Ainsi donc, ce serait par la faute de l'indélicatesse de son « frère » qu'Idriss Déby Itno aurait décidé de le lâcher, permettant à la Seleka de rentrer dans Bangui comme dans du beurre, avec les conséquences que l'on connaît. En se posant ainsi une nouvelle fois comme l'un des arbitres du jeu centrafricain, le président tchadien a donné la preuve que rien ou presque ne pouvait se produire en Afrique centrale sans qu'il n'en endosse une part de responsabilité. En Afrique centrale… mais aussi, désormais, bien au-delà, puisque le Tchad a pris depuis quelques mois la tête de la Misma. Ses troupes (2 000 hommes) traquant, non sans détermination ni efficacité, les combattants d'Aqmi et du Mujao au nord du Mali, aux côtés de l'armée française.
Gendarme de la sous-région
Une intervention qui montre là encore la supériorité et les capacités de l'armée tchadienne, qui n'ont fait que se renforcer ces dernières années. « Après 2008 et l'époque où l'on a cru que son régime allait basculer, il s'est totalement rétabli et renforcé, politiquement, mais aussi économiquement, explique Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group. Sur le plan militaire, les Tchadiens ont fait la preuve qu'ils étaient capable de contrôler la frontière soudanaise et de surveiller ce qu'il se passait sur la frontière libyenne au Nord. Depuis, ils multiplient les interventions extérieures. »
Pourtant, le président tchadien avait été un temps mis à l'écart par le candidat Hollande devenu président, qui, souhaitant marquer une rupture avec certains symboles de la Françafrique, avait refusé un temps de le recevoir à Paris. Idriss Déby en avait pris ombrage, refusant même de se rendre au sommet de la francophonie de Kinshasa. « Mais avec l'affaire malienne, il a fait une offre que la France ne pouvait pas refuser, poursuit Thierry Vircoulon. La Realpolitik a repris le dessus, et les relations franco-tchadiennes sont de nouveau au beau fixe. »
Devenu par la force des choses le gendarme de la sous-région, le président tchadien aurait cependant d'autres ambitions. En effet, si la nature a horreur du vide, la géopolitique également. Et Idriss Déby Itno, qui entretenait des rapports ambigüs avec le leader libyen, se verrait bien assumer cette place, demeurée inoccupée depuis la mort de ce dernier. « Idriss Deby n'a eu de cesse d'alerter quant aux conséquences d'un départ précipité de Kadhafi, précise ainsi Matthieu Pellerin, chercheur associé à l'Institut français de relations internationales (IFRI) et gérant du Centre d'intelligence stratégique sur le continent africain (Cisca). Ses relations avec le Guide étaient loin d'être marquées par la confiance, mais il lui reconnaissait un rôle de régulation dans les équilibres sahéliens. Très inquiet au lendemain de la chute de Kadhafi, il a manifestement cherché à remplir ce rôle et il semble effectivement y parvenir. »
Etats sahélo-sahariens
Preuve de cette ambition - pour l'instant affichée modestement -, le président tchadien a convoqué le 16 février dernier une réunion de chefs d'Etats à Ndjamena, ressuscitant du coup la communauté des Etats sahélo-sahariens, ou Cen-Sad. Une structure créée de toute pièce il y a quinze ans par un certain… Mouammar Kadhafi. « Il se verrait probablement bien en remplaçant de Kadhafi, confirme Thierry Vircoulon. Puisqu'il y a un vide régional, il y a une place à prendre. »
Selon Francis Perrin, directeur de la publication de Pétrole et gaz arabes, « par rapport à la situation d'avant le début de la production pétrolière à l'automne 2003, il y a effectivement eu une importante augmentation des ressources du gouvernement, et Idriss Déby peut bien sûr penser en utiliser une partie pour des projets qui ne sont pas seulement internes, mais aussi externe. Pour jouer un rôle. » Mais, reprend-t-il immédiatement, « il faut bien garder à l'esprit que si le Tchad a du pétrole, ça n'est pas pour autant une puissance pétrolière, comme l'était la Libye (…) Si le Tchad disparaissait de la carte, ça n'influerait pas sur les cours du pétrole ».
