Après le Brexit, tempête sur le panafricanisme
REVUE DE PRESSE. Le Brexit est-il contagieux et quels sont les premiers symptômes s'agissant d'économie, d'immigration ou du modèle d'intégration africain ?
Par Agnès Faivre
Publié le | Le Point Afrique
Qu'est-ce qui a bien pu pousser le Royaume-Uni à décider de quitter l'Union européenne ? L'interrogation est tenace dans la presse africaine, une semaine après le référendum historique du 23 juin qui a vu les électeurs britanniques opter pour la séparation d'avec l'Europe des 28. Signe que la question des répercussions économiques et politiques de l'événement, abondamment commentée, n'a pas totalement estompé le sentiment de stupéfaction. Un effarement souvent teinté d'incompréhension. « Témoignage d'un bruicide : la Grande-Bretagne n'est plus une puissance mondiale », titre ainsi le quotidien ougandais The Daily Monitor, qui joue sur la contraction entre les termes « Britain » et « suicide ». Car il l'affirme : nous assistons à un « suicide collectif ».
Le Brexit : un choix qui « défie la raison »
Traduction : « Les électeurs britanniques enfoncent le dernier clou dans le cercueil de ce qui fut une grande nation. »
« Comment le Royaume-Uni, qui fut à la tête de l'empire le plus étendu au monde, peut-il se retirer, telle une souris, dans un petit coin ? Cela défie la raison ! » s'exclame le Daily Monitor, pour qui comprendre le Brexit s'avère bien plus ardu qu'expliquer l'effondrement de l'Union soviétique, des empires romain ou Songhaï ou du royaume du Bunyoro-Kitara. Le titre de Kampala ne saisit pas davantage pourquoi les Britanniques ont renoncé précisément à leur influence économique, devenue aujourd'hui un atout maître. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, rappelle-t-il, la Grande-Bretagne, en dépit d'un « léger déclin », a su « préserver un certain nombre de postes d'influence mondiale ». Et de citer son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, sa « capacité à modeler la géopolitique » (Libye, Irak) ou son poids dans les anciennes colonies africaines. Or, c'est leur pouvoir au sein du « plus grand marché économique mondial » qu'est le marché unique que les Britanniques ont choisi de sacrifier. « Mais pourquoi donc ont-ils commis ce suicide collectif en quittant l'Union européenne, le seul endroit où leur influence n'est pas menacée ? », interroge le titre de Kampala, décidément sidéré.
Effets du Brexit en Afrique, du scénario catastrophe…
« L'Ouganda va probablement garder une part considérable de ses réserves de change à Londres, mais pour combien de temps si la livre sterling continue de chuter ? » se demande encore le Daily Monitor, glissant vers cet autre aspect du Brexit : ses répercussions sur les économies africaines. L'Ouganda fait partie, avec le Nigeria, l'Afrique du Sud et le Kenya, des marchés africains avec lesquels le Royaume-Uni entretient des liens privilégiés. Ces marchés guettent ainsi les retombées du Brexit à court terme (négligeables selon le rapport du cabinet EXX Africa) et à moyen terme, supposées plus importantes. Au Nigeria, plombé par l'insécurité et la crise financière engendrée par la chute des cours du pétrole, l'annonce du Brexit tombe plutôt mal. Forçant un brin le trait, le quotidien nigérian The Daily Trust esquisse un scénario des plus alarmistes : une redite de la crise financière de 2008. Sauf que, cette fois, le Nigeria ne pourrait pas compter sur ses pétrodollars pour y résister. « Une nouvelle perturbation pourrait alors se traduire par un effondrement économique, la résurgence de Boko Haram, l'anarchie avec le groupe Niger Delta Avenger et le chaos avec les séparatistes du Biafra », résume-t-il. Plus prosaïque, le président de la chambre de commerce et d'industrie d'Abuja (ACCI), Tony Ejikeoyen, indique dans The Vanguard que le commerce bilatéral entre le Nigeria et le Royaume-Uni, qui se chiffre à 6 milliards de livres aujourd'hui, sera « affecté ». Il rappelle aussi que Londres est la première source d'investissements étrangers au Nigeria. Si l'économie britannique ralentit, non seulement ces investissements pourraient se tarir, mais la manne des transferts de fonds des Nigérians de Grande-Bretagne (plus de 20 milliards de dollars envoyés en 2015) pourrait elle aussi s'amoindrir.
