jeudi 24 avril 2014


La République de l'Azawad ?

MessagePosté par Marcel MONIN » 22 Avr 2014, 15:49
La République de l’Azawad ? (1)



Sauf si les aiguilles des pendules se mettent à tourner dans l’autre sens, sauf si l’on découvre des principes actifs à la logorrhée, à la corruption et à l’incompétence pour faire perdre la mémoire aux peuples et soigner leurs malheurs, le nord Mali sera indépendant.
Quand ? A la suite ou à la faveur de quels évènements ?  On ne le sait pas. Mais l’Azawad verra le jour. Sauf si …

Juste avant 1960, ceux qui pouvaient le faire, ont demandé au colonisateur de ne pas inclure l’Azawad et ses populations dans le Soudan (futur Mali) qui allait se faire offrir l’indépendance. Ils n’ont pas été écoutés, et les populations du nord ont été obligées de vivre sur un territoire qui était le leur, mais qui a été administré par des gens qui étaient pour eux des étrangers (2) . 
Ce qui a fait dire à certains que les Azawadiens sont, en quelque sorte, les Palestiniens de l’Afrique de l’Ouest. Ce qui, sous un certain rapport, n’est pas inexact.

Le gouvernement de Bamako a eu à faire face à plusieurs « rébellions ». Quand il l’a pu, il les a matées dans le sang, il a négocié et signé des « accords », fait des promesses, débauché des leaders du nord en leur donnant des postes.
Le tout, en attendant…  la rébellion suivante.
Avec, chaque fois, la même poudre de perlimpinpin comme remède, mais sans que le principe actif susceptible de guérir le mal n’ait été trouvé, ni même sérieusement recherché .

La dernière « rébellion » n’en n’a pas été une : les troupes régulières de Bamako ont été défaites et l’indépendance de l’Azawad a été proclamée.
Les territoires du Nord ont été administrés par des autorités indépendantes de celles de Bamako.
Et c’est l’intervention de troupes étrangères, qui a redonné aux autorités de Bamako le gouvernement (partiel)  et  la souveraineté (au moins de manière symbolique puisque les étrangers y demeurent pour lui donner une apparence  de réalité) sur les territoires du nord.

Les mouvements du nord sont divers, des divisions apparaissent en leur sein (certaines sans doute provoqués -vainement sur le long terme- par l’extérieur)  … mais ils existent.
Ils existent et ils ont un adversaire commun : le gouvernement (étranger pour eux) de Bamako. Et sans les troupes étrangères, ils montreraient probablement qu’ils existent plus encore.

En présence de cette situation (nouvelle) la classe politique de Bamako n’a, si l’on s’en tient à l’analyse des déclarations, rien eu à opposer ou à proposer de…  nouveau, c’est à dire d’adapté (3). En dehors de la logorrhée et des promesses.
La logorrhée sur la « réconciliation » et le châtiment de leurs vainqueurs de 2012 (ce qui, vu de l’extérieur et pour les esprits non avertis, semble paradoxal pour ne pas dire contradictoire).
Sur le Mali unitaire éternel … au nom de Dieu.
Sur la décentralisation présentée par la classe politique dont s’agit comme la solution miracle pour l’après crise, alors même que la même classe politique a fait la démonstration, avant ladite crise, qu’elle était incapable de la mettre en place. A supposer d’ailleurs que ce concept (copié sans esprit critique d’un autre continent) ait été de nature à pouvoir régler les questions africaines en général, et la situation du nord Mali en particulier.

On peut raisonnablement déduire de ce qu’on lit, voit et entend, que la classe politique, n’a en l’état (elle ne s’est  guère renouvelée et ne peut donc faire aisément évoluer sa pensée), et prise dans son ensemble, pas compris, ni vu … grand chose (4).

Elle n’a pas compris que la victoire des forces nationalistes sur l’armée régulière de  Bamako a permis aux mouvements du nord de prendre conscience concrètement que tout est possible. Comme la victoire des Indochinois sur les troupes coloniales a montré aux nationalistes algériens qu’il était possible de réussir et que leur victoire était à l’horizon.
Elle n’a pas compris que les territoires qui ont été mis en 1960 sous son administration, n’ont pas aujourd’hui  comme seul enjeu les bénéfices que les trafics et les commissions peuvent faire espérer à une partie de ses membres et aux corrompus qui prospèrent sous son régime.
Elle n’a pas compris que dès lors que des richesses sont exploitables, et que personne sur le territoire malien n’a ni les connaissances, ni la technologie, ni l’argent pour le faire, les étrangers tiennent, au bout de leurs doigts, l’avenir de cette classe politique. Qui n’a donc de politique possible que la gestion des carrières , si possible au gouvernement, de ses membres (ça, elle l’a compris).
Elle n’a pas compris que dans le jeu géostratégique actuel, les nationalistes du nord peuvent potentiellement se faire financer (donc se faire armer) via les services secrets des diverses puissances. En fonction du jeu que ces dernières jouent les unes contre les autres : l’ancien colonisateur et/ ou  les Etats Unis (même si la France se met en courant sous protectorat américain) ; la Chine, qui doit trouver des ressources en Afrique, spécialement de l’énergie, et qui cherche des débouchés ; la Russie, qui a (avec ses partenaires) une stratégie énergétique, économique et politique concurrente de celle des Etats Unis et des  vassaux de ces derniers ; les Etats du golfe, qui ont déjà investi dans les groupes djihadistes que l’opération Serval a fait se fondre dans le paysage ;  etc…
Elle n’a pas compris que lorsque les représentants de tel ou tel mouvement nationaliste se font recevoir à Moscou ou ailleurs, une mécanique est en route. Mécanique que les invocations à Dieu et les protestations diplomatiques émises par le personnel politique de Bamako ne peuvent pas enrayer.

La classe politique n’a pas constaté que lorsqu’elle soudoyait ou retournait un leader du nord, un autre prenait sa place.
Elle n’a pas vu que si la résistance à Bamako pouvait s'opposer sur une vision ou sur des intérêts particuliers (divisions pouvant être suscitées comme en pareil cas de l’extérieur…),  l'ensemble de cette résistance avait Bamako dans le viseur. 
Elle a oublié (ou ignoré) que les mouvements de résistance savent s’unir au moment de  porter l’estocade.
Elle ne se rend pas compte que les arguments qu’elle continue à jeter à son opinion publique pour la rassembler autour d'elle (et qui prédisposerait d'aventure ladite opinion publique à en découdre de manière sanglante si l’Etat en avait les moyens), sont des arguments qui constituent chacun une fin de non recevoir pour les nationalistes. 
Et qui ne pèsent rien dans la stratégie des sociétés et des Etats étrangers.
Elle ne se rappelle pas (alors que l’affaire se déroulait à sa porte) ce que les gouvernants de Paris d’alors racontaient des nationalistes algériens (non représentatifs, « rebelles » se mettant en marge des mois) et de l’indépendance de l’Algérie (promise au chaos et aux luttes intercommunautaires).  Elle ne se rappelle pas que ce mêmes gouvernements faisaient croire dur comme fer à l’opinion publique : « l’Algérie, c’est la France ! ». 
Elle ne se rappelle rien qui aurait pu lui être utile, puisqu’aujourd’hui elle raconte et espère faire croire les mêmes choses en face d’une même revendication, et alors que l'histoire coule du passé vers l'avenir.

La République de l’Azawad verra donc le jour.
Sauf si …

Sauf si les nationalistes du Nord n’ont plus de raisons majeures de vouloir et d’avoir besoin de sortir du Mali.

Et, il n’y a à cet égard qu’un moyen pacifique auquel on pense : 
Mettre en place une nouvelle constitution qui impose des mécanismes (5)  permettant au nord ne plus subir … les travers et les conséquences des insuffisances de la classe politique de Bamako. Classe politique qui est ce qu’elle est, et risque fort de le demeurer. Parce les hommes en place sont ce qu’ils sont, c’est à dire eux-mêmes et les mêmes.
Travers et insuffisances  de « gouvernance » que les gens du nord ne veulent plus subir en pouvant arguer du fait qu’ils sont le fait d’autres qu’eux.
Pas par des promesses (qui n’engagent que ceux qui les reçoivent).  Promesses itératives dont les destinataires ont cessé d’être naïfs pour pouvoir continuer à les croire et pour pouvoir être bernés une fois de trop.
Mais par la constitution. 
Constitution nouvelle et résolument différente de la copie de passages entiers (6) de la constitution française, pour faire autre chose et agir autrement.

Avec une répartition des compétences entre l’Etat (qui s’appliqueront sur l’ensemble du territoire) et les composantes territoriales de ce dernier.
Composantes territoriales qui ne seront plus logées à la même enseigne d’une exécrable gouvernance, et qui pourront profiter, celles du sud comme celles du nord, des innovations qui auront été arrêtées en pensant au nord.
Répartition des compétences qui laissera à l’Etat (et à ses organes dans lesquels la constitution réservera une place aux représentants des différentes parties du Mali) ses attributions traditionnelles. Qui permettra aux populations des composantes (pas seulement les populations du nord comme il vient d’être dit) d’être gouvernées  au plus près des réalités du lieu et de leurs besoins. Et avec une clef de répartition des ressources tirées de l’exploitation des richesses du sous-sol.
Constitution réfléchie (et non copiée), avec des principes et des règles visant à ce que, dans le nouvel ordre constitutionnel, ce qui mine la société et a fini par tuer à plusieurs reprises, soit éradiqué. Par le déclenchement irrésistible de mécanismes mettant hors jeu les parasites (les corrompus et tous ceux qui sont dans des situations de conflit d’intérêts) qui n’ont d’intelligence que celle d’emplir leurs poches au détriment de la Nation (7).

Etat fédéral (8) ? Avec deux composantes (ou plus) ?
Etat à gestion provinciale ou régionale ?
Peu importe l’appellation. Qui peut être choisie en fonction de l’opportunité d’apaiser les peurs ou des besoins de l’expérimentation.  Pourvu que le contenu de la nouvelle constitution soit arrêté en fonction des réalités, et du besoin de faire tout autre chose.

Dernière, et éventuelle (4) question : est-ce encore temps ?



Marcel-M. MONIN (**) 


(1) C’est la question qui vient à l’esprit des observateurs extérieurs. Qui, parce qu’ils ne sont pas partie prenante dans l’affaire, et qu’ils sont conduits, dans un raisonnement prospectif, à la poser.  En s’appuyant sur l’histoire, les faits, les intérêts en jeu, les comportements des acteurs (locaux et extérieurs) et les argumentaires de ces derniers destinés à l’opinion publique en vue de la façonner. 
Dans les lignes qui suivent, nous parlons beaucoup de « la classe politique ». Parce que les décisions (ou l’absence de décisions) dans une société donnée émanent de ceux qui sont élus ou désignés pour ce faire. (Lesquels n’ont été contraints par personne ni à devenir député ni à accepter un portefeuille ministériel. Ni à prendre une décision indigne ou contraire à l’intérêt général dès lors que la démission du poste permet toujours de ne pas se salir). Et parce que la situation que l’on observe (au Mali comme ailleurs) est le résultat de comportements qui peuvent être expliqués (mais ce n’est pas notre propos) s’ils sont mis en relation avec certains paramètres, notamment l’intérêt personnel ou les représentations (v. cependant nos remarques dans la note 3 ci-dessous). 


(2) Le tout, ce qui ne devait pas arranger les choses, se faisant dans un contexte de renversement de la situation des uns par rapport aux autres (les dominés devenant les dominants dans le subconscient et les représentations de beaucoup).

(3) Imaginons, qu’après ses mésaventures de 2012, la classe politique ait dit : 
«  La réconciliation entre le Nord et le Sud c’est désormais un Mali fédéral. Chaque composante travaillera au maintien de l’unité de l’Etat que nous voulons. Et qu’une répartition des responsabilités claires et acceptées organisera. Avec au sein de chaque composante, les moyens pour que les populations travaillent, aidés par l’Etat,  à leur propre bien être compte tenu de leur particularités, et se tendent la main et s’entraident (c’est ça le fédéralisme). Sans que ces mains ne portent plus jamais une arme braquée contre l’autre. Avec des précautions pour que ce qui a entraîné la désolation soit désormais évité ».
Ceux des dirigeants de Bamako qui auraient tenu ce discours, auraient-ils été désavoués par l’opinion publique du sud ? On n’en sait rien puisque ce discours n’a pas été tenu. Mais on ne peut s’empêcher de se poser la question. 

(4) A moins qu’elle ne l’ait fait exprès. Ce qui est constitue une hypothèse, qui, dans le cadre d’analyses faisant intervenir le paramètre de l’intérêt, ne peut être exclue. Car on ne peut  écarter l’hypothèse (s’agissant d’un pays qui a été classé en 2013 par Transparency international à la 127ème place sur 177 pays –sic- sur l’échelle de la corruption) qu’un certain nombre de politiciens ont compris l’intérêt que représentait le statu quo constitutionnel pour leur carrière et leur porte monnaie. On se souvient que le narco-trafic qui prospérait dans  le nord n’était (incroyablement) pas dérangé (v. les articles de Malijet, de l’Express, et d’autres organes de presse). On peut par ailleurs prédire la signature future des contrats d’exploitation des richesses du sous-sol… Avec à la clef de possibles retombées privées. Et, sous ce rapport, force est de constater que le fédéralisme ou la gestion provinciale leur ferait perdre la main. Quant au reste, la classe politique en place du temps d’ATT a remarquablement réussi à se maintenir aux affaires, en anesthésiant, selon les « bonnes » vieilles méthodes, le capitaine Sanogo. (Qui avait suscité un espoir qui  constituait pour les politiciens dont s’agit une réelle menace). Puis en comblant les emplois laissés vacants du fait du retrait de A. T. Touré. A la manière des politiciens de la III° et IV ° Républiques en France, qui  continuaient leurs carrière et leurs affaires, en réalité dans une continuité sans autre accroc que le jeu permanent des chaises musicales, dit des crises ministérielles, qui n’intéressait vraiment que les journalistes.

(5) Sur certains mécanismes à inscrire dans la constitution pour contraindre (ou essayer de le faire)  la classe politique en place à changer de comportement, v. Marcel MONIN, Textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyse et commentaires. Dalloz Armand- Colin , p. 4 et s.

(6) Il serait piquant de savoir combien les copistes ont fait rémunérer leur "travail".

(7) On se rappelle la phrase célèbre :  « Il y a toujours une forme d’intelligence chez les hommes politiques. Les uns sont intéressés par l’argent : ils ont l’intelligence des joueurs de bonneteau. Les autres s’intéressent à l’intérêt général : ils sont intelligents.

(8) Un Etat fédéral est un Etat. Ce que semblent ignorer ceux qui refusent par principe d’en examiner la faisabilité. La formule permet à ses composantes et aux populations qui se répartissent entre les composantes, et qui se gèrent dans le quotidien en fonction de leurs particularités, de conserver la puissance du grand ensemble pour la défense et les relations commerciales avec l’extérieur. Et pour tout ce qui a besoin d’être négocié et défendu dans un monde dans lequel les faibles ne peuvent que subir, acquiescer, ou être des vassaux.  

(**) Marcel MONIN est maître de conférences hon. des universités, docteur d’Etat en droit.
Parmi diverses fonctions, il a eu la charge des relations de son université avec les universités d’Afrique. Il est l’auteur d’ouvrages de droit constitutionnel et de droit administratif. Actuellement, il est consultant. 
Il est chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques.
Marcel MONIN
 
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