lundi 28 novembre 2011

Mali : des otages et des barbouzes
Les derniers enlèvements sont liés à l'émergence d'un nouveau groupe terroriste. Et à la présence d'un étrange négociateur pour libérer les otages retenus à Arlit.

Paru dans leJDD

C'est dans ce village de Hombori, dans le nord du Mali, qu'ont été enlevés les deux ex-mercenaires français. (Reuters)

Le Nord Mali fait à nouveau parler de lui par deux actes terroristes quasi simultanés : l’enlèvement de deux ex-mercenaires français dans un petit hôtel de Hombori, entre Gao et Tombouctou, dans la nuit de mercredi, et celui de trois autres Occidentaux, à Tombouctou, vendredi, où un quatrième touriste a été tué.

D’après l’un des meilleurs spécialistes de la région, s’exprimant sous couvert d’anonymat à Niamey, ces événements sont à relier à la création d’un nouveau mouvement terroriste dirigé par un maître négociateur du président malien Amadou Toumani Touré, Iyad Ag Ghali. Cet ancien chef rebelle touareg est devenu un djihadiste ardent après une parenthèse comme diplomate en Arabie saoudite. Iyad Ag Ghali, qu’on décrit comme idéologiquement très proche d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique), a profité du retour de Libye de combattants touareg pour former son propre groupe armé. Désigné par les autorités maliennes pour négocier avec Aqmi dans plusieurs affaires d’otages, il a joué notamment un rôle dans la libération récente des trois otages d’Arlit, au Nord Niger.

Un Français, l’ex-colonel Jean- Marc Gadoullet, 49 ans, blessé par balle ce même mercredi à un check-point de l’armée au nord du Mali, aurait, selon ce spécialiste, supervisé le versement de la rançon pour la libération des trois otages : la Française Françoise Larribe, mariée à un cadre d’Areva, et deux agents togolais et malgache de la Satom au Niger. Le nouveau chef de guerre et Gadoullet, ex-dur du service action de la DGSE, devenu responsable de la sécurité de Satom au Mali, ont ainsi été « associés » dans les négociations franco-maliennes avec Aqmi. Celles-ci se sont soldées, certes, par la libération des otages, mais aussi par le versement d’une rançon que les connaisseurs du dossier disent considérable.

Un VRP de la sécurité privée
Alors que quatre otages français d’Arlit sont toujours détenus par l’émir d’Aqmi Abou Zeid, l’excolonel Gadoullet était de plus en plus critiqué pour son rôle ambigu. L’ancien militaire, qui a servi sur plusieurs continents dans des opérations clandestines, avait en effet développé une activité de sécurité privée très ambitieuse dans le Sahel depuis la fin 2010. En avril dernier, il avait notamment défendu à Niamey, sous les couleurs d’Areva, un projet à rayonnement régional modestement baptisé Phénix. Les autorités nigériennes y ont fait échec, mais Gadoullet n’a pas renoncé pour autant. À Bamako, il a repris sa casquette de VRP de la sécurité privée, très actif auprès des groupes d’Aqmi.

Selon plusieurs sources françaises et nigériennes, Gadoullet a alors été mandaté par la France pour être l’interlocuteur d’Abou Zeid, et introduit auprès de l’émir par Iyad Ag Ghali à la demande du président malien. Il est établi qu’en fin d’année 2010, Abou Zeid était prêt à libérer sans contrepartie financière les trois otages, de peu de valeur marchande pour lui, s’agissant de deux Africains et d’une femme. Mais la négociation a échoué alors qu’elle était sur le point d’aboutir, sabotée par le réseau de contacts de Gadoullet. Finalement, la libération des trois otages en février suivant a coûté plus de 10 millions d’euros, de sources concordantes, à Areva et Satom. Les quatre otages restants sont d’ailleurs "mis à prix" à la somme jamais vue de 90 millions d’euros.

De la Birmanie au Tchad
Pour le compte du service Action, pendant presque vingt ans, Jean-Marc Gadoullet a bourlingué, en Birmanie, dans les Balkans, en République démocratique du Congo et au Tchad, comme "soutien aux mouvements insurrectionnels ou à des structures de sécurité d’États alliés". "Un type solide, qu’on envoie dans des situations extrêmes", selon un ancien collègue. Mais l’aventure sous l’uniforme s’achève au Tchad, justement, où Gadoullet se grille comme agent secret en février 2008, à N’Djamena, au coeur du palais d’Idriss Déby assailli par la rébellion. La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale se demande même s’il n’a pas trempé personnellement dans la disparition, au même moment, de l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Mercredi, à un check-point de l’armée malienne, Gadoullet a refusé de s’arrêter. Il a été blessé par balle et rapatrié en France. Les deux mercenaires, qui ont été employés dans les années 1990 et 2000 dans des pays où le colonel a lui-même servi, le connaissaient-ils? Et ont-ils été enlevés pour cela? Ces événements sont, en tout cas, le signal d’une confusion grandissante dans la région et un très mauvais coup pour les autorités maliennes et françaises.

Nathalie Prévost, correspondance à Niamey (Niger) - Le Journal du Dimanche
dimanche 27 novembre 2011
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