… au verre à moitié plein
« Le Brexit va stimuler la politique de change nigériane », titre encore The Vanguard, citant un représentant de la Banque centrale nigériane (CBN). Parmi les effets attendus, la devise nationale (naira), dont le gouvernement nigérian a autorisé la dévaluation peu avant le Brexit, pourrait reprendre quelques couleurs face à la livre et à l'euro. The Daily Trust liste quant à lui une série d'avantages potentiels pour le continent. La Grande-Bretagne, « une fois affranchie des codes commerciaux restrictifs de l'UE, va se tourner naturellement vers ses partenaires commerciaux traditionnels », et notamment en Afrique, ce qui sera « bénéfique » des deux côtés. Ensuite, la chute des prix annoncée au Royaume-Uni, si elle se matérialise, sera un « soulagement » pour la diaspora nigériane. Autre argument avancé par The Daily Trust : l'obtention du visa étudiant devrait être facilitée pour les postulants africains. Car, rappelle le titre nigérian, l'administration Cameron, ne pouvant contrôler le flux d'immigrants intra-européens et ayant par ailleurs promis d'abaisser le nombre d'immigrés à « des dizaines de milliers par an » au lieu de « centaines de milliers », avait durci les conditions d'obtention de visas pour les immigrants non européens. Une procédure qui pourrait évoluer, au même titre que celle visant à obtenir un permis de travail.
Vers une inflexion de la politique migratoire britannique ?
En effet, des partisans du Brexit, à l'instar du véhément ex-maire de Londres Boris Johnson ou du ministre de la Justice Michael Gove, ont plaidé pour « l'adoption d'un système migratoire non discriminant de type australien, qui donne des chances équivalentes aux citoyens européens et non européens de travailler au Royaume-Uni », poursuit The Daily Trust. Cela pourrait ainsi changer la donne. Mais que dire, toutefois, des dérives xénophobes observées durant la campagne du parti europhobe et anti-immigration Ukip (Parti de l'indépendance du Royaume-Uni) ? Sur ce point, les avis divergent. « La Grande-Bretagne est une société tolérante, le Brexit ne va pas changer cela », assure The Daily Trust. Le Pays se montre toutefois plus circonspect. « On espère bien que la victoire du non à l'Europe n'est pas l'expression d'un populisme ou d'un nationalisme de mauvais aloi, fondé sur la peur de l'immigration et de la diversité culturelle, et que les pourfendeurs de l'ouverture et de l'Europe-passoire seront très vite confrontés aux dures réalités d'un isolationnisme qui ne dit pas son nom », peut-on lire sur le site du quotidien burkinabè. Pour le coordinateur de la Cedeao (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) Godwin Okonkwo, il ne faut pas se leurrer : le scrutin britannique et les débats qui l'ont précédé traduisent bel et bien une crispation au sein de la société. « L'une des raisons pour lesquelles les Britanniques ont voté pour le retrait, c'est parce qu'ils estimaient que la plupart des emplois censés revenir aux citoyens britanniques ont été pris par des Africains, des Asiatiques et d'autres migrants, en particulier ceux originaires de l'UE. (…) La tolérance des Britanniques à l'égard des non-Britanniques va être affectée. Et il y a aussi cette peur dont personne ne parle. Avec le terrorisme et cette politique qui veut que les pays de l'UE acceptent un certain quota de migrants, certains se disent qu'ils ne savent pas qui sont les gens qui vont arriver sur le territoire, s'ils sont radicalisés, djihadistes », explique-t-il dans les colonnes du Vanguard.
