mœurs se rapprochent des nôtres quant à la fidélité conjugale, et ils deviennent pieux en vieillissant — ce qui fait dire à un Français de leurs amis qu'à un certain point de vue ils sont civilisés.
Moussa restera parmi nous pendant plusieurs semaines. Le colonel Laperrine, commandant le territoire du Touat, qui nous l'amena, veut l'instruire, lui faire visiter des usines et des fermes. Peut-être aussi irons-nous au cirque, nous dit le colonel; mais Moussa a une prédilection pour; les spectacles sérieux. Le colonel Laperrine est un homme simple, qui en narrant des épisodes de la vie au désert, ne parle jamais de lui, en citant volontiers le nom de ses camarades. Il s'est montré officier de haute, valeur; mais il impose surtout la sympathie et les respect par la modestie de son attitude. C'est un vrai Français, et Moussa, naïf, doux, rieur et puissant, complète vraiment, auprès de lui, le symbole de la France colonisatrice protégeant l'indigène étonné et reconnaissant.
Le Temps – 9 août 1910
Moussa ag Amastane, amenoukal (chef) - des Kel Ahaggar, ou Touaregs Hoggar, est arrivé hier soir à Paris. C'est la première fois qu'il contemple un autre décor que celui du sable, des rochers, que des arbres et des troupeaux. Il n'avait jamais franchi la frontière du Sahel; notre monde compliqué et bruyant le remplit d'étonnement. Les automobiles surtout l'ont surpris, plus que les trains, plus que les paquebots même; cette petite voiture allant si vite effare le Berbère, pasteur et pillard qui parcourut plaines et montagnes sur un méhari docile et prompt. Dans le wagon-restaurant, où il dina pendant le trajet de Marseille à Paris, l'emploi de la fourchette lui causa quelque peine et le colonel Laperrine, qui l'accompagne comme un père indulgent son naïf enfant, connut mille angoisses au cours de ce repas malaisé.
Moussa ag Arnastane est descendu au Cercle militaire avec ses deux cousins, Souri ag Chek Kal, qui a trente-neuf ans, et Ouennni ag Mennir, qui en a vingt-six et qui porte avec fierté le titre de brigadier au corps français des méharistes du Tidikelt. Moussa ag Arnastane, tout voilé, tout armé, tout chargé d'amulettes, nous a reçu ce matin dans un salon du Cercle militaire. C'est un beau guerrier, brun de peau, large, haut et droit. Le regard est joyeux et franc, sous la guimpe de tulle noire qui ombrage son front, comme à certaines de nos religieuses. Il tend une main forte pour le salut à la française et serre énergiquement nos pauvres doigts de civilisés. La bouche et le menton sont enfouis sous le voile sombre. La tête est enturbannée d'une étoffe noire, très légère, qui forme tout le vêtement, lequel n'est point la gandourah arabe, mais une sorte de chasuble longue et flottante recouvrant un second vêtement blanc dont deux pans sont noués sur la poitrine. Les pieds nus so,t posés sur de larges sandales qui leur donnent l'aspect de pattes palmées.
Moussa ne parle pas l'arabe mais le tamahak idiome des Touaregs. Son cousin, le brigadier de méharistes, qui sait l'arabe, lui sert d'interprète. Moussa est le chef de tribus montagnardes — nos officiers ont pu relever des altitudes de 2,500 à 3,000 mètres — qui avant d'avoir fait leur soumission à la France (1903) vivaient de rapine autant que de labour et d'élevage. C'est l'une d'elles qui massacra le capitaine Flatters, et le Touareg Ahitarel, qui se flattait d'avoir tué de sa main l'officier français, avait à leurs yeux le mérite et la valeur d'un héros. Peu de temps après l'assassinat de Flatters, le chef des Touaregs mourut, et la fonction étant élective, on se prépara à nommer un nouveau chef. Deux programmes électoraux étaient en présence. L'un comportait l'entente avec les Français, l'autre la guerre a mort à nos troupes. Moussa ag Arnastane était candidat et représentait le programme de l'entente avec la France. Il fut battu, et son concurrent, Atticci ag Amittat, élu chef des Touaregs , commença aussitôt les hostilités contre nous.
Nous nous défendîmes, et le lieutenant Cottenest leur infligeait, le 7 mai 1902, une défaite où ils perdirent une centaine de cavaliers. Alors nos bons Touaregs se prirent à réfléchir, et la majorité d'entre eux se montrèrent partisans de la soumission et le firent savoir aux chefs français. Mais ceux-ci refusèrent de traiter avec Atticci ag Amittat, instigateur de la révolte. Or Moussa, depuis son échec électoral, vivait à l'écart. Le commandant de nos troupes lui écrivit, lui offrant d'être l'intermédiaire entre les partisans de la soumission et la France. Moussa accepta d'enthousiasme. Il fomenta la révolution chez les Touaregs, fit très adroitement un petit 18 Brumaire et Atticci ag Amittat se vit renié par ceux-la mêmes qui l'avaient voulu pour chef. Depuis Moussa et ses compatriotes sont nos loyaux alliés.
Ils sont, ces Touaregs, un peu différents des Arabes : à la fois plus naïfs et plus gais. ils observent le culte d'Allah, mais sans ferveur. ils aiment la vie et ne s'imposent aucune règle trop austère, ils sont monogames et traitent leur, femme et leurs enfants plus humainement que beaucoup des hommes du peuple de nos grandes villes, nous disait un officier français qui vécut parmi eux. Leurs mœurs se rapprochent des nôtres quant à la fidélité conjugale, et ils deviennent pieux en vieillissant — ce qui fait dire à un Français de leurs amis qu'à un certain point de vue ils sont civilisés.
Moussa restera parmi nous pendant plusieurs semaines. Le colonel Laperrine, commandant le territoire du Touat, qui nous l'amena, veut l'instruire, lui faire visiter des usines et des fermes. Peut-être aussi irons-nous au cirque, nous dit le colonel; mais Moussa a une prédilection pour; les spectacles sérieux. Le colonel Laperrine est un homme simple, qui en narrant des épisodes de la vie au désert, ne parle jamais de lui, en citant volontiers le nom de ses camarades. Il s'est montré officier de haute, valeur; mais il impose surtout la sympathie et les respect par la modestie de son attitude. C'est un vrai Français, et Moussa, naïf, doux, rieur et puissant, complète vraiment, auprès de lui, le symbole de la France colonisatrice protégeant l'indigène étonné et reconnaissant.
Le Temps – 9 août 1910
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