jeudi 11 mars 2010

Analyse du Chapitre 8 (p. 237 à 264)D'E TASSIN :Un Monde Commun

Analyse du Chapitre 8 (p. 237 à 264)D'E TASSIN
Par MOKHTAR OMAR Fopes


L’auteur commence ce début en faisant référence à un double risque et à une double perspective exposée au début du chapitre 6 (p. 179-180). Le double risque, dans le contexte d’un monde globalisé, consiste en la disparition du politique au profit de l’économique et en l’installation d’un rapport durable de relations du type dominants/dominés. La double perspective interroge tout d’abord la question de la forme que peut ou que doit prendre une mondialisation politique. Les conflits entre états en seront-ils pour autant supprimés ? Elle interroge ensuite la nature des civilités qui pourraient ou devraient réguler les effets néfastes du marché.



Introduction
Dans ce chapitre, l’auteur s’attache à détailler le second risque c’est-à-dire la domination de l’économique sur le politique et l’instauration d’un rapport global de domination sur des dominés.

La globalisation accentue les inégalités qu’il s’agisse de l’axe Nord/Sud ou du tissu social des pays industrialisés. Le fossé entre les riches et les pauvres au sein de ces pays s’accentue sous le coup de plusieurs facteurs : la baisse de l’emploi, l’augmentation du chômage, la baisse des ressources minimales, les turpitudes du système de protection social.

A ces problèmes économiques s’ajoutent des difficultés sociales ou sociétales comme le repli communautaire, le « tribalisme » [terme de l’auteur], l’augmentation des phénomènes mafieux, de la corruption… Bref, une perte globale et généralisée de civilité.

L’objet de ce chapitre est alors de s’interroger sur la notion de civilité dans son rapport avec la loi, avec la règle et avec la vie politique dans un monde globalisé. La civilité est-elle suffisante pour assurer le bon fonctionnement de la vie politique et l’harmonie entre les hommes ?

Pour répondre à cette question l’auteur développe trois points :

- en quoi la civilité peut-elle être intégrative ? (notion d’inclusion)

- quels rapports la communauté entretient-elle avec la société dans un monde globalisé ?

- l’Union européenne recèle-t-elle des vertus intégratives ou ségrégatives ?



I. La civilité, une notion intégratrice ?



Tout l’enjeu de cette première partie du développement est de discuter de la valeur inclusive ou exclusive de la civilité dans la perspective d’une tentative de compréhension des logiques de la globalisation. Pour discuter de cette question, l’auteur prend appui sur le texte de N. Elias (La civilisation des mœurs, 1973). La civilisation s’est, d’après lui, figée sous l’action de la bourgeoisie de la Renaissance. Passant des mœurs à la loi, ce processus avait pour but de désigner les individus comme sujets des cercles du pouvoir. Les sociétés d’alors postulaient que les communautés ne pouvaient exister durablement sans harmonie ni sans ordre. La civilité, dans le sens d’intégration de la norme sociale, devait en elle-même neutraliser la violence. Tout non-respect de la règle devenait une incivilité. Le politique est, dans cette perspective, vu comme un bloc monolithique. L’Europe moderne, politique et sociale repose, d’après N. Elias, sur cette vision de la civilité.

Pour E. Tassin, faire de l’harmonie un idéal social va à l’encontre même du concept de civilité. Les mouvements revendicatifs (politiques, associatifs, syndicaux…) qui se sont développés dans l’Europe moderne et qui font usage de la violence, ont recours à l’incivilité au sens de N. Elias, mais n’en sont pas pour autant inciviles. Les tensions qui traversent la société, même si elle sépare ses membres l’organisent, voire la structurent. Aucune société ne peut prétendre à l’homogénéité sociale. L’incivilité est un lien communautaire qui ne peut-être rangé dans la catégorie de l’impensé politique.

L’auteur va plus loin en citant H. Arendt (Condition de l’homme moderne, 1982) et en défendant l’idée que l’incivilité est tout autant intégratrice que la civilité en ce qu’elle permet à l’acteur de s’exprimer, à des acteurs de s’unir et ce, dans un agir commun. L’incivilité devient alors l’expérience, par la déviance, de la construction d’un monde commun.



II. Rapport entre communauté et société dans un monde globalisé



Après avoir défini les enjeux de la civilité, l’auteur se demande si cette civilité résiste, comme lien communautaire dans un monde globalisé. La révolution industrielle marque un tournant. Les impératifs économiques dictés par le marché global opèrent une cassure entre l’individu et le sentiment d’appartenance communautaire sous-tendu par une civilité commune. Les replis sont d’autant plus forts que le clivage est net. Il en résulte le développement de communautés fermées reposant sur des logiques identitaire, économique, sociale ou religieuse. Pour reprendre les termes d’Hegel (Principes de la philosophie du Droit, 1982), l’individualité est ici « abstraite et arbitraire ».

