Journaliste et historien, Max Hastings collabore régulièrement au quotidien britannique "Financial Times".
Les derniers renseignements qui nous parviennent de Libye indiquent que les insurgés se recrutent essentiellement parmi les tribus côtières de la Cyrénaïque, tandis que les tribus de l’intérieur du pays resteraient plus ou moins fidèles au colonel Kaddafi. Des rebelles peu aguerris doivent faire face aux troupes mieux armées et mieux organisées qui soutiennent le régime. Les bombardements alliés permettent de retarder la défaite des premiers, peut-être même d’empêcher un massacre. Mais l’Otan ne peut procéder à des frappes aériennes vraiment ciblées, surtout dans les zones urbaines, sans disposer au sol d’hommes capables de guider les avions. Envoyer ces spécialistes sur le terrain, avec les forces nécessaires à leur protection, signifierait que l’Otan s’engage plus avant dans le conflit. Cette option est à l’étude, tout comme l’est le déploiement d’une force « humanitaire » capable de mettre en place une « zone de sécurité » dans la cité côtière assiégée de Misrata. À supposer – même si la volonté politique existe – que l’Otan parvienne à trouver des hommes pour prendre pied sur le littoral libyen, il pourrait se révéler très difficile, ensuite, de les exfiltrer.
Sur le plan économique, le colonel Kaddafi est soumis à un blocus. Sur le plan militaire, ses troupes doivent ressentir durement les effets du pilonnage aérien auquel elles sont exposées. Pourtant, l’état-major de l’Otan estime que, à moins que le régime ne s’effondre de lui-même, il faudra des mois de bombardements pour le renverser.
On voit mal par ailleurs comment le changement de régime pourrait être mené à bien, puis accompagné, sans l’engagement de troupes terrestres chargées, au minimum, de garantir la stabilité. Ce qui exigerait une implication bien plus importante, avec, en arrière-plan, le risque d’un enlisement à long terme, même si la population libyenne est bien moins nombreuse que celle d’Irak ou d’Afghanistan. Cela créerait aussi une profonde division au sein de l’Otan (dont plusieurs États membres refusent déjà de participer aux bombardements) et conduirait le Royaume-Uni, la France et les États-Unis à se poser en arbitres de l’avenir de la Libye, alors même que les dossiers irakien et afghan ne sont pas refermés.
La conséquence de ces multiples incertitudes, c’est qu’aujourd’hui les alliés fournissent juste assez d’aide aux rebelles pour empêcher leur défaite, mais pas assez pour arrêter une effusion de sang ou pour atteindre les objectifs fixés au début de leur intervention. « Je suis découragé », me confiait récemment un officier de l’Otan, qui estimait qu’un accord politique devait être recherché pour sortir de la crise, dans la mesure où une victoire militaire indiscutable lui semblait hors de portée sans l’engagement de troupes au sol.
Le premier principe à respecter lorsqu’on décide de recourir à la force – principe que bafouent les Britanniques, les Français et les Américains – est de s’assurer que cet usage de la force est efficace. Or, un engagement limité aux seules frappes aériennes n’est que rarement, sinon jamais, suffisant.
Je continue à croire que l’Occident aura tôt ou tard raison du régime de Kaddafi. Mais Dieu seul sait ce qui arrivera ensuite, et notamment qui s’interposera entre les différentes factions libyennes qui se disputeront le pouvoir. Les tentatives occidentales de construire un État en Irak ou en Afghanistan sont loin d’avoir été couronnées de succès, et il est à craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets en Libye.
Au point où nous en sommes, la moins mauvaise des options est sans doute de mener en parallèle deux stratégies : continuer les bombardements pour empêcher l’armée loyaliste de massacrer les rebelles et proposer à Tripoli l’ouverture de négociations en échange du respect d’un cessez-le-feu. La Libye serait probablement un pays plus agréable pour tout le monde sans le colonel Kaddafi. Aux Occidentaux de rester prudents quant aux moyens qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour parvenir à ce résultat.
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Financial Times et Jeune Afrique 2011. Tous droits réservés
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