Des soldats de l’armée malienne sont accusés de crimes par des témoins et des responsables d’ONG de défense des droits de l’homme.
Des civils sont aussi accusés de semer la violence dans la ville du nord du Mali.
AVEC CET ARTICLE
Dans l’hôpital Hangadoumbo Moulaye Touré de Gao, Mohamed Zaccaria, 28 ans, est allongé sur son lit, ses poignets atrocement abîmés. Une infirmière lui change ses pansements avec délicatesse. « Les nerfs ont été touchés », affirme un cousin, assis sur le lit d’en face. Mohamed Zaccaria se laisse soigner, le regard perdu. Lorsqu’on l’interroge, il répond lentement, comme si un ressort s’était brisé en lui.
Il est wahhabite (1), professeur de Coran et cultivateur. Il y a quatre jours, après s’être rendu au marché de Gao, il est contrôlé au check-point de l’armée malienne. Son nom est sur la liste des sympathisants du Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), le groupe d’islamistes proche des wahhabites qui contrôlait la ville depuis un an.
Mohamed Zaccaria proteste, explique qu’il n’est pas un djihadiste, qu’il est venu au marché pour un oncle, qu’il veut simplement rentrer chez lui. Peine perdue, les militaires l’empoignent, lui lient les mains et les pieds et le conduisent dans leur camp. Et là, ils le couchent à terre, en plein soleil.« Tu vas parler ? » lui ordonnent-ils.
COUCHÉ SOUS LES 45°
Le jeune homme se tord de douleur, ses liens lui déchirent la peau. Au plus chaud de la journée, la température dépasse les 45 °C. Personne ne s’occupe de lui. Le soleil le brûle. Il souffre en silence, s’attendant à être exécuté à tout instant. Son supplice dure six heures sous le soleil malien.
« Les militaires ont fini par appeler les gendarmes. Ces derniers m’ont pris avec eux, ils m’ont interrogé : il n’y avait rien contre moi. Mon nom se trouvait sur une liste. Mais des Mohamed Zaccaria, il y en a plein la région. Les gendarmes ont vite compris que j’étais hors de cause et ils m’ont conduit à l’hôpital pour me soigner. Je pense que je leur dois la vie », témoigne-t-il.
Ses proches sont effondrés. Comme tous les wahhabites de la région, ils sont soupçonnés d’être liés au Mujao. Ils sont donc particulièrement surveillés par les militaires maliens revenus dans cette ville avec l’armée française, le 26 janvier 2013. Des militaires dont la réputation n’est plus à faire au Mali.
ZONES D’OMBRE
« L’armée à Gao se caractérise par son indiscipline, son manque de formation professionnelle, sa haine pour les Maliens restés dans le nord du Mali sous les djihadistes, par sa méconnaissance totale des droits de l’homme et de la convention de Genève », constate Ibrahim Mohamed Touré, président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), section de Gao.
L’homme reçoit dans un bureau d’une école publique de la ville. Si la situation des habitants, note-t-il, s’est améliorée sur bon nombre de points depuis le départ du Mujao (santé, liberté d’expression, liberté de mouvement, écoles), il ajoute : « Il existe aussi des zones d’ombre sur les droits de l’homme : intimidations, arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires… Les populations les plus menacées aujourd’hui sont les wahhabites et les membres de la secte Adawa : deux groupes religieux qui partagent avec le Mujao un islam intégriste. Ils sont considérés par l’armée comme des militants ou des collaborateurs Mujao. »
Selon l’AMDH, 10 % de la population de la région seraient adawa et 25 % wahhabites, aux côtés de 60 % de sunnites et de 2 % de chrétiens et d’animistes.
UN CAPITAINE AVEC UN COLLIER DE DOIGTS HUMAINS
Le bilan des exactions attribuées à l’armée à Gao par le président de l’AMDH est terrible : « Selon nos enquêtes, nous pouvons établir que, de janvier à mai, les militaires ont tué au moins une dizaine de civils, torturé une vingtaine de personnes, violé au moins une femme. Et on leur attribue au moins deux disparitions. Nous avons les preuves, les images, les films. »
Est-ce exagéré ? « Non, ce bilan est conforme à nos enquêtes », constate Corinne Dufka, de Human Rights Watch. « Il y a dans l’armée malienne des éléments extrêmement dangereux, ajoute un observateur à Bamako. À Gao sévissait il y a quelque temps un capitaine qui se baladait avec un collier de doigts humains. Il a été rapatrié, mais pas puni pour autant. »
Les cas de maltraitance comme celle subie par Mohamed Zaccaria ne sont pas isolés. « Les soldats enferment des prisonniers dans des cavités construites dans un puits », affirme un cadre de Gao. « Nous connaissons plusieurs personnes qui ont séjourné dans ce puits », ajoute Ibrahim Mohamed Touré.