C’est sur cet auteur qu’E. Tassin s’appuie pour poursuivre son raisonnement. Cette situation d’individualité abstraite et arbitraire n’est pour Hegel qu’un « moment », une étape du développement des sociétés modernes. Elle peut en quelque sorte être transcendée par les guerres qui ravivent le sentiment national, fédèrent les individus et tempèrent les individualités.

Cette lecture hégélienne de la civilité s’oppose cependant à une réalité mise en lumière par E. P. Thompson qui montre comment la situation de ségrégation voire d’exclusion sociale (abstraite et arbitraire) que vivaient les classes ouvrières en Angleterre au moment de sa révolution industrielle marqua le développement d’une véritable culture de classe qui se réappropria les Droits de l’Homme et des notions telles que la mutualité, la solidarité, notamment. L’exclusion peut donc créer une communauté dotée d’une véritable culture et d’une civilité propre.

Il découle de ce raisonnement que le couple civilité et culture n’est pas, terme à terme, le reflet du couple communauté et société. L’existence d’une communauté ne dépend pas uniquement de la notion de civilité et la culture n’est pas obligatoirement la moelle épinière d’une société.



III. Intégration ou ségrégation : le cas de l’Union européenne

Pour illustrer son propos sur le caractère individualisant de la globalisation, destructeur de civilités, l’auteur se penche sur le cas de l’Union européenne. La construction artificielle de grands ensembles économiques engendre-t-elle ségrégation ou intégration ? Selon E. Tassin, la civilité européenne existe. De nombreux états de l’UE partagent des formes de civilités transcendées cependant par la construction des Etats-nations. Les individus doivent s’arracher à leur conscience nationale et adhérer à un processus de désidentification de leur civilité antérieur pour intégrer une identification universelle civile. La perte des identités primaires, c’est-à-dire nationales, est d’une extrême violence pour les individus. Or, les individus, et pour cause, peinent à s’identifier à une abstraction. Cette impossibilité a pour conséquence le repli communautaire à des échelons plus modestes. On assiste ainsi, dans les sociétés post-modernes déstructurées par la globalisation économique, à l’apparition des bandes, de tribus, de sectes, de confréries, de mafias et au développement d’associations, de syndicats…

Le gouvernement de l’’UE qui est censé donner une alternative au déclin (volontairement programmé ?) des Etats-nations apparaît comme a-personnel et déterritorialisé. Il ne permet aucune identification individuelle. La suppression des frontières physique et temporelle, donne au gouvernement une forme supplémentaire d’abstraction.

Faute d’identité politique proprement dite et parce qu’elle n’intègre pas l’idée de pluralité (Comment peut-on être européen ?), elle ne permet plus aux acteurs une identification. Or, cette communauté cosmopolitique devrait justement rassembler.

La globalisation économique est prise dans un paradoxe. D’une part, elle inclut, car tous les membres de l’UE sont des consommateurs potentiels censés être unis par la nature universalisante de cet ensemble. Elle exclut, d’autre part, en refusant aux travailleurs d’avoir tous les mêmes droits. Ainsi, les immigrés intra-communautaires n’ont pas les mêmes droits que les travailleurs autochtones. En cela, l’UE dresse des frontières, crée une situation d’apartheid sur des critères nationaux ou territoriaux. Réapparaissent alors des notions fascisantes telles que celle de « sur » et de « sous-hommes ». Les frontières au sein de l’UE n’ont donc pas disparu, elles se sont au contraire multipliées et ont pris une forme immatérielle et symbolique.

Notons enfin que les extra-communautaires n’échappent pas au principe de nationalité qu’ils soient immigrés ou clandestins. Il en va de même pour les sans-papier ou les clandestins.



ConclusionL’auteur conclut ce chapitre en évoquant la « désolation » de l’exclusion, empruntant ce terme à Hannah Arendt. L’Europe se présente comme une machine à produire de la désolation humaine. Le regard sur l’étranger, sur l’Autre, n’est pas compatible avec la citoyenneté européenne, bien qu’il le soit au regard de la civilité.

L’UE, car elle repose sur des critères économiques et non politiques, ne peut voir émerger une forme de civilisation qui agirait comme un rempart contre la mondialisation. L’économique ne laisse pas à la civilité européenne la possibilité de jouer un rôle d’intégration. Par ailleurs, l’existence d’une civilité ne conditionne pas obligatoirement l’émergence d’une communauté. La création artificielle d’une communauté telle que l’UE loin d’intégrer, au contraire exclut et sépare du fait de l’absence d’une communauté spontanée et de supports d’une identification pour les individus.

L’économique, pilier de la construction de l’UE ne peut donc créer de la civilité. L’individu ne peut s’identifier à un marché, à une abstraction économique. Sans une construction politique, qui transcende les nations et les sentiments d’appartenance nationale, permettant une identification par les individus, l’UE n’a pas de possibilité d’existence propre.

Aucun commentaire: