INTERVIEW - Si la route des Balkans est désormais fermée aux migrants, les flux migratoires depuis la Libye ont retrouvé leurs niveaux de l'année dernière avertit Fabrice Leggeri, directeur de l'agence Frontex.
En 2016, les Balkans ne revivront pas
la crise migratoire de 2015. En un été, près d'un million de migrants avaient franchi les frontières grecques puis slovènes, serbes ou macédoniennes pour rejoindre l'Europe de l'Ouest. Mais aujourd'hui, il n'y a pratiquement plus de passages de migrants par cette route, explique Fabrice Leggeri. Le directeur de l'agence alerte cependant sur les arrivées de migrants en provenance de Libye, qui ont retrouvé les niveaux de l'année dernière à la même période.
LE FIGARO.- Peut-on dire aujourd'hui que la route migratoire des Balkans a été refermée?
Fabrice LEGGERI.- Il n'y a quasiment plus aucun passage par la route migratoire des Balkans. On enregistre entre 50 et 60 passages à la frontière turque, ce qui n'est rien par rapport aux 2.500 à 2.800 arrivées enregistrées quotidiennement l'année dernière à la même période. Lors du pic entre mi septembre et mi-octobre 2015, plus de 200.000 personnes avaient franchi les frontières turques puis grecques. Mais plusieurs dizaines de milliers de migrants sont toujours bloqués en Grèce continentale et cherchent à aller en Europe occidentale, ce qui explique que quelques centaines de migrants tentent toujours leur chance par les Balkans.
Est-ce à dire que l'accord passé par l'Union européenne avec la Turquie a porté ses fruits?
Ce tarissement s'explique par deux facteurs: premièrement,
la fermeture fin février des frontières de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, de la Slovénie et de la Serbie. Le camp d'Idoméni, qui abritait en mai 8.400 migrants à la frontière gréco-macédonienne,
a été démantelé en mai. Dans un second temps,
l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne a aussi joué un rôle très important. Depuis le 20 mars, les Syriens qui passent irrégulièrement la frontière sont systématiquement réadmis en Turquie. En contrepartie, la Turquie obtient l'accueil d'un Syrien en Europe. Depuis le 4 avril, 460 migrants ont été réadmis par Ankara. Cela peut paraître modeste, mais il y a un réel effet dissuasif car, pour la première fois, nous avons réussi à inverser les flux. Mais tout cela prend du temps.
C'est-à-dire?
Ce nombre très réduit de migrants renvoyés en Turquie s'explique par la longueur de la procédure qui aboutit à la réadmission effective. Lorsqu'un étranger en situation irrégulière arrive en Grèce et formule une demande d'asile, il doit attendre une décision de l'équivalent grec de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Si la décision ne lui est pas favorable, il bénéficie d'un recours devant une commission administrative. En dernier lieu, il peut porter son cas devant la justice grecque.
Vous alertez en revanche sur la hausse des flux migratoires par la Libye.
Aujourd'hui, les traversées en Méditerranée depuis la Libye sont au même niveau que l'an dernier à cette époque. Nous avons enregistré 60.000 arrivées depuis le début de l'année par la route de Méditerranée centrale. Nous observons aussi la création de nouvelles routes, notamment depuis l'Égypte, et quelques arrivées résiduelles depuis la Turquie vers l'Italie. Mais 85% des cas viennent de Libye. Nous avons donc redéployé les effectifs de Frontex en Italie où nous avons aujourd'hui 600 gardes frontières, un record historique.
Peut-on en conclure que les flux migratoires de la route des Balkans se sont reportés sur celle de la Libye?
Non, car ce n'est pas le même type de migration. Les migrants actuellement présents en Turquie sont Syriens, Afghans, Irakiens, Bangladais ou Pakistanais. En Libye, ils sont plutôt issus de la Corne d'Afrique (Erythréens, Somaliens, Soudanais), mais aussi d'Afrique de l'Ouest (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gambie). Ce sont des migrations économiques essentiellement. Le chaos libyen provoque un effet d'aubaine qui fait que Benghazi est devenu la première route d'immigration irrégulière.
Dans ce contexte, vous demandez un meilleur partage des données européennes pour contrôler les migrants.
En effet, nous n'avons toujours pas accès à des données pourtant utiles pour faciliter les contrôles d'identité des migrants dans les hotspots, comme nous l'a demandé le Conseil européen après les attentats de novembre 2015 à Paris. Depuis sa création en 2005, l'agence Frontex n'a jamais eu accès au Système d'information Schengen (SIS), le fichier utilisé par certains États membres pour centraliser les données, notamment sur les personnes qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen. Nous ne pouvons pas non plus utiliser le Système d'information sur les visas (SIV). Il liste l'ensemble des visas Schengen délivrés par les pays membres ainsi que les demandes refusées, avec empreintes digitales et copies des documents produits pour faire la demande. Autant d'informations précieuses qui peuvent aider à identifier des personnes contrôlées dans les hotspots. Or, pour l'instant, nous avons qu'un accès artisanal: ce sont les officiers mis à disposition par les États membres qui accèdent aux bases de données avec leurs propres identifiants...
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