UN MODULE SUR LES DROITS DE L’HOMME DANS LA FORMATION
Du côté de l’armée française, on ne confirme pas ces dires : « Nous n’avons pas assisté à des exactions de la part de l’armée malienne à Gao et nous n’avons pas été informés de cela. Si cela se produit, nous interviendrons auprès de l’armée malienne comme nous l’avons déjà fait à d’autres occasions », répond le colonel Zemmer, de l’opération Serval.
Pour autant, l’Élysée n’est pas très rassuré par le comportement de l’armée malienne, même si rien n’est dit ouvertement. Mais on peut entendre ses réserves, discrètement. Ainsi, lors de sa dernière visite à Gao, le 26 avril, le ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, s’adressant à un parterre de responsables maliens, lançait : « Je souhaite que cette intervention soit exemplaire… jusqu’à la fin ! Qu’elle soit une référence dans l’histoire ! »
Il en est de même pour l’Union européenne. Dans la formation assurée par elle (l’EUTM Mali, commandée par un général français) pour moderniser l’armée malienne, elle a imposé un module consacré aux respects des droits de l’homme : « Tous les samedis, un cours sur le sujet et sur le droit de la guerre est donné par des ONG aux soldats maliens que nous formons », précise le colonel de Cussac, de l’EUTM Mali.
LA FOULE S’EN PREND AUX DÉPOUILLES DE DJIHADISTES
À Gao, des civils sont aussi responsables de violences collectives. En premier lieu, contre les cadavres des djihadistes : « J’ai vu une foule déterrer ceux que nous avions enterrés devant notre camp. Nous avons dû intervenir pour les arrêter. C’était de la folie », témoigne un soldat français.
« Effectivement, la foule s’en prend à ces dépouilles. On peut aussi déplorer de nombreux règlements de comptes entre Arabes et Touaregs. Il y a des gens qui s’en prennent avec fureur aux wahhabites et aux Adawa dans la ville », regrette Ibrahim Mohamed Touré.
Une folie qui a failli tuer, deux jours plus tôt, le jeune Seydou Touré, 23 ans, étudiant en géographie de l’université de Bamako de passage chez sa grand-mère à Gao pendant une dizaine de jours. Vendredi, alors qu’il sortait d’une mosquée de Gao avec un ami, il a failli être lynché dans la rue.
LA FOULE CRIAIT « ÉGORGEZ-LES »
« Un homme a reconnu que nous étions adawa. Il nous a accusés d’avoir prêché le djihad, d’être du Mujao. Des jeunes se sont approchés pour en savoir plus. J’ai eu le réflexe de passer un coup de fil aux gendarmes. L’attroupement a grossi. On nous insultait, on nous menaçait. Le ton est vite monté. Un militaire s’est approché et a demandé aux jeunes de nous attacher les mains. Ce qu’ils ont fait. La foule criait ‘‘égorgez-les’’ Alors le militaire nous a frappés avec la crosse de son arme. Heureusement, les gendarmes sont arrivés. Ils nous ont conduits dans leurs locaux où nous avons été interrogés pendant 72 heures. Ils ont vérifié nos propos et nous ont libérés ce matin. Nous l’avons échappé belle. »
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À KIDAL, LA RÉBELLION TOUARÈGUE ACCUSÉE D’ÉPURATION
Des soldats maliens étaient en route mardi vers la ville de Kidal, dans l’extrême nord du Mali, occupée par des rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui s’opposent à la présence de l’armée malienne sur place.
« Pour le moment, il s’agit d’aller à Anefis en vue de préparer l’entrée à Kidal » , a déclaré Souleymane Maïga, porte-parole de l’armée malienne. Les habitants de Kidal issus des communautés songhaï, peul et bella ont été victimes, ces derniers jours, d’arrestations et de violences de la part de la rébellion touarègue. Bamako a protesté en dénonçant une « épuration raciale » .
Face à ces arrestations, Bamako a dénoncé une « épuration raciale »tandis que Paris a demandé la libération des personnes concernées. De son côté, le MNLA assure avoir arrêté des « militaires infiltrés » . La maison d’un chef du MNLA était mardi la cible d’un attentat suicide.
(1) Ce terme désigne des musulmans affiliés à un courant réformateur et rigoriste de l’islam venant d’Arabie saoudite et implanté au Mali depuis plusieurs dizaines d’années.
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