L'idéal panafricain en question
Autre débat suscité dans la presse africaine par la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, celui du bien-fondé de l'intégration politique sur le continent. « L'idéal d'unité du Vieux Continent a pris un coup le jeudi 23 juin 2016 », nous dit Le Djely, pour qui l'Union africaine (UA) pourrait « tirer de tout ça le mauvais exemple ». « Comme en Europe, parmi les leaders africains, il y en a qui, jaloux de la souveraineté de leur pays, ne voudraient surtout pas que l'Afrique finisse par s'unir. (…) La désintégration annoncée de l'UE est, à leurs yeux, la preuve du caractère utopiste de l'Afrique unifiée », poursuit le site guinéen. « Pourvu qu'à l'échelle régionale cette tache du Brexit ne déteigne pas sur les anciennes colonies britanniques d'Afrique de l'Ouest pour les enfermer dans un réflexe de repli sur soi », renchérit L'Observateur. Le quotidien burkinabè fait-il allusion au Ghana, où des velléités de sortie de la Cedeao ont été exprimées à diverses reprises ? Ou au Nigeria, où le mot-clé #Biafrexit s'est répandu à grande vitesse sur la twittosphère nigériane au lendemain du Brexit, à l'initiative du mouvement indépendantiste IPOB (Peuple indigène du Biafra) ?
« L'Afrique doit s'unir ou périr », clamait Kwame Nkrumah, l'un des pères fondateurs de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Pour les figures du panafricanisme, également incarnées par Sékou Touré ou Patrice Lumumba, « l'intégration était l'unique planche de salut pour des États qui, pris isolément, ne représentent pas grand-chose », rappelle L'Observateur. Cinuquante-trois ans après la création de l'OUA, quel bilan tirer de cette unité institutionnalisée sur le continent africain ? Pour Alex Njeru, directeur de programmes à l'Eastern African Policy Centre, l'intégration africaine se cantonne encore trop au niveau des États. Leurs représentants décident, les technocrates exécutent. « Mais, depuis le début, rien n'a été fait pour y associer les peuples », regrette-t-il dans les colonnes du quotidien kenyanThe Nation. Pourtant, plaide-t-il, à la faveur de la liberté de circulation et du libre-échange, une « communauté de personnes qui partagent beaucoup, au moins culturellement », donnerait du « sens » à l'intégration africaine. Et d'appeler les « jeunes Africains » qui, au lendemain du Brexit, ont témoigné leur mécontentement sur Twitter à exprimer davantage leur fibre unioniste. Dans The Daily Trust, un autre expert, Emmanuel Nnadozie, secrétaire exécutif de la fondation African Capacity Building, estime quant à lui que l'UA ou la Cedeao devraient s'atteler davantage aux questions de « paix » et de « sécurité » sur le continent. « Les gens oublient souvent qu'une des principales raisons d'être de l'UE était d'empêcher les guerres survenues en Europe durant des siècles », fait-il remarquer, dans une nouvelle référence à l'expérience communautaire européenne, qui semble décidément avoir la peau dure.
L'Afrique du Sud moins pressée de renégocier avec Londres et l'UE ?
Le Brexit, dont les véritables répercussions sur le continent africain se confirmeront ces prochains mois, permet enfin d'entrevoir que certaines relations entre le Royaume-Uni et ses anciennes colonies pourraient être reconfigurées, au moment de renégocier les accords commerciaux avec l'UE et avec le Royaume-Uni. Et, à cet exercice, l'Afrique du Sud, pour qui l'UE est le premier partenaire commercial et Londres la première source d'investissements directs étrangers, pourrait « manquer d'appétit », nous dit Mmatlou Kalaba, maître de conférences à l'université de Pretoria, dans The Conversation Africa. Il précise que la nation arc-en-ciel « a privilégié les partenariats sud-sud ces sept dernières années ». Londres est ainsi devenu son 8e partenaire commercial derrière le Botswana et la Namibie. Des traités bilatéraux d'investissement avec l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Suisse ont par ailleurs été résiliés. Signe d'un effritement de la relation à l'Occident, mais surtout, insiste Mmatlou Kalaba, d'une « recherche de l'accès aux marchés sans négociations ». Et s'« il ne fait aucun doute que l'Afrique du Sud a besoin du marché britannique », Londres saura-t-elle s'accommoder de cette nouvelle approche sud-africaine ? À l'inverse, conclut l'universitaire, pas sûr non plus que Londres, qui lorgne sur les marchés chinois, indiens ou brésiliens, « fasse de l'Afrique du Sud sa priorité ».
En attendant de voir de quoi sera faite cette relation entre Londres et le continent, leDaily Monitor nous enjoint à savourer le « soft power britannique : la langue anglaise, l'excellence académique d'Oxford et de Cambridge, James Bond, la BBC, le championnat d'Angleterre de football… ou ce qu'il en restera ».
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