Ainsi, alors que la Libye, avant la guerre civile, produisait jusqu'à 1,6 million de barils par jour (bpj), le Tchad, lui, dépassait péniblement les 126 000 bpj en 2010. Pas de quoi se comporter en Chavez du continent, surtout si l'on compare à certains mastodontes comme le Nigeria (2,5 millions bpj) ou même les voisins soudanais (500 000 bpj avant la partition). Même si il en avait l'ambition, Idriss Déby n'a pas les moyens financiers de s'imposer au niveau du continent, comme l'avait fait le Guide libyen, qui n'avait pas hésité à se faire appeler « Roi des rois » après son accession à la tête de l'Union africaine en 2009. Les revenus générés par le pétrole ne lui permettent pas en effet d'occuper ce rôle pour le moment.
« Pax tchadiana » ?
Un détail « intéressant en soi », interpelle néanmoins le spécialiste des hydrocarbures : les deux opérateurs principaux à la tête des consortiums, qui exploitent les gisements des principaux bassins d'exploitation (Doba et de Bangor), ne sont autre que Exxon Mobile et la société d'Etat chinoise China national petroleum corporation (CNPC), à savoir deux des principales compagnies mondiales de pétrole. Or, précise Francis Perrin, « des compagnies comme celle-là ne viennent pas dans un pays si il n'y a rien d'intéressant. Même si aujourd'hui, en terme de production, ce n'est pas grand-chose, cela veut quand même dire, que ces investisseurs (…) pensent que le Tchad mérite quand même le détour. »
Des perspectives positives à long terme, qui pourraient faire du Tchad un géant pétrolier du continent ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais elles pourraient expliquer la sur-implication du Tchad dans les crises à ses frontières, afin peut-être d'imposer une « Pax tchadiana ». « Le Tchad est un pays enclavé, confirme Francis Perrin, et la question du transport du pétrole est bien sûr une question clef ». Pour le moment, l'oléoduc Tchad-Cameroun, qui relie le bassin de Doba au port de Kribi au Cameroun suffit à l'acheminement du pétrole tchadien. « Il serait étonnant qu'Idriss Déby ne pense pas du tout à cette problématique à l'avenir. Je ne dis pas que c'est son unique motivation, mais il peut effectivement y avoir une place dans cette stratégie régionale, pour des enjeux pétroliers, sinon actuels, du moins futurs. » A titre d'exemple, la convention d'exploration signée en 2004 par Exxon et ses deux associés (Chevron et Petronas), porte notamment sur la région du Salamat, frontalière avec la République centrafricaine, et en proie régulièrement à des conflits ethniques et frontaliers. Si ces prospections s'avèrent positives, il faudra trouver un moyen d'acheminer ce pétrole en toute sécurité. Ce qui est loin d'être le cas actuellement. Des perspectives s'avèrent également prometteuses dans le bassin du lac Tchad – le voisin nigérian espère même exploiter de son côté cette manne dès 2014 – mais là encore, la présence de Boko Haram dans la région pourrait compliquer la donne et nécessiter une présence militaire forte.
Menace intérieure ?
Le Tchad est donc perçu par ses alliés occidentaux comme un pôle de stabilité sur lequel il est plus que jamais nécessaire de s'appuyer, dans une zone rendue insécuritaire. Moins fantasque et plus prévisible que le leader libyen, le président tchadien a beaucoup moins de capacités de nuisances. Là où le Guide libyen jouait avec talent la carte diplomatique de la pression migratoire avec l'Europe, Idriss Déby ne bénéficie en effet pas d'un tel outil. Mais s'il a accepté d'endosser les habits de gendarme régional, qui coïncident peut-être avec des ambitions de développement à venir, la reprise de conflits intérieurs pourrait contrecarrer ses plans. Selon Matthieu Pellerin, « de nombreux Etats voient d'un mauvais oeil l'activisme du Tchad à commencer, me semble-t-il, par le Qatar. Faut-il s'étonner dès lors, s'interroge le gérant de Cisca, des récentes menaces de reprise d'une rébellion par Erdimi (chef de l'Union des forces de la résistance, exilé au Qatar, et qui a annoncé récemment vouloir reprendre les armes contre Ndjamena, Ndlr) ? Comment le régime soudanais, allié du Qatar et récemment réconcilié avec le pouvoir tchadien, va-t-il se positionner par rapport à tout cela ? » Sceptique, Thierry Vircoulon, n'estime pas la menace Erdimi très sérieuse pour le moment. « Les rébellions ne peuvent être relancées que si elles ont un appui. Mais actuellement, à part l'armée tchadienne, il n'y a pas grand chose qui tienne debout au Tchad ». Même si, ajoute-t-il de façon sibylline, dans ce pays, « le danger vient toujours de la famille ».
Gendarme de la sous-région
Une intervention qui montre là encore la supériorité et les capacités de l'armée tchadienne, qui n'ont fait que se renforcer ces dernières années. « Après 2008 et l'époque où l'on a cru que son régime allait basculer, il s'est totalement rétabli et renforcé, politiquement, mais aussi économiquement, explique Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group. Sur le plan militaire, les Tchadiens ont fait la preuve qu'ils étaient capable de contrôler la frontière soudanaise et de surveiller ce qu'il se passait sur la frontière libyenne au Nord. Depuis, ils multiplient les interventions extérieures. »
Pourtant, le président tchadien avait été un temps mis à l'écart par le candidat Hollande devenu président, qui, souhaitant marquer une rupture avec certains symboles de la Françafrique, avait refusé un temps de le recevoir à Paris. Idriss Déby en avait pris ombrage, refusant même de se rendre au sommet de la francophonie de Kinshasa. « Mais avec l'affaire malienne, il a fait une offre que la France ne pouvait pas refuser, poursuit Thierry Vircoulon. La Realpolitik a repris le dessus, et les relations franco-tchadiennes sont de nouveau au beau fixe. »
Devenu par la force des choses le gendarme de la sous-région, le président tchadien aurait cependant d'autres ambitions. En effet, si la nature a horreur du vide, la géopolitique également. Et Idriss Déby Itno, qui entretenait des rapports ambigüs avec le leader libyen, se verrait bien assumer cette place, demeurée inoccupée depuis la mort de ce dernier. « Idriss Deby n'a eu de cesse d'alerter quant aux conséquences d'un départ précipité de Kadhafi, précise ainsi Matthieu Pellerin, chercheur associé à l'Institut français de relations internationales (IFRI) et gérant du Centre d'intelligence stratégique sur le continent africain (Cisca). Ses relations avec le Guide étaient loin d'être marquées par la confiance, mais il lui reconnaissait un rôle de régulation dans les équilibres sahéliens. Très inquiet au lendemain de la chute de Kadhafi, il a manifestement cherché à remplir ce rôle et il semble effectivement y parvenir. »
Etats sahélo-sahariens
Preuve de cette ambition - pour l'instant affichée modestement -, le président tchadien a convoqué le 16 février dernier une réunion de chefs d'Etats à Ndjamena, ressuscitant du coup la communauté des Etats sahélo-sahariens, ou Cen-Sad. Une structure créée de toute pièce il y a quinze ans par un certain… Mouammar Kadhafi. « Il se verrait probablement bien en remplaçant de Kadhafi, confirme Thierry Vircoulon. Puisqu'il y a un vide régional, il y a une place à prendre. »
Selon Francis Perrin, directeur de la publication de Pétrole et gaz arabes, « par rapport à la situation d'avant le début de la production pétrolière à l'automne 2003, il y a effectivement eu une importante augmentation des ressources du gouvernement, et Idriss Déby peut bien sûr penser en utiliser une partie pour des projets qui ne sont pas seulement internes, mais aussi externe. Pour jouer un rôle. » Mais, reprend-t-il immédiatement, « il faut bien garder à l'esprit que si le Tchad a du pétrole, ça n'est pas pour autant une puissance pétrolière, comme l'était la Libye (…) Si le Tchad disparaissait de la carte, ça n'influerait pas sur les cours du pétrole ».
Ainsi, alors que la Libye, avant la guerre civile, produisait jusqu'à 1,6 million de barils par jour (bpj), le Tchad, lui, dépassait péniblement les 126 000 bpj en 2010. Pas de quoi se comporter en Chavez du continent, surtout si l'on compare à certains mastodontes comme le Nigeria (2,5 millions bpj) ou même les voisins soudanais (500 000 bpj avant la partition). Même si il en avait l'ambition, Idriss Déby n'a pas les moyens financiers de s'imposer au niveau du continent, comme l'avait fait le Guide libyen, qui n'avait pas hésité à se faire appeler « Roi des rois » après son accession à la tête de l'Union africaine en 2009. Les revenus générés par le pétrole ne lui permettent pas en effet d'occuper ce rôle pour le moment.
