Egypte
Monde arabo-musulman : «La muraille de la peur s’est effondrée»
Par Patrick Vallélian - Mis en ligne le 09.02.2011 à 11:57
Après la Tunisie et l’Egypte, l’Algérie sera-t-elle le prochain pays à vivre sa révolution? «La rue en a assez de la dictature», répond le journaliste Fayçal Métaoui.
A qui le tour? Après la Tunisie, qui a chassé Ben Ali, et l’Egypte, voilà que le volcan algérien menace d’exploser. Samedi 12 février, une marche organisée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie entre la place du 1er Mai et celle des Martyrs va réclamer la démocratie au pays du président Bouteflika.
«La muraille de la peur s’est effondrée», constate Fayçal Métaoui, journaliste au quotidien El Watan.
Est-ce que les Algériens vont suivre l’exemple des Tunisiens et des Egyptiens?
A l’heure où je vous parle (mardi 8 février, ndlr), la marche de samedi pour la démocratie est interdite par les autorités. Et il est évident que les forces de l’ordre seront très présentes dans les rues d’Alger.
Mais les organisateurs ne vont pas reculer. Les Algériens en ont assez du régime Bouteflika. Surtout que le pays a déjà été secoué du 6 au 9 janvier 2011 par des émeutes contre la cherté de la vie.
Des émeutes qui ont fait cinq morts et plus de 800 blessés. Samedi sera un jour crucial. La muraille de la peur s’est effondrée dans le monde arabo-musulman.
Que réclament les Algériens?
Une Algérie démocratique, de l’emploi ou encore la levée de l’état d’urgence qui nous est promise depuis des années. Mais Bouteflika n’a jamais tenu parole, lui qui a cassé toute contestation au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, lui qui a écrasé l’opposition, laminé la classe moyenne et, surtout, dépolitisé toute une société.
Aujourd’hui, ce président qui vantait il y a peu les mérites du modèle démocratique tunisien a peur. Il a créé un vide entretenu par la violence et, comme chacun le sait, la nature a horreur du vide. Bouteflika est tombé dans son propre piège. Il sait que ce 12 février, il joue gros.
Et que ce n’est que le début. Désormais, le pouvoir doit répondre au besoin d’ouverture du peuple. Bouteflika doit annoncer son départ à la fin de son mandat en 2014.
Bref, il faut tourner la page de ces régimes arabes dictatoriaux.
Et s’il ne se passe rien samedi?
J’en doute. Le contexte international est idéal pour que le peuple se révolte. Depuis la chute de Ben Ali, le train est en marche et nul ne pourra l’arrêter. Si la manifestation du 12 février est réprimée, il y en aura d’autres.
L’Algérie a besoin d’un nouveau souffle. Le pays en a assez du mépris de ses dirigeants, de la vie chère. Les jeunes d’ici, qui pèsent plus de 70% de la population, veulent en finir avec cette gérontocratie, avec ces vieux dirigeants qui passent leur temps à voler leur peuple.
Vu d’Europe, on a l’impression que les dirigeants du Maghreb au Machrek paniquent devant la pression de la rue...
C’est le cas. Beaucoup ne savent pas comment s’adapter à la nouvelle situation. Faut-il plus de fermeté? Faut-il se réformer?
Au Yémen, le président a demandé presque pardon pour sa gestion catastrophique du pays. Il a annoncé des mesures économiques.
Au Koweït, l’émir offre de la nourriture gratuitement aux plus démunis pour une somme de quatre milliards de dollars. En Syrie, le président subventionne les denrées alimentaires. Comme en Mauritanie, en Libye et en Algérie.
Mais la première victoire est que les régimes qui se voulaient héréditaires, comme en Egypte, ont été balayés. Le temps des républiques arabes qui se transforment en monarchies héréditaires est révolu.
Et quel rôle pour l’Occident?
C’est un modèle pour nous. Mais il se tait en se cachant derrière son droit de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays. Ce qui est complètement hypocrite puisque l’Europe et les USA interviennent dans nos affaires.
Et c’est désolant que les dirigeants occidentaux préfèrent passer leurs vacances dans des dictatures que de faire pression sur les dictateurs. Le monde dit libre fait preuve d’une immense incohérence.
Que faire?
Geler les avoirs des dictateurs dans vos banques par exemple, notamment helvétiques. Ces fortunes ont été volées à leur peuple comme on peut le constater avec celle des Moubarak (estimée entre 40 et 70 milliards de dollars, ndlr). Ce seraient des pressions efficaces pour que ces dictateurs entendent les revendications de leur peuple.
Et justement, quelles sont les relations économiques entre la Suisse et le régime Bouteflika?
Importantes. Notre président a passé beaucoup de temps dans votre pays et nous savons qu’il y a investi plusieurs dizaines de millions de francs dans l’immobilier notamment. Il a caché son argent dans vos banques également. A Alger, on l’appelle l’ami des banquiers genevois.
La Suisse ne doit pas attendre son départ pour bouger. La lutte contre la corruption doit être un combat universel. Et je pense aussi que les Européens, si enclins à redouter une invasion de migrants venant de l’Afrique, tiennent là une occasion en or pour lutter contre cette immigration illégale. Les jeunes candidats à la traversée de la Méditerranée ne tenteraient pas leur chance s’ils avaient un avenir en Algérie.
Et la crainte de l’islamisme?
Franchement, vous ne pensez pas que nous pourrions accepter une dictature islamiste après celle du fric. C’est mal nous connaître. Arrêtez, en Occident, de véhiculer ces clichés sur la menace terroriste islamiste qui a fait le lit de nos dictatures après les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Nous voulons la démocratie.
FAYÇAL MÉTAOUI
Ce diplômé en marketing est entré à El Watan, en 1990. Il en a été le rédacteur en chef de 2004 à 2007. Il a été animateur et coanimateur de plusieurs talkshows politiques à la Radio algérienne.
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