Grégoire Allix-Le Monde-16-12-08
Paul Virilio : "Le sédentaire est désormais partout chez lui"
mercredi 17 décembre 2008, par temoust
Urbanisation galopante du monde et phénomène massif de migrations entrent en collision : cela va bouleverser la planète et "la géopolitique du repeuplement". C’est la conviction de Paul Virilio, urbaniste et philosophe de la catastrophe, selon qui "le plus grand désastre du monde contemporain, c’est la ville".
"L’urbanisation a pris un tour monstrueux. Après l’exode rural, l’exode urbain voit se vider les villes moyennes, qui sont des métropoles d’équilibre, qualitatives, au profit des grandes métropoles. Atteindre 20 ou 30 millions d’habitants n’est pas une réussite de la ville. L’obésité n’est pas un signe de bonne santé", dit-il au Monde.
Mais pour l’essayiste, avec un milliard de migrants annoncés d’ici un demi-siècle, le pire est à venir. "Alors que la victoire du sédentaire sur le nomade est fondatrice de la plupart des cultures, nous assistons aujourd’hui à une inversion. Désormais, le sédentaire est celui qui, très mobile, est partout chez lui - grâce au téléphone mobile, à l’ordinateur portable. Le nomade est celui qui n’est nulle part chez lui, bien souvent bloqué dans un de ces camps de réfugiés qui forment un nouvel "exurbanisme", en remplacement du "suburbanisme" des périphéries de l’ère industrielle."
Cet âge de la mobilité et de l’instantanéité crée une ville-monde mouvante, une "omnipolis", estime le philosophe, qui travaille depuis longtemps sur la vitesse, la fin de la géographie qui entraîne une "crise de la réduction du monde". "La disparition de la sédentarité va bouleverser les villes. Les lieux qui vont devenir importants sont les pôles de transfert de charge, d’interconnexion. Les gares, les aéroports, les ports vont changer de statut, devenir les véritables centres de ce que j’appelle l’outre-ville, réseau urbain mondial ultraconnecté, fondé sur le temps réel et le mouvement, et non plus sur l’enracinement."
Plus inquiétant, les exclus de l’outre-ville risquent d’alimenter "une mégapole de camps de réfugiés. Pas seulement en Afrique : on voit même des campements qui accueillent les victimes des subprimes à côté de Washington ! Le danger, c’est que ces camps se transforment durablement en villes". Ils étaient déjà 6,2 millions en 2007 à vivre dans des camps permanents, selon le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU. "Le déplacement massif de populations a en soi quelque chose d’exterminatoire, dénonce Paul Virilio. Aujourd’hui, la déportation, c’est aussi bien les délocalisations d’entreprise que les réfugiés climatiques."
Grégoire Allix
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