« Pax tchadiana » ?
Un détail « intéressant en soi », interpelle néanmoins le spécialiste des hydrocarbures : les deux opérateurs principaux à la tête des consortiums, qui exploitent les gisements des principaux bassins d'exploitation (Doba et de Bangor), ne sont autre que Exxon Mobile et la société d'Etat chinoise China national petroleum corporation (CNPC), à savoir deux des principales compagnies mondiales de pétrole. Or, précise Francis Perrin, « des compagnies comme celle-là ne viennent pas dans un pays si il n'y a rien d'intéressant. Même si aujourd'hui, en terme de production, ce n'est pas grand-chose, cela veut quand même dire, que ces investisseurs (…) pensent que le Tchad mérite quand même le détour. »
Des perspectives positives à long terme, qui pourraient faire du Tchad un géant pétrolier du continent ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais elles pourraient expliquer la sur-implication du Tchad dans les crises à ses frontières, afin peut-être d'imposer une « Pax tchadiana ». « Le Tchad est un pays enclavé, confirme Francis Perrin, et la question du transport du pétrole est bien sûr une question clef ». Pour le moment, l'oléoduc Tchad-Cameroun, qui relie le bassin de Doba au port de Kribi au Cameroun suffit à l'acheminement du pétrole tchadien. « Il serait étonnant qu'Idriss Déby ne pense pas du tout à cette problématique à l'avenir. Je ne dis pas que c'est son unique motivation, mais il peut effectivement y avoir une place dans cette stratégie régionale, pour des enjeux pétroliers, sinon actuels, du moins futurs. » A titre d'exemple, la convention d'exploration signée en 2004 par Exxon et ses deux associés (Chevron et Petronas), porte notamment sur la région du Salamat, frontalière avec la République centrafricaine, et en proie régulièrement à des conflits ethniques et frontaliers. Si ces prospections s'avèrent positives, il faudra trouver un moyen d'acheminer ce pétrole en toute sécurité. Ce qui est loin d'être le cas actuellement. Des perspectives s'avèrent également prometteuses dans le bassin du lac Tchad – le voisin nigérian espère même exploiter de son côté cette manne dès 2014 – mais là encore, la présence de Boko Haram dans la région pourrait compliquer la donne et nécessiter une présence militaire forte.
Menace intérieure ?
Le Tchad est donc perçu par ses alliés occidentaux comme un pôle de stabilité sur lequel il est plus que jamais nécessaire de s'appuyer, dans une zone rendue insécuritaire. Moins fantasque et plus prévisible que le leader libyen, le président tchadien a beaucoup moins de capacités de nuisances. Là où le Guide libyen jouait avec talent la carte diplomatique de la pression migratoire avec l'Europe, Idriss Déby ne bénéficie en effet pas d'un tel outil. Mais s'il a accepté d'endosser les habits de gendarme régional, qui coïncident peut-être avec des ambitions de développement à venir, la reprise de conflits intérieurs pourrait contrecarrer ses plans. Selon Matthieu Pellerin, « de nombreux Etats voient d'un mauvais oeil l'activisme du Tchad à commencer, me semble-t-il, par le Qatar. Faut-il s'étonner dès lors, s'interroge le gérant de Cisca, des récentes menaces de reprise d'une rébellion par Erdimi (chef de l'Union des forces de la résistance, exilé au Qatar, et qui a annoncé récemment vouloir reprendre les armes contre Ndjamena, Ndlr) ? Comment le régime soudanais, allié du Qatar et récemment réconcilié avec le pouvoir tchadien, va-t-il se positionner par rapport à tout cela ? » Sceptique, Thierry Vircoulon, n'estime pas la menace Erdimi très sérieuse pour le moment. « Les rébellions ne peuvent être relancées que si elles ont un appui. Mais actuellement, à part l'armée tchadienne, il n'y a pas grand chose qui tienne debout au Tchad ». Même si, ajoute-t-il de façon sibylline, dans ce pays, « le danger vient toujours de la famille ».